Boule de neige 2 : Neige

NEIGE

par Jean-Marc Lafrenière

Il neige depuis hier. Je marche sur le ciel avec des pas d’oiseau trop lourd pour voler. Tout est si blanc dehors. Les ombres n’osent plus sortir. On ne sait plus où est la route. Les chemins intérieurs prennent la relève des ruisseaux. La neige efface les couleurs, les larmes, les silences. La neige ferme les yeux, les mains, les chemins. Personne n’entend plus rien.

Pas une feuille d’arbre. Pas un grain de pollen. L’éclat du jour peine aux paupières du ciel. Quelques graines survivent sous le poids de la neige. Tout est nu. Tout est blanc. Pourtant, tout est toujours debout. L’eau coule à l’intérieur. La sève rêve encore dans le lit des écorces. Quelques éclats témoignent de la mémoire des fleurs. Quelques pas de lumière, des petites taches brillent pour saluer le soleil.

Loin du feu, c’est comme une autre vie, comme si les mots passaient à travers le papier. On écrit blanc sur blanc. Il n’y a plus de phrases, que les yeux ronds des bouleaux et les ailes des corbeaux. Tout l’espoir est figé dans le frimas des vitres. Il n’y a plus rien devant les yeux que le blanc du silence. La porte s’ouvre sans éveiller le bruit. On entend quelques voix derrière le paysage, l’espoir des racines dans les mains pleines de neige.

Pas un souffle. Pas un cri. Pas un seul bruit de pas. Les ornières du sol rejoignent les racines. La danse des flocons efface le mouvement. Pas un seul cri d’oiseau sur la terre immobile. Tout se cache et disparaît. À peine une lumière se détache des choses. À chaque nouvelle bordée, l’ombre s’évanouit. L’homme s’accroche au sol sans trouver de chemin.

photo 2 semaine 2 copyright Gilles Quénel
La rue. Photo : Gilles Quénel.

Il neige encore. Le même silence qu’hier. Les mêmes pas étouffés. L’espace sans barrières. Le vent se cache et disparaît. Le froid efface toutes les lignes mortes. On ne voit que le jour, mais est-ce bien le jour ? Les arbres s’évaporent à la moindre bourrasque. On n’entend rien. On sent le sang contre la joue, le pouls du cœur dans les artères. La vie s’est réfugiée dans la tendresse de la chair. Ce qui marche au dehors prend son souffle au-dedans. Il manque à la lumière la couleur des choses, les mots d’une chanson, le grouillement des insectes. Les voix ne percent pas la blancheur de l’abîme.

La neige étouffe les paroles. Une voix égarée se morcelle dans l’air. On cherche comme de l’or les pépites du cri. La neige est le degré zéro de l’emphase. Elle est inapte aux métaphores. On a beau tendre l’oreille, la neige étouffe le grésil. Les sons se réfugient à l’intérieur du cœur. On résiste à l’hiver en retenant son souffle.

Pas un seul brin d’herbe. Pas un seul fruit mûr. Les trous blancs. Les lignes verticales. La route ensevelie. Une forme sans forme. Un blanc d’œuf sans coquille. Le jour s’est déplié en perdant ses détails. Tout ce qu’on aime s’est réfugié dans la poitrine. Les yeux s’adaptent peu à peu. Des choses réapparaissent. Des étoiles s’égouttent sur les branches des arbres, dans les vagues de l’air. Des étincelles s’accrochent à la laine des buissons, aux frissons de la pierre. Un bruit sourd fait bouger la ligne d’horizon. La lumière intérieure éclaire de nouveau la peau du paysage.

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