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Angélique se révolte

Angélique se révolte

Angélique se révolte

Sur la gauche, La Rochelle apparut, déroulant sont front de mer. On l’aurait dite très proche, étincelante de soleil au-dessus de l’eau, avec ses tours démantelées mais encore majestueuses : Saint-Nicolas, La Chaîne, la Lanterne. Le navire allait vers elle… Le port, antichambre de la liberté, était le fief d’une police tatillonne. Les navires soumis à un contrôle exact. Et il ne suffirait pas, pour respirer librement, de franchir, voiles déployées, le seuil du hâvre, entre la Tour de la Chaîne et la Tour Saint-Nicolas, de doubler la digue de Richelieu et de dépasser le cirque des falaises blanches. Les vaisseaux de ma marine royales croisaient au large de l’Île de Ré. Ils étaient là pour empêcher les condamnés de s’enfuir.

*

Elle fut, le lendemain, à Maillezais, la superbe abbaye bâtie sur une île parmi les eaux mortes et les saules. La nuit, l’on croyait entendre le bruit des vagues qui, au XIIe siècle, avaient battu les fondation de l’Abbaye. Vie dormante et bucolique des moines qui y pêchaient la grenouille et l’anguille, se préoccupaient moins de bréviaire que de siestes, gardant la la tradition de Rabelais, lequel, entre ces murs, avait écrit son Gargantua. On était loin de l’atmosphère ardente de Nieul. Les moines avaient peur des Protestants. Car ici, et jusqu’à la côte, il y avait surtout des Protestants….

***

La forêt commençait derrière le Plessis. Devant, il y avait les frondaisons du parc, puis celles de la campagne et sur la gauche, très loin, suspendu entre ciel et terre, mi-nuage, mi-song, le début des marais poitevins.

De sa tourelle, Angélique ne pouvait distinguer aucune trace de vie. Car le Bocage, avec ses champs enfouis qui couvre l’ombre d’un arbre, n’offre à l’œil qui le contemple, que le même aspect moutonnant de dômes feuillus, laqués de lumière qui caractérise la forêt. Métairies dissimulées sous la voûte des châtaigniers, villages si perdus que le son de leurs cloches ne franchit pas l’épais barrage des arbres. Là même où la vie champêtre battait de son active pulsation on ne voyait qu’un désert de verdure, creusé de sillons noirs trahissant les grandes failles rocheuses au creux desquelles coulent des rivières froides : Vienne, Vendée, Sèvres…

Falaises rosés, blessures béantes à travers la chair du sol, et creusées de grottes où la lumière des torches fait apparaître sous le salpêtre des silhouettes ocre ou noires, peintes, disait-on par les génies. L’enfant Contran les connaissait jadis. Sa sœur Angélique, fée de ces lieux magiques, les lui avait montrées. Mais comme il voulait être seul à les contempler, il avait chassé la petite fille, et Angélique, pleine de rancune, avait gardé pour elle, d’autres découvertes.

De la plaine, invisible, domaine du blé, voie des invasions, venait la vieille route romaine. Son serpent gris, fait de larges dalles écaillées, montait à l’assaut de la rustique forteresse qui enfermait jadis le pays gaulois des Pictones et qui fit longtemps obstacle aux légions des Césars.

Au Nord, prolongeant la forêt de Nieul, les forêts de Fontevrault, de Scevolle, de Lancloître, de Châtellerault et entre Vienne et Creuse, celles de La Guerche, de Chantemerle, à l’Est, au Sud, les marais de la Brume, les marais charentais, solitude des brandes, rideau boisé inaccessible, terres humides et bourbeuses…

Des dolmens, ces antiques tables de pierre édifiées pour quel signe encore ignoré, s’érigeaient au sein des forêts, des menhirs s’alignaient dans les landes, des chapelles obscures ouvragées comme des châsses, se dressaient à tous les carrefours en l’honneur d’un saint local, voisinant avec les ruines des temples romains dont ils étaient venus combattre les dieux.

C’étaient ces deux entités impénétrables: forêts et marais, qui s’étaient opposées aux bannières gonflées des hordes arabes, en l’an 732, aux chevauchées de l’Anglais famélique, durant la Guerre de Cent Ans.

Terre hérissée de donjons noirs construits par des magiciennes ou des chevaliers, et d’abbayes exorcisées : Ligugé, Airvault, Nieul, Maillezais…

Terre des guerres religieuses. Le champ maudit de La Châtaigneraie n’était pas loin, où les troupes catholiques avaient égorgé en 1562 une centaine d’hommes, de femmes et d’enfants assemblés pour le prêche, et l’on se souvenait encore du côté de Parthenay, du reître protestant Puyvault qui se faisait des fricassées d’oreilles de moines.

Terre des révoltes aussi et des brigandages, Bruscambille, et sous Richelieu, les «Va-nu-pieds» qui massacrèrent les collecteurs d’impôts, et sous Mazarin les gens du marais que les soldats du roi avaient pourchassés en vain, «filant comme anguille dans les chenaux»…

Angélique se révolte. Éditions de Trévise, 1961. Anne et Serge Golon.

Angélique. Illustration par Megan Jorgensen.
Angélique. Illustration par Megan Jorgensen.

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