La légende du Rocher Malin
Même en fouillant dans la petite histoire de Notre-Dame-du-Portage ou en interrogeant les personnes plus âgées, nul ne sait d’où vient le nom donné à cet écran de roc (beaucoup plus imposant autrefois), situé à un kilomètre et demi à l’ouest du village.
Comme une proue de navire, il semble se frayer un chemin vers le fleuve. L’ancienne route vers l’Acadie le contournait par la plage à marée basse et certains affirment qu’on l’a surnommé « Malin » parce que, à marée haute, le voyageur ou le coureur des bois devait l’escalader pour continuer sa route.
Le rocher toutefois ne devint légendaire qu’après qu’une goélette ancrée à l’Île-du-Pot-à-l’Eau-de-vie, essuya une forte tempête, perdit son ancre et, poussée par le vent du nord, vint se briser sur les rochers près du Rocher Malin. Des marins y perdirent la vie et ceux ayant survécu au naufrage auraient enseveli, au pied du rocher, les restes des marins morts.
À cette époque, l’inhumation des morts ne pouvait se concevoir ailleurs que dans un cimetière et les restes des marins reposant près du Rocher Malin n’avaient donc rien de rassurant. On redoutait que dans l’avenir il puisse y avoir des revenants. Fatalement, ce fut la naissance des loups-garous, des feux follets, des lutins endiablés, de Charlo, tous des émissaires du «Malin», le diable.
Tout était donc en place pour laisser libre cours aux légendes. La population du Portage, un peu superstitieuse, fut la cible de farceurs qui surent alimenter ces légendes.
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Tantôt quelqu’un se déguisait en loup-garou pour accompagner de loin le jeune amoureux se rendant le soir, à la dérobée, à un rendez-vous donné à sa blonde du voisinage.
Tantôt deux individus munis de lanternes, imitaient un feu follet se tenant l’un au bas du rocher et l’autre en haut. Chacun son tour cachait la lumière de sa lanterne, ce qui avait pour effet de faire sauter la lumière de bas en haut et de haut en bas. C’était là un langage qui était certainement diabolique pour les couche-tard ou les promeneurs du soir. Ces même farceurs, très discrets sur leur supercherie, clamaient à qui voulait l’entendre que le rocher était habité par des feux follets ayant des révélations à faire à certaines personnes.
Nos farceurs connaissaient bien leur monde. Ils choisissaient donc les personnes les plus peureuses pour recevoir ces soi-disant révélations.
On raconte également que « Charlo » avait construit sa cabane tout près du Rocher Malin, profitant ainsi du prestige diabolique de ce fameux rocher. Ce Charlo légendaire, on le retrouve pratiquement sur tous les sentiers de coureurs des bois, que ce soit au Québec, sur la route de l’Acadie, en Ontario et jusqu’au Far West américain.
Au Portage, Charlo aurait été l’instigateur de la coutume de vendre son âme au Malin.
Cependant, au Portage, c’est à Charlo qu’on vendait son âme et cela se passait aux îles Pèlerins. Pour ce faire, il s’agissait de prendre la recette contenue dans un livre mis à l’index (interdit par l’Église), «Le Petit Albert», imprimé en France, et dont quelques exemplaires avaient été clandestinement traversés en Nouvelle-France.
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Une ou deux copies étaient peut-être en circulation, ayant échappé à la battue des curés qui les brûlaient avec grand apparat, pour bien démontrer à leurs ouailles le venin que ce livre recelait.
Toujours est-il que Charlo invitait les durs-à-cuire et les fiers-à-bras à être braves et à vendre leur âme au diable. On raconte entre autres, l’essai d’un certain Pierrot Leclerc. Il traversa aux îles Pèlerins, après avoir suivi mot à mot la recette du « Petit Albert ». Pour vendre son âme il fallait voler une poule noire, par un soir d’automne sans lune, et en faire sa compagne de voyage. Cependant, mal lui en prit, lorsqu’il s’aperçut que c’était un coq et non une poule. Faute impardonnable pour la vente de son âme au Malin ! La peur lui fit peut-être dire qu’il avait volé un coq au lieu d’une poule.
Aujourd’hui, le Rocher Malin a perdu de son imposante allure. Devenu dangereux, non pas à cause des esprits malveillants, mais plutôt à cause des éboulements de pierres. On a dû réduire sa taille afin que la route demeure sécuritaire. Nos ancêtres seraient bien surpris de le voir si tranquille aujourd’hui…
(d’après le Site Web de l’association Patrimoine et Culture du Portage)