L’essai en littérature québécoise
Le mot essai en littérature a un sens spécialisé. En fait, on décrit l’essai comme un ouvrage littéraire en prose qui traite d’un sujet sans viser l’exhaustivité. D’ailleurs, souvent le terme essai désigne les premières productions d’un auteur. Le critique Jean-Marcel Paquette présente l’essai comme un discours de type lyrique entretenu par un « je » non métaphorique sur un objet culturel agissant comme médiateur entre les tensions fragmentées de l’individualité dans sa relation à elle-même et au monde.
Les grandes questions de l’heure y sont débattues; les discussions politiques et les enjeux sociaux y trouvent également un terrain propice à l’argumentation et à la défense de points de vue particulières.
Genre polymorphe s’il en est, l’essai questionne, donne à penser, articule une façon de voir et d’interpréter un monde en perpétuelle mutation. Ce genre se présent dans une grande variété de formes allant de l’écrit journalistique aux études savantes, et aux analyses documentées, en passant par l’expression d’une pensée qui s’assume comme telle dans un « je » énonciateur.
Évolution des origines au XIX siècle
Le terme dans son deuxième sens (texte d’un auteur qui débute dans la littérature) est connu depuis Michel de Montaigne (1533-1592), mais force est de constater que plusieurs historiens et critiques de la littérature regroupent sous l’acception spécialisé du terme des textes variés qui n’ont en commun que le fait de ne pas appartenir aux genres mieux définis que sont le roman, la poésie, le théâtre.
On retrouve sous le vocable essai des essais oraux (discours, conférences, sermons), ainsi que des essais écrits (monographies, articles de journaux, certains textes sur plusieurs sites Web, ouvrages historiques, etc.). Au Québec, les œuvres de l’historien François-Xavier Garneau, plusieurs textes du journaliste Étienne Parent ou les sermons de Mgr Ignace Bourget appartiennent à cette deuxième catégorie.
Au XIX siècle, certains essais écrits ont eu un retentissement très important. Par exemple, le Mouvement littéraire au Canada de l’abbé Casgrain, publié en 1866 dans le Foyer canadien. En général au Canada français, deux grands thèmes se dégagent à l’époque : le thème de la religion et le thème de la nation.
En fait, la thématique sera de plus en plus mise au contrôle idéologique du clergé et il viendra à bout des plus bouillants anti-cléricalistes (l’Institut canadien de Montréal ou Arthur Buies, par exemple). L’unanimité idéologique qui s’en ensuit provoquera une certaine stagnation intellectuelle. Quand l’Institut canadien de Montréal sera muselé, seul aura droit de parole le nationalisme messianique qui se concentre sur le retour à la campagne comme la source de la salvation nationale (Henri Bourassa, Lionel Groulx). Tout au plus verra-t-on quelques journalistes (Olivar Asselin, Jules Fournier) se permettre quelques audaces verbales, qui cependant ne remettront pas en question le credo en faveur de l’agriculture.
Révolution tranquille et l’essai en littérature
Pour que le véritable « je » puisse s’exprimer, il faudra l’émergence d’un pluralisme qui en sera le seul garant. Dès lors se manifestera « une réflexion dynamique, régénératrice et originale » selon Paul Wyczynski. C’est le manifeste Refus global de Borduas, paru en 1948, qui annonce « la naissance du Canada français moderne » (pour reprendre l’expression de Pierre Vadeboncœur).
Dans les années 1940 et 1950, au Québec, l’essayiste aborde les sujets les plus prisés de l’époque : les études sur la littérature, les questions sociales, l’éducation, l’histoire.
Mais le véritable tournant s’amorce en 1960, année du début de la Révolution tranquille qui favorise le questionnement sur l’identité nationale et libère la parole. C’est l’année charnière où sont publiés Les Insolences du Frère Untel, le journal d’un inquisiteur de Gilles Leclerc et L’Essai sur l’homme de Jean Tétreau. Bref, les années 1960 ouvrent la porte à des écrits plus politisés et plus engagés.
En 1961, plus d’essais sont publiés que dans la décennie précédente, et jusqu’en 1966, paraissent des textes incontournables : La ligne du risque de Vadeboncœur, le Répertoire de Jean Simard, le Scandale est nécessaire de Pierre Baillargeon et plusieurs autres.
Plus tard, dès la fin des années 1960, la problématique de l’indépendance inspire de nombreux essayistes. On peut citer, entre autres, Nègres blancs d’Amérique (publié en 1969) de Pierre Vallières, le Canadien français et son double (paru en 1972) de Jean Bouthillette, Le Joual de Troie (1973) de Jean-Marcel Paquette, L’Homme rapaillé, de Gaston Miron, etc.
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La question québécoise et la question de l’identité nationale se trouvent désormais au premier rang des préoccupations de nombre d’essayistes qui mesurent les effets négatifs d’une dépossession culturelle et d’une aliénation socioéconomique tout en développant une pensée indigène autonome.
Au Québec, la question de la langue française a toujours été au cœur de grands débats et de grandes croisades. Au début du XXe siècle, ce sont les rassemblements pour la survie du français en Amérique et dans les années 1960, on se débat plutôt au sein de la société. Le joual se place au centre de la polémique (Jean-Marcel Paquette le nommera Le Joual de Troie et plusieurs le considèrent comme une version colonisée de la langue québécoise (Michèlle Lalonde, Défense et illustration de la langue québécoise, 1973). Michelle Lalonde formule d’ailleurs la thèse que « la langue québécoises est une transformation organique du français en Amérique ».
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L’aliénation linguistique et l’aliénation sociopolitique sont indissolubles et Jean-Paul Desbiens est le premier à stigmatiser l’état de dépravation du français qu’il observe dans les milieux ouvriers de Montréal et chez les élèves et qu’il considère un français corrompu et dénaturé. Les idées de Desbiens nourrissent la pensée et les écrits nationalistes, qui prennent forme et force durant la Révolution tranquille.
L’essai devient étude littéraire. Plus tard encore, d’autres préoccupations apparaîtront. C’est la quête de moi, l’environnement, exprimés par Pierre Morence, Luc Bureau, Michel Morin, Claude Bertrand. Une certaine québécitude qui avait alimenté de nombreux discours dans les années 1970 se soumettra au verbe décapant de Jean Larose (La Petite Noriceur, 1987), de François Ricard (La Génération lyrique, 1994). En collaboration, Morin et Bertrand mettront eu cause le discours nationaliste dans Le Territoire imaginaire de la culture.
* Essai en littérature

Cette distance à l’égard de certaines certitudes s’explique peut-être par le vieillissement des baby-boomers. En fait ils jettent un regard critique et rétrospectif sur leur génération. (Mais cela n’empêche pas certaines fidélités de réaffirmer leurs valeurs. (Prenons comme exemple Fernand Dumont et son essai Raisons communes, paru en 1994). Enfin, les idéaux sont essentiels à l’humanité. Les idéaux permettent de croire à des lendemains meilleurs.
Aujourd’hui, des auteurs pratiquent l’essai pour élaborer des conceptions originales. Ou encore pour décrire diverses conditions. Si l’essai avait été l’apanage des écrivains. Il se plie dorénavant aux multiples cadres d’analyse des différentes sciences humaines. L’argumentation n’est plus seulement que rhétorique. Elle doit alors se soumettre aux études et aux enquêtes menées de façon scientifique. Ces analyses savantes se multiplient. Elles s’abreuvent aux plus récentes théories littéraires.
Bref, l’essai se prête bien à un parcours réflexif personnel. À une écriture libérée des contraintes de la démonstration scientifique.
