Littérature sur l’Atlantide
Origine et résurgences du mythe atlantéen
On peut classer la littérature atlantidéenne en deux rubriques : D’abord, les récits et les romans consacrés à l’histoire ou méta – histoire. Ces ouvrages se rattachent à la reconstitution romancée des événements cataclysmiques dans le passé. Ensuite, il y a les ouvrages « contemporains » qui sont de beaucoup plus nombreux. Ces romans et nouvelles se situent à côté de la thématique des mondes et terres perdus, évoquant des colonies atlantes ayant survécu à la catastrophe jusqu’à nos jours. Ces ouvrages étaient nourris d’informations collectées au fil du temps.
Rappelons brièvement donc l’origine d’un mythe qui s’est manifesté de manière « cyclique » dans l’histoire.
Le récit le plus ancien que l’on ait au sujet de l’Atlantide nous vient de deux célèbres dialogues de Platon, qui vécut au IVe siècle avant J-C. Ce sont les Timée et Critias (Voir aussi : Platon et l’Atlantide).
La fiction moderne toutefois entretiendra elle aussi des rapports étroits avec les textes platoniennes, dont l’équivoque autorisera les interprétations les plus audacieuses, notamment dans le domaine de la science-fiction. Le mythe se diluera un genre littéraire qui demeure très populaire jusqu’à nos jours, malgré la prolifération d’autres types d’amusement dans notre monde.
Ce genre démythifiera la version originelle d’une façon radicale : Le royaume de l’Atlantide n’a pas été engloutie mais il s’est caché quelque part. Ils se sont envolés vers les étoiles, ils ont voyagé à travers le temps vers le futur ou vers le passé… Les Atlantes sont parfaits ou impures (cela dépend des tendances en vogue au moment de parution d’une nouvelle œuvre littéraire. Cette utopie devient exemplaire et épique, le mythe s’est glissé vers la littérature des mondes perdus… Ce bref récit de Platon, ces rudiments romanesques qu’il ne fait qu’ébaucher, sont la base de toute la littérature de mystère et de terres perdues.
La science-fiction s’empare des troubles narratifs dans les deux dialogues pour profiter de cette ambiguïté platonicienne pour ressusciter un pays perdu, utilisant l’Atlantide comme un moteur narratif grâce auquel le roman peut ressortir à l’enquête scientifique et au suspense inhérent à l’aventure.
L’Atlantide peut aussi passer librement du côté de l’occultisme ou s’abandonner à la fantaisie des « uchronies », jouant à la fois des décors futuristes (cités de verre ou engins volants qui sauvent la civilisation atlantidéenne en transportant les Atlantes sur Mars, par exemple) et de mœurs archaïques – société hellénisante ou communauté patriarcale.
Ces développements romanesques du mythe atlantidéen sont parfaitement compréhensibles si l’on les voit du point de vue de la perspective historique car ces mythes d’une cité idéale a de tout temps excité la curiosité des érudits. Il s’agirait de « le plus prodigieux roman policier de l’histoire, puisqu’on en cherche la clé depuis 2500 ans », d’après Jacques Van Herp (Panorama de la science-fiction, Vervières, Marabout, 1985, p. 85).
Atlantide dans la littérature du XIXe siècle
À partir du XIXe siècle, sur le plan littéraire, les romantiques allemands offrent du mythe atlantidéen une lecture qui reflète les vues scientifiques des philosophes de la Nature. Le roman inachevé de Novalis, Henri d’Ofterdingen (1802) et le conte d’Hoffmann, le Vase d’or (1814), renvoient à un paradis dont les hommes ont perdu la mémoire pour s’être abandonnés à la religion de la Raison, substituant à la vision d’un royaume disparu celle d’un monde régénéré. Le mythe de l’âge d’or renaît, tel le phénix.
Vers la deuxième moitié du XIXe siècle, se développe une véritable littérature atlantidéenne qui entretient la confusion entre science et imaginaire. En 1855, Jacob Kruger reprend l’opinion périmée qui identifiait l’Amérique avec l’Atlantide. Le poète allemand Robert Prutz s’efforce en outre de démontrer que les Phéniciens avaient découvert l’Amérique…
L’ouvrage de E.F. Berlioux, Les Atlantes, paru en 1874, marque le point de départ des Atlantides africaines, en tentant de démontrer que le continent perdu se trouve dans les monts Atlas. Leo Frobenius le situe par contre dans la région de Bénin au Nigeria, Knotel en Afrique du Nord, Borchardt et Herrman en Tunisie. Le romancier Pierre Benoît s’inspire de la légende de l’ancêtre mythique des Touareg connue sous le nom de Tin-Hinan pour se célèbre Atlantide, perdue dans le Hoggar (1919).
Tout naturellement, ces ouvrages où le fantastique le dispute au légendaire éclipsent presque totalement les livres plus sérieux et donc fastidieux. Les théories scientifiques sont mises sous l’éteignoir par des ouvrages de pseudoscience qui connaissent un grand succès populaire à l’aube du XXe siècle, en particulier ceux de l’Américain Ignatius Donnelly et du Français Augustus Le Plongeon.
L’Atlantide s’est partagé avec d’autres « civilisations » tout aussi hypothétiques, comme la Lémurie ou Mu, ou même historiques comme celle de l’Égypte, l’honneur d’être placée à l’origine de toutes les cultures humaines. Ce « diffusionnisme » atlantéen est inauguré par Ignatius Donnelly, dont l’Atlantis, the Antediluvian World (1882) est constamment réimprimé. Bien qu’il soit un tissu d’à-peu-près, l’ouvrage devient en quelque sorte la bible de l’atlantisme.
Selon Donnelly, l’Atlantide aurait été le point de départ de notre civilisation actuelle. Fasciné par la philologie, Donnelly croit pouvoir rapprocher l’alphabet maya de Landa, publié par l’abbé C.E. Brasseur de Bourgourg, des hiéroglyphes égyptiens, et se vante d’avoir découvert les similitudes de langage entre les Chinois et les Indiens Otomi de Mexico.
Après avoir étudié la tradition universelle du Déluge et avoir exclu la possibilité d’une ressemblance de hasard, Donnelly avance une seule origine possible, selon lui : l’Atlantide. Malgré son manque de rigueur scientifique, l’ouvrage de Donnelly se vendra pendant des années à des milliers d’exemplaires.
Sans le vouloir, et de façon primaire, Donnelly fait œuvre de mythologue, recensant les plus ancienne traditions des peuples perdus afin d’en démontrer l’universalité. C’est cette quête maladroite des origines de la civilisation qui explique la surprenante adhésion des lecteurs de l’époque, avides de retrouver la voie perdue de la croyance, dans un monde en pleine mutation. Ainsi s’explique parallèlement le succès des romans de mondes perdus atlantidéens, marqués par un retour aux origines et aux mythes paradisiaques de l’âge d’or et influencés par la para la vague d’occultisme qui déferle alors sur l’Europe et l’Amérique.
(D’après Lauric Guillaud)
Jules Verne et Atlantide
Jules Verne fait œuvre de précurseur même pour le thème Atlantide, car, il semblerait que le premier roman atlantidéen anglo-saxon remonte à 1886, bien après les premiers œuvres de Verne se référant peu ou prou au mythe platonicien. En outre, les Atlantides verniennes, au nombre de sept, reflètent l’évolution du thème.
Des aventures du capitaine Hatteras (1866), où la présence de l’Atlantide est hypothèse géographique, à « Éternelle Adam » (1910), publication posthume parfois attribué à son fils ou il est le fil conducteur du récit, l’image mythique s’en verse, passe des étapes intermédiaires (Vingt mille Lieues sous les mers, 1870, et l’Île Mystérieuse, 1874). En quarante années de création romanesque, l’Atlantide initialement associée au jardin d’Hespéride quitte son statut de pays merveilleux pour devenir « l’île-épave, lieu prosaïque par excellence, où les rescapés du déluge luttent contre la faim, les intempéries et la perte du langage.
À l’instar du pôle atteint par Hatteras, véritable « Terre promise » l’Atlantide émergeait, dont Nemo traverse les vestiges, représente un de ces « points suprêmes » qui permettent aux héros verniens de fouler le sol primordial : « Je marchais là même où avaient marché les contemporains du premier homme ! Quant à Arronax, il suppose qu’« un jour, peut-être, quelques phénomènes éruptifs les ramènera à la surface de flotte, ces ruines englouties ». Le désastre atlantidien, prototype poétique de bouleversements telluriques deviendra peu à peu un repère mythique contribuant « à donner une dimension eschatologique » à l’œuvre de Jules Verne, la figure sinusoïdale de surgissement et d’engloutissements venant illustrer la très ancienne théorique de l’éternelle retour.
Cette parenthèse s’imposait, d’une part parce que Vingt Mille Lieues sous les mers, traduit en anglais en 1873, connut un grand succès littéraire dans les pays anglo-saxons et introduisit le motif atlantidéen dans le roman d’aventures, et d’autre part parce l’évolution même de l’œuvre atlantidéenne de Verne correspond à celle du mythe dans la fiction romanesque : dans un premier temps, le voyageur explore les ruines majestueuses du continent disparu (1870), puis on observe une transition vers une vision sombre du mythe (L’île mystérieuse, paru en 1874), le motif « arcadien » s’inversant en motif « diluvien », jusqu’au « Nouvel Adam » qui se conclut sur le choc pathétique de la révélation des cycles de l’humanité ; ce que Valéry traduira à sa façon : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ».
(Le Cercle de l’éternel déluge, par Lauric Guillaud).
Voir aussi :
