De faux dieux (par Gore Vidal)
De faux dieux… Je commençai de façon détournée : tout ce qu’avait écrit Homère était-il vrai ?
– Bien sûr ! Chaque mot !
– Alors Zeus et Apollon, et tous les autres dieux doivent exister, puisqu’il le dit. Et s’ils sont réels, alors que c’est-il advenu d’eux ? Jésus les a-t-il détruits ?
Pauvre Mardonios ! Il était en servant du classicisme. Il était également galiléen. Comme tant d’autres à cette époque, il était désespérément divisé. Mais il avait sa réponse toute prête.
Tu ne dois pas oublier que le Christ n’était pas né du vivant d’Homère. Si sage qui fut Homère, il n’avait pas le moyen de connaître l’ultime vérité que nous connaissons. Il était donc forcé de parler des dieux en qui les gens avaient toujours cru…
De faux dieux, selon Jésus ; alors s’ils sont faux ce que Homère écrit d’eux ne peut être vrai.
Pourtant, comme toute chose, ces dieux sont des manifestations du vrai. (Mardonius changeait du terrain). Homère croyait autant que nous. Il adorait le Dieu Unique, le principe fondamental de l’univers. Et sans doute avait-il conscience que le Dieu Unique peut prendre bien des formes, et que les dieux de l’Olympe sont parmi celles-ci. Après tout, jusqu’à ce jour, Dieu a eu bien des noms parce que nous avons bien des langages et des traditions, pourtant il est toujours le même.
– Quels sont quelques-uns des anciens noms ?
– Zeus, Hélios, le soleil, Sérapis…
– Le soleil (ma divinité), Apollon… commençai je.
– Apollon aussi a eu bien des noms : Hélios, Mithra, répétai-je doucement. (De l’endroit où nous étions assis, dans l’ombre du bosquet sur la pente au-dessous du palais des Daphné, j’avais tout juste un aperçu des mains divinité, empalée sur leur rameau vert sombre dans ses cyprès).
(Gore Vidal, « Julien », traduit de l’américain par Jean Rosenthal).