La poésie

Poésie au Québec

Au début des années 1950, avec la création de la maison d’édition l’Hexagone, la poésie au Québec s’émancipe des préoccupations introspectives (lyrisme personnel) ou métaphysiques (questions religieuses) qui caractérisent les textes d’Anne Hébert, Hector de Saint-Denys Garneau, Rina Lasnier et Alain Grandbois.

Une nouvelle poétique se dessine. Les poètes expérimentent les styles et les tons, qu’ils soient traditionnels ou modernes. Les poètes essaient de communiquer une parole nue, fondatrice d’un territoire poétique qui intègre et révèle l’espace québécois.

Les changements de divers ordres que l’on observe au Québec dans les années 1960 ont des effets multiples sur la pensée poétique. La poésie, plus que tout autre genre littéraire, est un sismographe du réel. La vie urbaine et quotidienne devient le paysage de fond sur lequel le poète reconnaît et décrit son existence sur un ton qui a retrouvé le lyrisme fondateur, cette expression d’un moi profond à l’affût des moindres tremblements de l’être.

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La poésie enregistre les mutations idéologiques, philosophiques, esthétiques, sociales qui surviennent dans un contexte donné. La poésie préfigure les grands enjeux auxquels une époque aura à se confronter. L’urbanité est ressentie comme un lieu de perte où l’écrivain devient un parmi d’autres. Cependant, elle se vit aussi comme un espace d’affirmation de son individualité. Dans sa relation à l’autre, que ce soit par la séduction ou par sa simple présence dans une foule. Là où l’écrivain prend conscience de ce qu’il est avec ses désirs, ses angoisses et sa mélancolie.

C’est sur le mode du journal et de l’autobiographie que s’écrit cette poésie qui se fait appeler « texte » ou « nouvelle écriture ». Appellations qui illustrent bien l’hybridation des genres chez des poètes comme Claude Beausoleil, Lucien Francœur ou Denis Vanier.

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Au tournant des années 1960, la poésie québécoise dévient un pôle à l’Hexagone, après une période de recherche, « d’appropriation subjective et de parole individualisée », comme le précisent Laurent Mailhot et Pierre Nepveu, auteurs de l’anthologie La Poésie québécoise. « L’Hexagone désigne avant tout une mutation sociologique, un changement du statut des poètes et des écrivains ».

Grâce aux médias et au nationalisme culturel, les poètes bénéficient alors d’une meilleure diffusion et reçoivent une plus grande attention du public. Un grand nombre de spectacles et de rencontres favorisent les échanges entre poètes et lecteurs, créent une solidarité jusque-là inédite.

On peut citer ceux et celles qui, dans la décennie précédente, ont valorisé les accents transgressifs de la poésie dans le formalisme : Roger Des Roches, Yolande Villemaire, André Roy, Normand de Bellefeuille, Hugues Corriveau, auxquels se greffent de nouveaux écrivains comme Jean-Marc Desgents, Marcel Labine, Louise Dupré, Anne-Marie Alonzo, Louise Cotnoir, Paul Chanel Malenfant.

* Poésie au Québec

allien illusion Poésie au Québec
Allien Illusion: True or False. Image : © Megan Jorgensen.

Dorénavant, la poésie s’oriente vers une lecture plutôt consciente – l’histoire est réhabilitée – informée à l’extrême, parcourue d’un réseau d’inter-textes, de citations et de références littéraires et culturelles de toutes sortes. Aussi de la réalité que l’on traque parfois dans sa plus totale banalité. Le discours poétique devient plus narratif, syncopé, largement dissymétrique. Il manipule l’art du fragment. La poésie se lie ainsi aux cultures nouvelles.  Tout en empruntant pêle-mêle des données factuelles au passé de façon à surmultiplier les marques du réel par le trompe-l’œil et la perspective.

Parallèlement se dessine un autre courant qui renoue avec une tradition poétique associant poésie et philosophie. Le poète interroge le devenir du vivant, redécouvre la dimension spirituelle de l’existence et sonde le sens sacré de l’univers. De cette façon, la nature n’apparaît plus nécessairement comme un lieu de rêverie et d’évasion, mais témoigne de la complexité du miracle de la création où la vie entière prend forme et force.

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Des poètes comme Robert Melançon ou François Charron, jadis associés au mouvement formaliste, ou comme Hélène Dorion, témoignent de cette attitude poétique. L’adoptent également des jeunes poètes qui n’ont plus l’audace des avant-gardes. Ils sont trop préoccupés qu’ils sont par un vouloir-vivre dans un monde où ils ont souvent l’impression de n’être que l’autre génération sacrifiée.

En fait, la montée du mouvement nationaliste, propre à l’époque, offre une tribune de premier plan à la poésie du pays. Les poètes seront de toutes les manifestations et fêtes populaires. Leur engagement culminera dans la Nuit de la Poésie de 1970. (Ce grand spectacle soulèvera l’enthousiasme dans toues les villes du Québec). Un peu plus tard, les poètes participeront aussi aux rassemblements politiques organisés par le Parti québécois. Leur poésie, enseignée dans les cégeps et les universités, sera l’objet de nombreuses études.

La recherche identitaire prend appuis sur le développement d’une conscience nationale. Celle-ci caractérise le milieu intellectuel québécois alors en plein épanouissement.

Gaston Miron a exprimé mieux que quiconque cette volonté de fonder une poésie enracinée. En crise directe sur le pays dans ses nombreuses publications de la période 1950-1960. (On les regroupe dans le recueil L’Homme rapaillé, paru en 1970). L’action de Miron a été dirigée vers la constitution d’un héritage poétique grâce à la création de la collection Rétrospective à l’Hexagone. En effet il y a rassemblé les recueils plus ou moins négligés d’écrivains que l’on considérera comme des classiques de la poésie québécois. Il s’agissait Roland Giguère, Alain Grandbois, Gilles Hénault et quelques autres.

* Poésie au Québec

De jeunes poètes issus des cégeps et frais émoulus des universités logent à l’enseigne de la recherche formelle et du laboratoire d’écriture. Ceux-là tenteront de dissocier discours poétique et engagement politique. Roger Des Roches, l’un des auteurs vedettes du mouvement formaliste, n’a pas hésité à affirmer « qu’au pays incertain, il préfère le corps certain ». Cette phrase incendiaire lui a valu les huées d’une foule survoltée, venue célébrer la première édition de la Nuit de la poésie. Les théories littéraires de Roland Bathes, Maurice Blachot, les théories linguistiques de Roman Jacobson, la philosophie politique de Karl Marx et les théories psychanalytiques de Freud. Mais aussi la contre-culture américaine, inspirent alors des textes éclatés et hybrides qui secouent à leur tour les habitudes de lecture.

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Sexualité exacerbée. Image : © Megan Jorgensen.

Le lyrisme devient suspect. Il s’estompe donc sous le pouvoir créateur des formes nouvelles. Celles-ci mêlent savamment poésie, discours théorique, sexualité exacerbée. Des revues dites d’avant-garde comme Les Herbes rouges, la Barre du jour ou Hobo Québec jouent un rôle essentiel dans la diffusion et la critique de cette poésie, surtout entre 1968 et 1975.

(D’après Littérature québécoise, des origines à nos jours. Claude Cassista, Roger Chamberland, Robert Lévesque, Jean-Pierre Myette, Jean Simard, Heinz Weinmann).

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L’expression poétique est éternelle… Image : © Megan Jorgensen.

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