Allez lire les Arbres

Allez lire les arbres : réflexions sur la littérature contemporaine – critique littéraire

L’autre soir en quittant le bureau, j’avise sur une filière une imposante pile de livres, probablement oubliés là par notre critique littéraire ou la secrétaire. D’habitude, les livres qu’ils reçoivent sont jalousement enfermés, à l’abri de la convoitise des autres journalistes.

Je ne me souvenais pas en dix ans dune telle négligence de leur part. Je me précipite sur la pile, je prends les livres un par un pour les rejeter aussitôt du premier au dernier. Pas un qui ne m’intéressât. Je comprends aussitôt ma méprise: ces livres n’avaient pas été «oubliés», mais on avait fait le ménage des tiroirs et plutôt que de jeter les rébus à la poubelle on les avait laissés là pour que chacun se serve.

Mais le lendemain, la pile était toujours intacte, et j’ai eu comme un élan de pitié. J’en ai pris une pleine brassée de ces livres dont personne ne voulait, je les ai emportés. Je me sentais comme à la SPCA, quand on choisit le m in ou le plus laid, celui qui fait le plus pitié en se disant que celui-là serait sûrement incinéré si on ne remmenait pas.

Les livres

Et voici ces livres maudits. Feuilletons-les, de toute façon il pleut dehors.

Premier livre: «C’était dimanche», un roman social québécois, de Marthe B.-Hogue. Édition Naaman, Sherbrooke. En lisant la fin, j’ai compris que l’héroïne a beaucoup souffert: son fils se suicide, son amant est en prison, son mari est plate, d’ailleurs il s’appelle Jérôme. Mais tout finit bien: «Lorsque Jérôme m’a accueillie dans la chambre… plus ému que le soir de nos noces, j’ai connu la chaleur et la force rassurantes de son corps… Pour apprendre la joie, il a fallu tout ce long chemin.» L’auteur a aussi écrit un roman de science fiction: Le défi des cieux, couronnés en Haïti. Elle porte des lunettes, et elle a un idéal dont elle parle en page couverture: elle voudrait «être simple et droite comme ces flûtes de roseau qu’on emplit de musique». Sûrement du Benny Goodman.

Deuxième livre: «Charles d’Égypte ou le vertige du bien», d’Adrien Lambert, Éditions La Pensée universelle. Adrien Lambert est le fils d’une marquise italienne et d’un académicien franco-gréco-égyptien. Il a étudié chez les jésuites. Apparemment, le pauvre homme ne s’en est jamais remis. Ajoutez à cela qu’il a quitté très jeune Polytechnique pour aller en Égypte, et qu’il n’a pas supporté le décalage horaire. Son livre s’en ressent beaucoup. Page 83: «Charles, quelle heure est-il?» – Page 97: «Est-ce qu’il est vraiment trop tard pour déjeuner?» – Page 112: «Qui est-ce qui a volé ma montre?» – Page 213 enfin: «Minuit venait de sonner ses douze coups au campanile de la cathédrale de Sudi Bel Abbes…!»

À suivre

Troisième livre: «Gustave, je…» , d’Adolphe Parillon, Éditions Naaman, Sherbrooke. Adolphe Parillon est Guadeloupéen. Gustave aussi, et, précise l’auteur: «Son existence s’accorde avec toutes les formes progressistes, positives, humaines.» Page 75: «Je tournai la tète vers elle, en conduisant ma bouche contre la sienne de sorte que nos lèvres réunies ne formèrent qu’une seule blessure. C’est d’une voix étrange qu’elle dit: «Je t’aime Gustave…». C’est de cet humanisme-là qu’il s’agit!

Depuis son livre, l’auteur semble avoir lâché la littérature pour le théâtre avec un bonheur égal. Il vient de signer la mise en scène de «La barque sans pécheur» et de «Voyageur sans bagages». Dans la même veine, il est est en train d’écrire une pièce: « L e couteau sans lame qui a perdu son manche ».

Quatrième livre: «Trente conseils face au feu», par Raoul Viger, Éditions Hatier. Ouvrage sans surprise, les conseils habituels. Plus amusant, l’étrange destin de l’auteur: Raoul Viger, après un certificat d’anglais et une licence en littérature, est entré à la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. À noter que c’est exactement la voie inverse qu’a suivie mon confrère Réjean Tremblay: après un long stage chez les pompiers, il a décidé d’écrire.

La fin

Cinquième livre: «Les cahiers d’Arts et Lettres du Québec». Recueil de poèmes très tendres. La preuve, ce couplet de Mme Gilberte Gilbert: « Symphonie de nos cœurs sur un rythme argentin. Tu me pris dans tes bras au mépris des jaloux Pour redorer en moi, un tout nouveau matin Et me faire oublier du destin ses courroux…»

Petite précision qui me semble indispensable: «Arts et Lettres du Québec» a pour but d’encourager, de maintenir, de promouvoir la culture artistique et littéraire québécoise. J’ai vérifié, cette association n’est pas subventionnée par le Conseil des arts. C’est révoltant.

Sixième livre: «Comment surmonter le sentiment de culpabilité», par Harry E. Gunn. ChezStanké Le titre est trompeur, en fait l’auteur explique comment ce sentiment de culpabilité nous vient, mais il n’a pas la moindre idée de comment il s’en va. En gros, il nous dit que lorsqu’on se sent coupable, il faut consulter un psychologue.

Mon conseil sur la critique littéraire

Suivez plutôt mon conseil: si vous vous sentez coupable, avouez tout de suite, livre z-vous à la police sans tarder. C’est assez de lecture pour aujourd’hui. Il parait qu’il va faire beau durant tout le weekend.

Je ne vous ferai pas de poème sur l’automne, mais vous devriez aller le voir… On ne sait jamais, au train ou on coupe les arbres pour imprimer des conneries, ça se pourrait bien que ce soit un de nos derniers automnes en couleurs.

(Réflexions de sur la critique littéraire de Pierre Foglia, La Presse, 11 octobre 1980).

Pour en apprendre plus :

Aller lire les arbres, revue littéraire
“La littérature n’a rien à voir avec les souffrances des écrivains ou l’idée qu’ils se font de la littérature.” (Christine Angot. Quitter la ville).

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