Légende de l’oiseau de malheur des Îles-de-la-Madeleine
Quelle épidémie que celle de la grippe espagnole! Le pire fléau connu aux Îles-de-la-Madeleine : les gens mourraient comme des mouches. Il n’était pas rare de voir des famille entières s’éteindre en quelques semaines. Ceux qui avaient été épargnés craignaient que l’épidémie ne se continue et fasse aussi qu’il ne reste plus de vivants pour enterrer les morts.
Des bancs de neige à la hauteur des fenêtres témoignaient du long et rigoureux hiver qui achevait. Avec la mi-mars, les glaces du Golfe semblaient s’être donné rendez-vous aux Îles pour les encercler dans un étau.
François à Prudent était triste, particulièrement ce matin-là : en l’espace de deux semaines, sa femme et cinq de ses six garçons avaient été emportés par la fièvre et le dernier de ces fils gisait étendu sur la paillasse d’un vieux lit, dans un des coins de la chambre à coucher. Brûlant de fièvre et délirant, il avait les yeux hagards et la bouche entrouverte. Sa respiration se faisait de plus en plus lente : il ne lui restait que très peu de temps à vivre.
*
François avait remarqué que la veille de la mort de chacun des membres de sa famille, un énorme oiseau noir venait se poser sur la cheminée de la maison. Avec des yeux de braise, il se tenait là, grave et silencieux, jusqu’à ce que la mort soit sortie de la maison. Était-ce une simple coïncidence ou bien cet oiseau était-il vraiment le signe d’un malheur?
Inquiet, François pensait à tout cela. Il se leva enfin, alimenta le vieux poêle d’une grosse bûche de sapin, allumait en même temps sa pipe avec un tison. Ensuite, il but une bolée d’eau froide et, sa casquette dans la main, il sortit respirer un peu d’air frais. Dehors, il marcha un peu. Puis, son regard se porta vers le ciel et, intérieurement, il adressa une prière à la Vierge pour la supplier d’épargner le dernier de ses fils. Soudain, il aperçut au loin, un point noir dans le ciel qui semblait venir vers lui. Quand il fut plus près, il crut reconnaître ce même oiseau noir.
Il porta sa main au front pour se protéger les yeux du soleil et pour mieux discerner l’oiseau qui approchait toujours. « Ben, crime d’Adam! Cé ty pas… le même corbeau noir qui est venu quand les autres sont morts? Va-t-en, oiseau de malheur! Va-t-en ailleurs! Tu viendras pas kri mon dernier garçon… »
* Oiseau de malheur
Il saisit quelques pierres à ses pieds et les garrocha dans la direction de l’oiseau qui s’apprêtait à se poser sur la cheminée. Le combat ne fut pas facile : à quatre reprises, l’oiseau fonça sur François, lui lacérant les mains et le visage de ses griffes pointues. Enfin, une des pierres atteignit son objectif et frappa le corbeau juste en dessous de l’aile : le sang gicla, éclaboussant le visage de François. L’oiseau s’éloigna lentement, ne volant que d’une aile et ne revint plus.
Au même moment, un grand cri venant de la chambre à coucher fit sursauter François. Il se précipita dans la pièce et, à sa grande surprise mêlée de joie, il vit son fils assis sur son lit et lui demandant à boire. La fièvre l’avait quitté : il était sauvé! François avait gagné le combat : il avait du même coup fait fuir cet oiseau de malheur et tué la mort.
Pour en apprendre plus :
- La grippe espagnole au Québec
- Église sortie d’un naufrage
- Phil l’enfant terrible
- Îles-de-la-Madeleine
- Légendes des Îles-de-la-Madeleine