Le bonhomme de neige (un conte de fées)
Cet hiver-là, il tombait de la neige à gros flocons depuis des jours et des jours et la campagne, avec ses prairies s’étendant à perte de vue, avait l’air d’un royaume féerique, si blanc sous son rie! gris et ses arbres dénudés qui semblaient, avec leurs branches étendues, de bons géants accueillants et forts.
Au milieu de cette solitude, à l’heure du crépuscule, une fillette de dix ans à peu prés cheminait craintivement. C’était une blonde
enfant qui, jusqu’ici, n’avait au que rire, être heureuse, aimée, nichée bien au chaud près du cœur maternel dans une maison du faubourg… Pas une maison de pauvres gens, non, une maison confortable de travailleurs aisés, déjà riches du travail de leurs aïeux. La maison leur appartenait, et aussi le jardin et le verger, et les bestiaux.
Un trésor plus précieux leur appartenait encore: cette petite fille, leur unique enfant! Et ce trésor, délibérément, avait quitté la maison familiale, comme ça, toute seule… en mystère… parce que la maman, fâchée d’un mensonge de
l’enfant, avait dit:
– Tu es trop menteuse! Je ne veux plus de toi, Lili.
Lili avait écouté gravement, hochée la tète avec un air approbatif. En effet, elle était menteuse et ne se corrigeait pas. Mais puisqu’on ne voulait plus d elle, c’était simple, la porte était là… la route, la campagne, l’inconnu…
Se glissant silencieusement dehors, Lili était sortie du village sans regarder en arrière. Elle ne regrettait rien. Une curiosité la tenaillait: voir, à l’heure où les petites filles sages et heureuses sont à l’abri prés de l’âtre, ce qui se passait là-bas, là-bas… près de la forêt…
N’est-ce pas là que se réfugient toujours les fées et les sorciers? La tête pleine d’histoires merveilleuses; elle n’avait d’abord senti ni la fatigue, ni le froid. Mais, tout à coup, la nuit était venue sans qu’on la vit arriver et avait tout couvert de brume. La lune seule, jouant à cache-cache avec les nuages, éclairait de temps en temps la plaine couverte de neige.
Lili marchait maintenant en trébuchant à chaque pas. Son petit cœur battait très fort et elle aurait bien voulu que sa fuite insensée ne fût, qu’un mauvais rêve et pouvoir se réveiller dans son lit…
Elle n’aurait jamais pensé que fût si loin, la forêt, et que la terre fût si redoutablement silencieuse, et que les arbres se fissent si grands dans l’ombre et soudain et menaçants.
Pour la première fois, Lili avait conscience de la faiblesse en face de l’infini. La clé était si haut qu’elle avait le vertige rien qu’à lever la tête pour le contempler.
Et pas la moindre fée sur la route déserte! Pas le moindre carrosse du prince à l’horizon!
N’était-il donc pas encore minuit qu’on ne rencontrait pas Cendrillon quittant le bal à pied parce que son carrosse était redevenu citrouille? Certes, Lili aurait eu grand’peur à la vue de la méchante fée Carabosse, mais cela eût mieux valu encore que de ne rencontrer personne.
À bout de forces elle buta contre un tas de neige et tomba. Elle examina ce qui l’avait fait tomber. En levant les yeux très haut, elle vit que c’était un bonhomme de neige. La lune, jouant sur lui, donnait à son gros visage rond une expression bonasse de génie protecteur. Lili se sentit rassurée. À cet âge, on se figure aisément que même les choses ont une âme accueillante à la faiblesse.
Blottie contre le bonhomme, elle ferma les yeux et s’endormit…
Ciel! Quel rêve enchanté… Tout près d’elle se presse un essaim de fées si jeunes et si jolies et si bien parées que c’est un ravissement de les voir.
Dans quel pays bienheureux la petite Lili vient-elle donc d’être transportée? Elle ouvre très grands ses grands yeux. Mais oui, c’est bien ça, ce sont les princesses! Elle les reconnaît toutes, celle-là, si fière dans son manteau d’hermine, c’est la « Belle au Bois Dormant », enfin réveillée. Cette petite à la chevelure bouclée, c’est « l’eau d’Âne » qui profitant de la nuit, a revêtu sa robe couleur soleil. Cette autre, si belle et si majestueuse, ne peut être que la fiancée de « Riquet à la Houppe ».
Les fées entourent leur filleule. Plus âgées, plus lointaines aussi, elles rient moins bruyamment, mais elles ont l’air si heureuses du bonheur qu’elles ont fait !…
– Allons, mes petites, murmure une vielle sorcière drapée de brun en étendant sa canne vers toute cette jeunesse, assez de folles! Remontez en voiture! Vous allez attraper la mort ici!
Attraper la mort? Lili reste songeuse. La sorcière a-t-elle voulu dire que les princesses s’amusaient à courir après la Mort?
La Mort? Qu’est-ce que c’est donc, au juste? Une bonne ou une méchante fée?
– Encore quelques minutes, supplie une des princesses, c’est si joli la campagne, cette nuit!
– Ah, fait une autre, un bonhomme de neige!
– Pourvu qu’elle ne me découvre pas, pense Lili, car alors tout disparaîtrait.
Les voix, maintenant, se croisent, se mêlent, joyeuses:
Par ici, les phares! On va faire une partie de boules de neige pour se réchauffer!
Lili entend un ronflement, puis une lumière aveuglante éclaire le bon génie qui lui sert d’abri. Une boule blanche déchire l’air, frôle le bonhomme, une autre encore, puis une autre… et, chaque fois, le bonhomme fléchit, blessé. Il perd ses bras, son gros nez, sa tête ronde… une boule le frappe en pleine poitrine…
À ses pieds Lili, angoissée, se demande ce qui arrivera quand son protecteur sera entièrement détruit. Que diront les fées en découvrant cette audacieuse qui a voulu surprendre leurs secrets et leurs jeux?
Elles me changerons au moins en crapaud pour me punir! Ah!, par exemple! Une petite fille…
Ça y est : Lili est démasquée! Elle se sent soulevée de terre, portée par deux bras parfumés.
Regardez donc! Elle était réfugiée près du bonhomme de neige.
Lili n’entend plus rien. Effrayée, transie, elle vient de s’évanouir.
Quand elle reprend ses sens, il fait grand jour. Elle est dans son petit lit blanc et tient la main de sa mère assise à son chevet.
Une dame est près d’elle, qui raconte des choses invraisemblables! Qu’elle passait en auto avec ses filles et ses petites-filles… que les fillettes ont voulu descendre pour jouer, avec la neige… qu’on a trouvé Lili à terre… qu’on s’est informé dans le village pour la rendre à ses parents… que Lili en sera quitte, a dit le docteur, pour un bon petit rhume!
Lili n’écoute guère. Elle sait que tout cela n’est pas vrai. Elle a vu les fées, les princesses, le bon génie de neige, la vieille sorcière…. Et elle s’endort en toussotant.
Deux jours après. la neige a fondu. À petits pas. le papa de Lili la conduit, toute emmitouflée de lainages, à l’endroit où la dame prétend l’avoir ramassée. C’est tout près de la maison, à côté du pré du père François.
Et par cela seul, si Lili pouvait douter de sa vérité elle verrait bien que ce qu’on raconte n’est pas vrai … Elle a marché si longtemps, la fameuse nuit… Car c’était la nuit, quoique maman prétende qu’on lui a ramené sa petite vers neuf heures du soir. Mais, n’est-ce pas, les parents ne savent pas. Ils ont, depuis si longtemps. quitté le pays merveilleux qui hante les petites têtes bouclées des enfants, qu’ils ne savent plus juger autrement qu’avec leur cerveau de grandes personnes raisonnables
Seuls, les enfants – et aussi les poètes peuvent encore imaginer un royaume de féeries, par un soir d’hiver, dans un village, quand la lune anime les arbres du chemin.
Et, seuls, ils peuvent prendre pour des princesses de légende les modernes jeunes filles aux cheveux courts, enfouies dans une limousine aux phares puissants…
Line Deberre, janvier 1930.
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