Les lampions de Noël

Las lampions de Noël, compte gagnant le concours de contes de Noël en 1955

Mlle Colette-L.Auger gagne le concours de contes de Noël

Il neigeait beaucoup ce soir-là. Les flocons tombaient doucement sans se presser: ils avaient tout leur temps ces flocons! Et ils tourbillonnaient, joyeux; ils descendaient, remontaient, puis venaient se poser délicatement les uns à côté des autres, bien serrés, pour faire un beau tapis soyeux sur la terre gelée.

Les deux petits anges avaient bien froid. Leurs ailes frissonnaient un peu et ils se serraient l’un contre l’autre, les joues rouges comme des pommes et un petit glaçon au bout du nez. Heureusement que saint Martin avait pensé à leur donner un morceau de son manteau! Ce saint Martin, tout de même! Il avait beau être bon et généreux, il viendrait un moment où il ne pourrait plus le partager son son manteau. Alors? Qu’est-ce qui arriverait?…

Mais les petits anges n’avaient pas la tête à approfondir ce problème. Ils étaient un peu inquiets de se trouver ainsi sur la Terre, alors qu’à peine quelques heures avant, ils étaient en plein Paradis! C’est qu’il y en avait une agitation au Paradis ce jour-là! Pensez donc : le soir de Noël! Saint-Pierre était tout excité : c’était lui qui était chargé des décorations, et bien sûr, il pensait d’abord à « sa » porte. Il la voulait imposante certes, comme à l’ordinaire, mais avec un petit air de fête. Que les nouveaux arrivés oublient vite leurs vilaines anxiétés de morts et qu’ils sentent l’allégresse de tous à les accueillir, eux qui avaient ce grand privilège d’être appelés la nuit de Noël…

« Des lampions, il me faut des lampions » dit saint Pierre de sa grosse voix.

Des lampions au Paradis. Quel scandale! Ça ne s’était jamais vu, quand on a de vraies étoiles à sa disposition! Sainte Pétronille et sainte Imelda n’en croyaient pas leurs oreilles. Non, vraiment ça faisait bien longtemps qu’elles étaient ici et jamais on n’avait proposé rien de moins distingué pour une décoration de Noël. Mais comme saint Pierre avait une fâcheuse réputation de promptitude, on le craignait un peu et personne n’osait murmure.

« Il faudrait en acheter sur la Terre, bon saint Pierre, nous n’en avons pas ici ».

Mais allons trouver quelqu’un qui ait le temps de descendre sur la Terre à cette heure. C’est alors que saint Pierre avisant deux petits anges qui riaient sous cape dans un coin, pointa sur eux un index impérieux :

« Envoyez-moi donc ces deux polissons qui ne font que nuire ici. Les voyages forment la jeunesse. Et tâchez de faire vite, mes lascars. »

Les deux petits anges se sentirent rougir jusqu’à la pointe de leurs ailes. Un voyage sur la Terre! Quel beau cadeau de Noël!

Il fut convenu qu’ils iraient au Canada, dans la province de Québec, les lampions y étaient paraît-il particulièrement jolis et satisferaient certainement saint Pierre. Saint Expédit leur organisa sur le champ un beau petit voyage, en leur faisant mille recommandations. Les autres petits anges vinrent les embrasser juste au moment où ils prenaient le nuage de 11 heures 53, et saint Antoine leur cria de bien faire attention à leur bourse et de ne pas oublier qu’il serait toujours là pour arranger les choses, s’ils la perdaient.

Mais quand le nuage les eut déposés sur la Terre, avec un « au revoir » un peu trop désinvolte, nos deux angelots se sentirent bien dépaysés. De gais petits gais chevaux tiraient des t4aineaux chargés de bandes joyeuses, leurs sabots allègres battaient le sol en cadence; on les sentait heureux de trotter dans l’air sec, leurs naseaux fumaient et les clochettes de leur attelage tintaient joyeusement. Au centre de la place, un gros arbre de Noël étincelait. Des groupes commençaient à se rendre à l’église; les enfants, en faisant des glissades, heureux de se sentir encore éveillés à une pareille heure; les vieilles dames à pas comptés en choisissant leur chemin.

iUne vitrine toute illuminée attira l’attention des petits anges, et ils vinrent coller leur nez pour voir plus à leur aise. Ça faisait un petit rond de buée et à travers ce halo magique, ils regardaient les jolies poupées aux yeux innocents, les trains électriques ultra-modernes et la plus magnifique auto de pompiers qu’ils eussent jamais vue! L’an dernier, ils avaient bien accompagné le Père Noël pour sa distribution de jouets dans les cheminées et ils en avaient examiné des voitures de pompiers : mais celle-ci, c’était quelque chose d’unique…

Soudain, une cloche à toute volée annonça la messe de minuit. Nos petits anges se regardèrent, terrifiés. Et les lampions de saint Pierre!… En une course folle – une rue à droite, une rue à gauche, une, deux, trois maisons, ça y est! – Ils atteignirent la boutique du marchand de lampions. Hélas! Tout y était noir, pas un brin de lumière! Ce n’est pas que cela le gênait, eux des petits anges! Mais sans doute, n’y aurait-il personne. Ils poussèrent la porte qui pourtant s’ouvrit. Au fond de la pièce, assise sur un tabouret, bas, face à eux, une jolie petite fille brune de 5 ou 6 ans serrait une grosse poupée délavée dut don cœur. De ses grands cils épais, des larmes coulaient lentement, roulaient sur la joue lisse, s’attardaient au coin de la bouche et allaient se perdre dans la rondeur du cou.

Comme c’était joli des larmes! Au Paradis, personne ne pleurait! C’était lus gai bien sûr! Mais ces larmes silencieuses sur ce visage si pur, fascinaient les petits anges.

« Tu pleures? As-tu du chagrin? N’ai pas peur, nous sonnaient les petits anges.

Non, la petite fille n’avait pas peur, elle croyait bien qu’ils arrivaient du Paradis, ils avaient tout à fait la voix des anges.
Tu vois bien, nous avons des ailes!

Non, la petite fille ne voyait pas : elle n’avait jamais vu, ses yeux ne s’étaient jamais ouverts sur le monde; elle habitait chez des voisins jusqu’à ce qu’on la mette à l’orphelinat; tout le monde était parti à la messe de minuit et on l’avait laissée toute seule avec sa poupée. Pourtant, elle aurait bien aimé entendre les chants; cela devait être beau : « Noël, Noël, un Sauveur nous est né! » Les petits anges se sentaient bien perplexes.

« Aimerais-tu venir avec nous au Ciel? Sainte-Cécile joue de l’orgue, et tout le Paradis chante! C’est gai, on est heureux! »

Oh! Oui, la petite fille aimerait cela! Mais pourrait-elle emporter sa poupée?… Va pour la poupée! Les petits anges étaient magnanimes (ils arriveraient bien, à l’entrée du Paradis, à la cacher un peu dans les plis de leurs robes). La petite replaça soigneusement son tabouret, serra sa poupée dans une main et tendit l’autre à un petit ange.

Ils marchaient vite sur la neige craquante, les petits anges en l’effleurant à peine du bout de leurs pieds potelés; la petite fille, de sa démarche un peu hésitante, la tête droite, les yeux clos, très pâle, déjà à peinte terrestre. Ils attrapèrent leur nuage de justesse! Un voyageur de plus! Ce n’était pas prévu! Ah! Ces nuages toujours grognons! En se serrant un peu, ça irait parfaitement, voyons! La petite fille renversa la tête sur les genoux d’un petit ange et, bercée par le nuage, s’endormit, radieuse, avec ses grands cils noirs et sa bouche rouge… C’est alors que subitement ils pensèrent aux lampions!! Terrible aventure! Qu’allait-il leur arriver? Déjà, une musique assourdie montait à leurs oreilles et ils distinguaient les premières lueurs du Paradis. Bientôt, l’allée qui conduit à la grande Porte apparut; le nuage parti, la petite fille s’éveilla et suivit ses compagnons. Ils marchaient en silence; eux, tout penauds de leur équipée, elle sereine, serrant sa poupée sur son cœur.

Alors la porte du Paradis s’ouvrit. Au même instant la petite fille battit un peu des cils, ses paupières se levèrent pour le première fois et, émerveillée, elle contempla le Paradis…

Eh bien vous croirez si vous voulez, mais ce fut si magnifique l’éclat de ces yeux qui n’avaient jamais rien vu, que le Paradis en fut tout illuminé et jamais saint Pierre n’osa plus parler de lampions aux deux petits anges.

(Le Soleil, Québec, samedi 24 décembre 1955).

Mlle Colette-L. Auger, 755 Calixa-Lavallée, avec son récit « Les lampions de Noël », est l’heureuse gagnante du concours annuel de contes de Noël organisé par « Le Soleil » et ‘L’Événement-Journal ». Elle a triomphé d’une cinquantaine de concurrents dons les envois se sont rendus jusqu’à l’élimination finales après avoir passé auparavant par un comité de lectures formé des membres du personnel des deux rédactions. Mlle Auger a reçu donc la somme de $50.00 pour son travail.

Le concours a provoqué beaucoup d’intérêt dans tout le territoire desservi par les deux journaux, car les rédactions ont reçu près de 200 envois. Les juges n’ont pas eu la tâche facile. Ils se sont efforcés de prendre toutes les précautions possibles pour faire le choix le plus équitable et surtout pour ne pas primer des contes qui auraient pu être copiés ailleurs et ainsi soumis au concours. C’est une choses toujours possible. La direction du « Soleil » et de « L’Événement-Journal a félicité les vainqueurs et a remercié tous ceux qui ont participé au concours.

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Rues de la ville de Québec, le jour de Noël. Photo de Anatoly Vorobyev.

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