Le dernier mot : chapitre 3

Le dernier mot : Chapitre 3

Le lendemain, lorsque Malcolm arriva à son cubicule aux environs de 8h30, une note de Monsieur Girontin l’attendait “ ! Dans mon bureau à 9 heures ! ”.

Malcolm était très inquiet… Son effraction de la nuit dernière aurait-elle été vue par quelqu’un ? Son inquiétude redoubla quand il ouvrit la porte et découvrit Mélioïdose. Elle semblait imperturbablement calme. Lui, il était au comble de l’agitation. Il était certain que Méli avait découvert qu’il avait lu la lettre et que c’est pour cela qu’ils étaient convoqués… oui, son renvoi de Wordalive était imminent maintenant… ah, mais pourquoi était-il aussi curieux…

Girontin commença. Il leur dit que Wordalive avait reçu de curieuses nouvelles de l’étranger. Il semblait se produire un phénomène linguistique bizarre à Milan. Aussi avait-il été décidé d’envoyer deux enquêteurs sur place : Mélioïdose, en tant que chef du département des mots émergents était concernée au premier chef. Malcolm l’accompagnerait puisqu’il y avait en même temps que création de mots, disparition de mots.

Girontin conclut son discours par un mystérieux : “ Je ne peux vous en dire plus, vous devez rester des observateurs objectifs. ”

Malcolm, soulagé de s’être trompé quant à son renvoi, s’insurgea :

– C’est hors de question, je ne veux pas aller en Italie, je déteste la côte méditerranéenne, l’air y est totalement moisi. J’ai besoin de sentir le varech, l’air frais de la mer… et j’ai le dossier des Dictyothyris coarctata à finir.

Girontin sursauta : “Le dossier des quoi ?” mais il enchaîna très froidement que ce voyage devait être vu comme une promotion, car il avait apprécié sa “curiosité naturelle” lors du colloque, aussi voulait-il lui donner l’occasion de faire ses preuves sur le terrain. De plus, ajouta-t-il, c’était un grand honneur pour Wordalive, une entreprise parmi des dizaines d’autres œuvrant dans le domaine de l’O.V.L.N.I. (l’observation des variations linguistiques nouvellement identifiées) et située en Normandie, d’avoir été choisie pour cette mission, encore une retombée inespérée de ce colloque.

“D’ailleurs, ajouta-t-il avec un enthousiasme soudain, ne vous inquiétez pas, vous allez à Milan en Estrie, au Québec, l’air y est incroyablement vi-vi-fiant, et les paysages sont… à couper le souffle”.

Il lui laissa clairement sous-entendre qu’en cas de refus, il serait alors renvoyé. Malcolm, le souffle effectivement coupé par ce dernier argument, dut donc se résoudre à découvrir les charmes milanais.

Mélioïdose quant à elle, parut d’abord surprise puis l’ébauche d’un sourire s’esquissa sur ses lèvres lorsqu’elle entendit les détails de leur destination : Milan, en Estrie.

Mélioïdose dit :

-Pensez-vous vraiment qu’il y a matière à enquête ? Il est bien connu que le français québécois est très différent, j’imagine que le québécois estrien a ses particularismes particuliers, et c’est tout, non ? Je me souviens avoir lu jadis un corpus qui mentionnait la tournure : “ C’est un 3 1/2 qu’on est après faire là ”, tournure disparue en France mais qui est active en Acadie et en Estrie, et qui n’a donc rien d’un néologisme.

-Votre voyage est indispensable. En fait, ce ne sont pas ces périphrases, fort habituelles en effet, qui sont visées par votre enquête, mais d’autres phénomènes beaucoup plus inquiétants. Votre enquête sera intitulée Milan-périphrases.

Malcolm qui louchait sur le dossier qu’on remettait à Mélioïdose, au vu du titre, sursauta… en effet, sous l’effet du mouvement brusque que fit Mélioïdose pour saisir le dossier, les lettres se déformèrent et aussitôt un Mycocyte ! péricrate vint lui fracasser le cerveau. À peine retourné à son cubicule, Malcolm googla Milan. Il suivit un lien jusqu’à un site nommé avec raison grandquebec.com et pu lire :

Milan, c’est un petit et calme village qui se trouve à moins d’une heure de route à l’est de Sherbrooke et à 26 kilomètres de Lac-Mégantic, situé au pied des Appalaches et peuplé de quelque 350 Milanoises et Milanois. La municipalité de Milan fait partie de la Municipalité régionale de comté du Granit dans la région administrative de l’Estrie. On y arrive par la route 214. Milan a été fondée au milieu du XIXe siècle par des colons écossais, mais aujourd’hui la plupart des résidents de la municipalité sont des francophones. La route de Val-Racine qui passe par le village, conduit à l’observatoire du mont Mégantic.

Malcolm passa les 4 jours suivants dans un état second. Se réjouissant à l’avance d’avoir un observatoire à visiter, mais extrêmement inquiet à l’idée d’abandonner sa terre et ses Dictyothyris coarctata. Depuis 10 ans qu’il avait quitté son Écosse natale, il n’avait jamais quitté son village normand d’adoption de Lion-sur-Mer.

Mais le 30 avril 2007, inexorablement, l’avion décolla.

Malcolm sortit la documentation qu’il avait réuni sur la ville. Il éteignit sa lampe de passager pour allumer sa lampe frontale, qu’il se félicitait d’avoir emportée.

Il lut que dans le cimetière Gisla, en retrait du village de Milan, reposait un hors-la-loi légendaire, Donald Morrison, surnommé The Megantic Outlaw, parce qu’il avait tiré un coup fatal sur le constable Jack Warren, chargé de l’arrêter, dans la rue principale de la ville.

Morrison, Donald, (1858-1894). Fils de colons écossais, Morrison grandit près de Lac-Mégantic et passe plusieurs années à travailler comme cow-boy. En 1886, il est impliqué dans une dispute financière et perd la ferme familiale au profit du major Malcolm McAulay. Persuadé d’avoir été escroqué par l’influent McAulay, il harcèle les nouveaux propriétaires. Un constable, Lucius (Jack) Warren, est expressément engagé pour l’arrêter. Le 22 juin 1888, Morrison tire et tue Warren à Mégantic. Après avoir échappé à son arrestation pendant quelques mois, surtout grâce à l’aide de fermiers écossais, il est arrêté le 21 avril 1889 et condamné à 18 ans de travaux forcés. En prison, il refuse nourriture et médicaments, et meurt de consomption en moins de cinq ans. Il devient un personnage légendaire de l’Est du Québec.

Il parcourut également un article sur la Meunerie Milanaise qui produit des aliments biologiques à partir de grains de haute qualité, et il apprit que la consommation de grains entiers riches en fibres alimentaires aux repas permet d’atteindre un sentiment de satiété plus rapidement. Il était en train de commencer la troisième page qui relatait sans scrupules que des gens se plaignent de ballonnements et de flatulences suite à la consommation de ces légumineuses, quand le film Délivrance, de John Boorman fut annoncé par l’hôtesse.

Malcolm s’installa plus confortablement et s’endormit peu à peu, en rêvant à une moisissure qui jouait du banjo.

Mélioïdose, elle aussi, compulsait de la documentation, celle que Girontin leur avait fournie. Elle ouvrit le dernier document du dossier intitulé “ Le corpus de l’Estrie ”.

Des recherches avaient été commencées en 1971 par Normand Beauchemin et Pierre Martel sur le français parlé dans la région de Sherbrooke. Ces chercheurs avaient recueilli un échantillon représentatif de corpus parlé afin de faire une analyse sociolinguistique du français en usage en Estrie.

Le fait que ces lieux aient été choisis voulait-il dire quelque chose ? Cette région était peuplée de colons écossais, d’acadiens et elle était proche des États-Unis. Et c’était là justement là qu’il se passait un phénomène linguistique assez insolite pour que Wordalive juge utile de les y envoyer…

Elle ferma le dossier, laissant un papier plié en marquer la page, sur lequel on pouvait lire “ Je suis maintenant à Milan. Tu sais comment me rejoindre. A.C. 

Son regard tomba sur Malcolm, un soupir de résignation lui échappa en regardant son compagnon endormi avec cette étrange chose qui lui pendouillait au front.

Voir aussi :

Montréal, Quartier des spectacles
Montréal, Quartier des spectacles. Photo – GrandQuebec.com.

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