
La fin de l’Atlantis ou le grand soir
Par Jean Carrière (extrait)
Hermos et Knephao, cependant, ont pénétré par une porte de bronze dans une salle immense, que sert de vestibule et qui d’ordinaire, reste ouverte au peuple.
- Surtout, murmure Knephao, ne montrons aucune hâte. Toute impatience apparente nous trahirait.
Les gardes saluent leurs chefs avec un affectueux respect, et considèrent Hermos avec surprise. Celui-ci fait halte un moment, attiré par une curiosité irrésistible devant les magnificences de cette salle nouvellement édifiée.
- Hermos, tu ne connais donc pas ce vestibule ?
- Comment je connaîtrais-je ? Je m’embarquai voilà cinq ans déjà.
- C’est juste ; et cette salle neuve, où s’immortalisent la gloire de la jeune Égypte, ne se laisse voir que depuis quatre années.
- Oréus, lui-même, en traça les grandes lignes, et Héllas en a hâté l’achèvement. Croirais-tu pas, Hermos, qu’on leur en a fait un crime, les accusant d’exalter l’Égypte pour y transporter la capitale du monde? Mais je vais te montrer les hauts reliefs des grands panneaux.
Ce disant, Knephao, entraîne Hermos sous l’immense voûte, dont les proportions harmonieuses frappes l’Apôtre étonnement. La salle est si vaste que s’élèvent vers le plafond une centaine de colonnes en marbre jaune, ayant chacune pour point d’appui quatre géants de cuivre agenouillés, dos à dos, et dont les muscles semblent éclater sous l’effort. Ils symbolisent les guerriers nubiens vaincus dans la Haute-Égypte. Entre les colonnes, dans de grands vases de terre vernie, jaillissent des palmiers aux larges feuilles, tandis que s’étendent des sphinx en granit rouge, sans ailes, aux têtes de femmes, les griffes en avant. Un bassin de jaspe éclaire de vifs reflets le centre de cette forêt immobile, et, autour du bassin, des crocodiles en bronze vert répandant l’eau qui chante en jets réguliers. Et comme Hermos s’arrête à chaque découverte :
- Viens, viens, dit Knephao. Voici qui va t’éveiller d’autres souvenirs.
Et contre la large muraille du fond, il montre à l’Apôtre un panneau d’argent bruni, de toute la hauteur de la salle, où, en figures de grandeur naturelle, les artistes de l’Île de Pourpre ont fait revivre avec orgueil les hauts faits des Atlantes sur la terre d’Égypte.
- Les admirables sculptures ! s’écrie Hermos. Mais c’est nous-mêmes, Knephao, te souviens-tu ?
- Et il touche du doigt, sur le métal, la figure en relief d’un éphèbe jouant de la lyre.
- Tiens, regarde, me voici précédant mon père en chantant un hymne à la gloire du Sphinx qu’on voit se dresser à l’horizon.
- Quel beau voyage, Hermos ! Tout mon cœur, en l’évoquant, est chaviré dans ma poitrine ! Que ne puis-je retourner à ce temps de jeunesse où toute la vie rayonnait d’espoir.
- Qu’as-tu donc, ami ? Quelle tristesse dans tes paroles ?
Mais Knephao, s’adressant aux fantassins de garde, à voix très haute, pour qu’on l’entende partout
- Eh là-bas, l’homme, sais-tu où se trouve, au fond du Palais, quelque chambre solitaire, où nul bruit ne puisse arriver de la ville ? Hermos a besoin d’un repos absolu.
Édens du passé
Fidèle à sa destinée cyclique, la vague atlantéenne a connu des crues et des creux. Après 1945, quelques auteurs ont tenté de maintenir le mythe en survie artificielle : J. Prieur (Navires pour l’Atlantide, 1947), F. Ashton (The Breaking of the Seals et Alas, That Great City, 1946-1948), P. Groom (The Purple Twilight, 1948), J. C. Pwys (Atlantis, 1954) et plusieurs autres.
Toutefois, visiblement, le thème est exsangue, et la science-fiction a les yeux tournés plutôt vers les étoiles du futur que vers les édens du passé.
Certes, le cinéma use parfois du thème (Atlantis, the Lost Continent, 1961 ; Warlords of Atlantis, 1978), ou même la télévision (L’Homme d’Atlantis, 1977), mais c’est l’essor de l’heroic fantasy qui va redorer le blason des Atlantides littéraires. Cija, la trilogie atlantidienne de Jane Gaskell (The Serpent, Atlan et the City, 1963-1966) popularise de nouveau le thème en le teintant d’érotisme et de magie. Paradoxalement, le mythe se ressource grâce aux recettes du passé : The Romance of Atlantis, paru en 1975, de T. Caldwell réactive le motif de la réincarnation. La Chute d’Atlantis (The Fall of Atlantis, 1985) de Marion Z. Bradley retrouve le charme des affrontements manichéens d’antan, et The Last Guardian (1989) de David Gemmel ressuscite… Noé, éternel rescapé du Déluge.
La boucle est bouclée. De même que les mythes ne cessent de muer, la fiction des continents perdus confirme que toute « production » littéraire n’est que « reproduction ». Tout thème archaïque englouti par l’histoire peut un jour « refaire surface ». D’ailleurs, la croyance est bien établie, en Bretagne, que la ville d’Ys n’est qu’« endormie » sous les flots, et qu’elle peut resurgir un jour. L’Atlantide, ou l’éternel retour…
(D’après Lauric Guillaud).

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