Un Noël intime
Noël… Les deux loulous, Toby et Bobette, confortablement pelotonnés sur un coussin de la salle à manger, écoutaient les carillons pleuvoir dans le silence comme de larges gouttes de lumière.
Ils allaient s’endormir, lorsque leur maîtresse poussa la porte…
Fort intrigués, ils la virent déposer sur la table un objet en carton – pâte (une étable en réduction) où différents personnages et animaux paraissaient, avec leurs gestes figés, se diriger vers une petite crèche remplie de paille où dormait un enfant.
Les larges gouttes de lumière des carillons pleuvaient toujours…
Soudain, Jacques et Berthe, les deux jeunes espiègles de la maison – quatre et cinq ans à peine – firent irruption.
Ils allèrent droit à l’établie. Et tandis qu’ils s’extasiaient devant le jouet merveilleux, la mère leur dit : « C’est aujourd’hui Noël, le jour ou le Petit Jésus est né… Ce fut dans une étable pareille à celle-ci, à Bethléem… » Et elle leur expliqua le mystère et la mission de l’Enfant – Dieu, leur désignant la Sainte-Vierge, les Bergers, l’Étoile, les Rois Mages, le Bœuf et l’Ane…
Tous trois demeuraient baignés dans un silence religieux et tendre, comme si un peu de ciel fut descendu jusqu’à eux…
Le père entra. Friquet, le minet, en profita pour se glisser derrière lui. Les carillons, étincelants et légers, sonnaient encore…
Une atmosphère surnaturelle de confiance et d’harmonie attendrie baignait les êtres et les choses…
Bobette s’étonna :
Comment l’Humanité, si méchante, si fausse, dominée par de si bas instincts, peut-elle avoir la notion de Dieu et de l’Au-delà!
Je n’aurai jamais cru, s’exclama Toby, que ces êtres matériels et pervers soient capables de nourrir des idées aussi élevées et de donner l’impression, parfois, d’une apparente bonté et de quelque noblesse.
Bebette voulut découvrir là un signe de l’influence qu’exerce sur eux le voisinage des bêtes. Elle remarqua :
Vois, les enfants ne se battent pas. Leurs parents eux-mêmes ne se querellent pas, aujourd’hui. En vérité, c’est prodigieux!
Toby, très observateur, ajouta!
Ils vont jusqu’à se montrer très corrects envers leurs supérieurs, c’est-à-dire, envers nous.
C’est vrai. Ainsi Jacques ne tire par la queue de Friquet. Et notre maîtresse n’a-t-elle pas donné un échaudé au chardonneret!
Et Toby :
Et Nul ne me tire les oreilles ou ne m’arrache les poils en ce jour béni!
Bien mieux, Berthe s’avançait vers les loulous, un morceau de sucre à chaque main… Ils n’en pouvaient croire leurs yeux.
Bien entendu, ils ne prêtaient pas foi à la présomption des hommes qui pouvaient imaginer un Être Suprême assez bon pour pardonner à des créatures aussi sottes et inférieures qu’eux et assez faible pour leur ménager un paradis dans son royaume éternel.
Ils virent là une intervention manifeste de leur dieux à eux…
Ils restèrent convaincus qu’en ce jour anniversaire naissait dans l’Infini : pour les chardonnerets, un ciseau aux plumes multicolores, dans un nid tressé de rayons de soleil; pour Friquet, un minet aux yeux perçants et à la fourrure bleue comme le ciel; et pour eux, un toutou gigantesque qui menait l’homme en laisse.
Noël, Noël…
– Et Bobette et Toby, pelotonnés voluptueusement sur leur coussin, écoutaient dans un pieux recueillement les lumineux carillons qui sonnaient pour eux…
(Tiré du journal Le Canada, vendredi, 24 décembre 1920).