Je me souviens. Roman policier de Martin Michaud: Une enquête de Victor Lessard
Tout juste avant de mourir, un homme et une femme entendent une voix, celle de Lee Harvey Oswald, l’assassin présumé du président Kennedy. Ils sont retrouvés sans vie à Montréal, quelques jours avant Noël, le cou transpercé par un étrange instrument d’inspiration médiévale.
La veille de leur découverte, une policière a reçu les dernières confidences d’un mystérieux sans-abri avant qu’il plonge du haut d’un édifice. Sur la balustrade, là où se tenait le vieillard quelques instants avant de sauter, elle découvre les portefeuilles des deux victimes.
Le sergent-détective Victor Lessard, qui a regagné la section des crimes majeurs, dirige l’enquête avec l’excentrique Jacinthe Taillon. Alors que les meurtres se multiplient, des secrets enfouis depuis longtemps refont surface et entraînent les deux coéquipiers sur la piste d’un assassin en quête d’honneur et de vérité.
Né à Québec en 1970, Martin Michaud est avocat, musicien, scénariste et écrivain. Lauréat du prix Arthur-Ellis 2012 et du Prix Saint-Pacôme du roman policier 2011 et 2013, il est qualifié par la critique de « maître du thriller québécois ».
Voici deux extraits du roman « Je me souviens » :
Bulle d’air
Nathan Lawson tenta de distinguer la forme aux contours flous qui manipulait la bulle d’air, mais sa vue était embrouillée par une matière visqueuse, comme s’il avait de l’onguent dans les yeux. Avant de sombrer de nouveau dans un inframonde, à la lisière de l’inconscience, il songea qu’il avait sans doute bu trop d’alcool.
Une succession d’images rapides défila dans son cortex.
Après avoir rangé la voiture au garage, il était entré dans la maison.
Comme il connaissait bien l’endroit, il s’était installé sans même ouvrir la lumière. À la tombée de la nuit, il avait allumé une bougie et l’avait placée de telle sorte que la lueur ne puisse être vue de l’extérieur. Plus tard, dans la soirée, il s’était autorisé un whisky.
Puis un autre…
Tituban jusqu’à la chambre, il avait tenté de se rasséréner en se répétant que personne ne viendrait le chercher là où il se trouvait. Un nom avait surgi et tournoyé dans sa mémoire, pendant qu’il se glissait sous ses couvertures.
Pourquoi avait-il soudain pensé à lui?
On lui avait pourtant assuré il y avait des siècles qu’André Lortie était hors d’état de nuire et rien n’indiquait que la situation avait changé.
Lawson s’était réveillé au milieu de la nuit avec une gueule de bois et une envie pressante d’uriner. Tâtonnant dans le noir, il s’était engagé dans le corridor. En relevant la tête, il avait sursauté, une silhouette se découpait dans l’embrasure de la porte de la salle de bains.
Revenu de sa surprise, il avait essayé en vain d’atteindre le fusil de chasse de Peter…
Natahn Lawson entrouvrit les paupières; la lumière d’un puissant projecteur l’aveugla. Il avait l’impression d’avoir dormi des mois, un goût métallique saturait sa bouche pâteuse.
Tournant la tête, Lawson remarqua que la forme aux contours flous avait disparu, il ne restait que la bulle d’air. Son regard se focalisa sur cette dernière jusqu’à ce qu’il réalise qu’il s’agissait en fait d’une poche de vinyle contenant un liquide translucide. Écarquillant les yeux, Lawson vit son corps laiteux sanglé sur le lit et les tubes reliant ses veines au soluté.
Depuis combien de temps le maintenait -on ainsi, sous perfusion?
La peur s’infiltra en lui comme une traîne d’adrénaline.
Pris au piège, il se mit à hurler.
Chasse à l’homme
Au pied du mont Royal, les lacets de Hill Park Circle serpentaient du chemin de la Côte-des-Neiges jusqu’au lac aux Castors.
Les patrouilleurs s’étaient garés dans un coude, quelques mètres en amont de la maison, un cube de brique percé de fenêtres, aussi étroites que des meurtrières.
Jacinthe dépassa l’édifice, passa le tournant et rangea la Crown Victoria derrière la voiture de patrouille. À travers le pare-brise, malgré l’obscurité, Victor vit l’agent parler dans l’émetteur qu’il portait à l’épaule. Celui-ci sortit de sa voiture en même temps qu’eux, puis ils se retrouvèrent tous les trois entre les deux véhicules, Jacinthe plissa les yeux pour voir le nom du patrouilleur sur son manteau Legris.
Dans le boisé, en face de la maison, la neige valsait entre les arbres. Le vent qui soufflait avec force les obligea à hausser la voix.
– T’es-tu tout seul, Legris? Lança Taillon en remontant son pantalon.
– Mon partner est dans la cour de la maison voisine. Il surveille l’entrée arrière.
Victor se boutonna, récupéra sa tuque dans la poche de son manteau et l’enfila.
– Quelqu’un à l’intérieur? Demanda-t-il.
-Difficile à dire, répondit le constable.
Victor avait parlé avec Lemaire quelques minutes auparavant, à cause de la neige et du trafic, Loic et lui no pourraient les rejoindre avant, au mieux, une vingtaine de minutes. Le Gnome était d’accord : il n’était pas question de les attendre.
Le manteau ouvert, le col de ses bottes dézippées traînant dans la gadoue, Jacinthe se dressait, monolithique et apparemment insensible au déchaînement des éléments climatiques.
– Ok, Legris, tu vas te poster entre la voiture et la maison, et avertir ton partner qu’on arrive, dit-elle d’un ton paternaliste en lui mettant la main sur l’épaule. Si ça se met à chier ou que tu vois quelque chose de pas normal, tu nous appelles, OK?
Sortant son émetteur-récepteur radio, Victor précisa à Legris la bande de fréquences qu’ils utiliseraient et l’invita à être prudent : l’homme qu’ils traquaient savait se servir d’un arc et pouvait lui planter une flèche en plein front à plusieurs mètres de distance.
Incapable de tenir une seconde de plus en place, Jacinthe lança son cri de guerre :
– Devil, câlice!
Victor la rejoignit au moment où, se plaquant contre le mur, elle sortait son pistolet. Le sien pendu déjà le long de son corps, dans son poing. Il inspira : son pouls battait à tout rompre dans ses tempres, une décharge d’adrénaline le traversa de la tête aux pieds.
Le sergent détective donna plusieurs coups qui ébranlèrent la porte. N’obtenant pas de réponse, il tourna la poignée. C’était verrouillé. Sans même le consulter, Jacinthe jeta son épaule contre le battant qui céda sous son poids. Victor pointa son pistolet dans l’embrasure et annonça leur présence d’une vois forte :
– POLICE! Y A QUELQU’UN? MONSIEUR DUCA?
(Les éditions Coup d’œil)
Voir aussi :
- Saint-Pacôme, capitale du roman policier
- JFK: Trahison d’une légende, roman de Megan Jorgensen sur l’attentat à la vie du président Kennedy
