Littérature du Québec

Notre littérature à vol d’oiseau

par Danielle Turgeon, les Diplômés, N362, été 1988

Notre littérature rappelle parfois le terroir, tout comme la pipe de Louis Caron. Elle se fait mystérieuse, se dissimulant sous les mots de Réjean Ducharme ou de Marie-Claire Biais, aimante de la nature dans les récits de Félix-Antoine Savard. Imaginative comme l’œuvre d’Anne Hébert ou sévère quand elle prend ses airs de Victor-Lévy Beaulieu !

Au fils des ans, les événements politiques ont dessiné notre paysage toujours un peu fragile. Bien que la littérature québécoise vacille à l’occasion st se cherche, elle fera sa marque : Le Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy se mérite le prix Fémina, Une saison dans la vie d’Emmanuel de Marie-Claire Biais est couronné par le prix Médicis, Pélagie-la-Charrette d’Antonine Maillet reçoit le prix Concourt et Les fous de bassan d’Anne Hébert remporte aussi un prix Fémina.

Plusieurs ouvrages ont d’abord été publiés en France avant de l’être au Québec, entre autres ceux de Réjean Ducharme et de Jacques Godbout.

Notre fragilité ne s’est pas estompée. Toujours on s’interroge sur la différence entre la littérature québécoise et la littérature française ou américaine.

Et aujourd’hui, des auteurs haïtiens, italiens et autres posent un nouvel élément d’interrogation et rivalisent avec les auteurs d’ici. Notre littérature ne sera plus jamais la même. Ces auteurs n’ont pas les mêmes mythes collectifs que nous, leurs traditions diffèrent. On n’a qu’à penser au succès du livre de Dany Lafrenière: Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer.

Le phénomène du bestseller québécois surprend toutefois. Les ouvrages de nos auteurs, qui nous ressemblent et auxquels le lecteur s’identifie facilement, ne se sont jamais vendus autant par le passé. Le marketing de l’édition est de plus en plus fort.

Nos histoires sont moins tragiques. Michel Tremblay, Yolande Villemaire, Francine Noël, Jacques Poulin et Yves Beauchemin sont les porte-parole de cette littérature qui a le sens du jeu et de l’action.

Nos histoires anciennes

La littérature québécoise antérieure à la Seconde Guerre mondiale est plutôt mal connue. Ses auteurs resteront dans l’ombre, sauf peut-être Emile Nelligan (1879-1941), Saint-Denys Garneau (1912-1943) et Alain Grandbois, né en 1900, tous les trois poètes et mieux connus après leur mort.

Au tournant des années 1940, ce sont les critiques littéraires qui déterminent la façon d’écrire le roman. « Parler du pays mais pas en n’importe quel sens ni de n’importe quelle manière. Le père l’emporte sur le fils, la tradition sur la nouveauté, la campagne sur la ville et la religion sur l’impiété. La soumission, l’esprit de sacrifice et de renoncement devaient apparaître comme les fondements d’un bonheur axé uniquement sur l’abandon à la volonté divine. » (Maurice Lemire, Introduction à la littérature québécoise).

Les écrits se limitent donc au culte et à l’éloge des vieilles choses et du bon vieux temps !

Sous la férule des contraintes morales et religieuses du clergé catholique, naîtront des romans régionalistes Un homme et son péché de Claude-Henri Grignon, Menaud – maître draveur de Félix-Antoine Savard, L’appel de la terre de Damase Potvin et l’œuvre de Louis Hémon, Maria Chapdelaine qui demeure le premier vrai roman de ce type, traduisent une réalité : celui qui possède la terre est possédé par elle. Trente arpents (1938) de Ringuet est le premier ouvrage qui met fin au roman de la terre et marque une page d’histoire Le Survenant de Germaine Guèvremont suit sa trace.

Du côté delà poésie, deux grands courants caractérisent la production littéraire du début du siècle : l’exotisme et le « terroirisme ». Les tenants du dernier vantent les mérites de la terre, du fleuve Saint-Laurent, des champs, de Dieu et les seconds tentent de miner cette littérature en défendant à peu près le point de vue suivant, exprimé par Jean-Charles Harvey en 1925 : « La pauvreté d’expression de la littérature canadienne, son étroitesse d’inspiration et son absence de pensée font qu’elle n’apprend rien au lecteur et qu’elle s’adresse, invraisemblablement, aux gens qui ne lisent pas! »

Parmi les œuvres dites exotiques, les plus en vue à l’époque sont Les atmosphères de Jean-Aubert Loranger, Le paon d’émail de Paul Morin, Les Phases et Mignonne allons voir si la rose est sans épines de Guy Delahaye. D’autres poètes se tiennent à l’écart de cette querelle. Parmi eux, Alfred Des-Rochers, Rina Lasnier et Robert Choquette.

1950 : la rage de l’expression

À l’aube des années 1950, c’est l’entrée de la ville dans le champ romanesque, la fin du roman de la terre comme valeur de littérature. Les Plouffe de Roger Lemelin et Bonheur d’occasion de Gabrielle Roy sont des œuvres qui marquent l’époque. Le Québec ancestral vole en éclats.

Le Torrent et Le tombeau des rois d’Anne Hébert, La bagarre de Gérard Bessette, ainsi que Poussière sur la ville d’André Langevin, ce romancier de l’inquiétude et de l’angoisse, gagnent le respect. André Langevin écrira aussi à cette époque Évadé de la nuit et Le temps des hommes.

Du côté de la poésie, les œuvres de ces années se caractérisent par le poids de la solitude et l’isolement de l’entreprise poétique de l’écrivain dans son milieu.

Une nouveauté toutefois : en plus des influences françaises, les poètes québécois se choisissent des maîtres d’ici tels Alain Grandbois, Rina Lasnier et Saint-Denys Garneau.

La poésie du pays se développe avec l’Hexagone, qui édite les œuvres des nouveaux poètes québécois, les Roland Giguère, Fernand Ouellette, Yves Préfontaine, Paul-Marie Lapointe, Jean-Guy Pilon et Catien Lapointe, en plus de rééditer certains recueils plus anciens.

L’Hexagone, c’est six personnes réunies autour de Gaston Miron qui a dit: « C’est entendu, nous parlons et nous écrivons en français et notre poésie sera toujours de la poésie française. D’accord.

Mais voilà, il faut le répéter, nous ne sommes plus français Notre tellurisme, notre social, notre mental ne sont plus les mêmes. » … On passe de la canadienneté à la québécitude.

1960 : le rêve perd patience

Autre temps fort : l’aube des années 60, quand le climat politique est en effervescence et la littérature en ébullition (selon l’expression consacrée de Gérard Bessette). Les œuvres déferlent avec impétuosité. La révolution tranquille est la lame de fond d’une production romanesque SI intense qu’il est difficile de la décrire en détails.

Les romanciers de cette époque s’amusent de l’instabilité sur le plan de la forme. Ils parlent de l’amitié, du plaisir, de la présence de l’autre. C’est un peu le thème du vivre ensemble qui se fait présent dans leurs œuvres.

C’est une période pendant laquelle notre littérature paraît assurée de son identité. Dans Le couteau sur la table, L’Aquarium, Salut Galarneau, Jacques Godbout se sert de l’ironie et de la satire pour traiter des problèmes fondamentaux. Prochain épisode et Trou de mémoire, d’Hubert Aquin, sont des œuvres qui font parler d’elles par leur grand sérieux. La guerre, Yes, Sir, de Roch Carrier, s’attaque à la vision traditionnelle de l’habitant et aux rapports entre les deux langues, l’anglais et le français.

YvesThériault, un des auteurs les plus prolifiques du Canada français, se préoccupe des questions ethniques avec Agaguk et Ashini. Gérard Bessette propose une analyse psychanalytique dans ses romans, que ce soit Le Libraire, Les pédagogues ou L’incubation. Les œuvres de Jacques Ferron se livrent, elles aussi, à une méditation concernant la réalité québécoise. Le ciel de Québec, Les roses sauvages et L’Amélanchier ont un caractère militant tout en contenant une forte dose d’ironie.

Puis, toujours durant les années 1960, les auteurs d’ici sont applaudis par la critique française : Réjean Ducharme avec L’avalée des avalés. Le nez qui vogue, L’Océantume, Marie-Claire Biais avec Une saison dans la vie d’Emmanuel et Claire Martin grâce à Dans un gant de fer et La joue droite. Autant de thèmes, autant de succès.

La révolution linguistique

À partir de 1963 environ, il faut mentionner un courant important : les auteurs s’attaquent â la langue elle-même, qui deviendra le fer de lance d’une révolution culturelle. C’est l’apogée du langage commun, que tous peuvent comprendre, relié au thème du pays. On s’amuse à écrire pour le plaisir du langage, autant dans la poésie que dans le roman.

Le joual sert de phénomène littéraire, comme dans les œuvres de Gérald Godin, dans Le Cassé de Jacques Renaud, Le Cabochon d’André Major et Pleure pas, Germaine de Claude Jasmin.

Les auteurs jouent avec les écarts entre la langue écrite et la langue parlée, au déplaisir de certains comme Jean-Paul Desbiens et André Laurendeau qui se demandent comment on peut se complaire dans un style aussi vulgaire !

« Parler joual », écrit Desbiens dans les Insolences du frère Untel, c’est précisément dire jouai au lieu de cheval [… ] Le joual est une langue désossée, les consonnes y sont escamotées […] Remarquez que je n’arrive pas à signifier phonétiquement le joual. Le joual ne se prête pas à une fixation écrite. Le joual est une décomposition et l’on ne fixe pas une décomposition. »

Du côté de la poésie, contrairement au roman, c’est plutôt la rupture avec le discours. La Barre du Jour, fondée par Nicole Brossard – qui devient en 1977 La Nouvelle Barre du jour où se retrouve une écriture principalement féminine – et Les Herbes rouges prônent une poésie qui s’en tient à la langue seulement et ne véhicule plus de message nationaliste.

Depuis 1970 : les auteurs de la relève

Plus près de nous, comment ne pas souligner en tout premier lieu l’œuvre effarante de Victor-Lévy Beaulieu, cet écrivain de la démesure, incluant Race de monde et L’Héritage, deux œuvres mieux connues du grand public parce que portées au petit écran.

En fait, les vingt dernières années ont vu naître bon nombre de nouveaux romanciers. Parmi eux, on remarque les voix de Louis Caron avec ses romans historiques L’Emmitouflé et Le canard de bois ; de Gilbert La Rocque, Après la boue, Serge d’entre les morts et Les masques ; d’Yves Beauchemin, dont les deux œuvres romanesques, Le Matou et L’Enfirouapé ont été de brillantes réussites ; et bien entendu de Michel Tremblay, C’t’à ton tour Laura Cadieux et La grosse femme d’à côté est enceinte.

La présence de l’exotisme et du voyage se fait aussi présente dans les romans. Les silences du corbeau d’Yvon Rivard, L’hiver de Mira Christophe de Pierre Nepveu et La vie en prose de Yolande Villemaire sont des romans à la foi de Montréal et d’ailleurs. Il faut aussi mentionner à titre de nouveauté les œuvres de Madeleine Ouellette-Michalska, Francine Noël, Alice Parizeau, Jovette Marchessault Robert Lalonde, Jean-Yves Soucy, Denys Chabot et Normand Rousseau.

Du côté de la poésie, L’homme rapaillé de Gaston Miron se situe au centre de la création québécoise au début des années 1970. Michèle Lalonde offre Speak White et d’autres auteurs s’amusent à malaxer le langage. Les jeunes poètes, tels Lucien Francœur et ses collègues qui utilisent le français et l’anglais, sont influencés par une contre-culture américaine.

Et aujourd’hui, comment dessiner la géographie du champ littéraire ? Après avoir bien décrit le Québec dans ses romans du terroir, après avoir parlé de notre identité et de notre langage autant à l’aube des années 40 qu’au cours des années 60, après avoir traversé les frontières avec des romans à succès, que reste-t-il â faire ? Parions que sous une surface paisible en apparence, il se prépare bien d’autres mutations…

littérature québécoise
Des dizaines d’auteurs et et de centaines de titres, des connus et des moins connus… sons compter les inévitables oublis. De quoi nous rappeler bien des souvenirs de lectures. Photo : © GrandQuebec.com.

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