La fée Noël des Îles de la Madeleine
C’était la veille de Noël. Dehors, il faisait un temps superbe : une première neige blanche et légère était tombée durant la journée. Déjà, dans plusieurs maisons, on se préparait pour la messe de minuit. Une lueur blafarde s’échappait de la petite maison de Baptiste, située près du cap.
Père de dix enfants et pauvre comme Job, Baptiste était là, assis près du poêle de la cuisine, et jonglait. Sa femme Alice et les enfants étaient couchés en haut, au grenier, et dormaient déjà. Seul éveillé, Baptiste, sombre, réfléchissait et par moments pensait tout haut : »Demain Noël, se disait-il, et je suis trop pauvre pour faire des cadeaux à ma femme et à mes enfants. Si seulement j’avais j’avais des pommes et des oranges à leur donner, eux qui n’en ont jamais mangées. Je n’ai jamais été si triste! » Et, tout en se parlant mi0haut mi-bas, il regardait, à travers les bouches d’air de la porte du poêle, la flamme bienfaisante qui dévorait les bûches avec rage.
Soudain, une flammèche s’échappe d’une des ouvertures du poêle. Durant quelques minutes, elle voltige puis se met à flotter dans l’air. Baptiste la suivait des yeux pour voir où elle se déposerait. Mais, au lieu de s’éteindre lentement, la parcelle de feu grossit de plus en plus, devint une grosse boule qui s’étira peu à peu pour prendre à la fin une forme humaine.
* Légende de la fée Noël
Baptiste, les yeux grands ouverts, frissonnait de surprise. Cette forme humaine, qui était une femme fort gracieuse, avec de beaux grands yeux bleus et de longs cheveux blonds comme blé lui couvrant les épaules nues, lui sourit simplement avec beaucoup de bonté. Baptiste se sentit un peu rassuré. Il croyait rêver ou pensait être victime d’hallucination. Mais il n’en était rien. Ce qu’il voyait était réel. Puis, à sa grande surprise, la belle dame se mit à parler : « N’aie pas peur, pauvre homme, je suis la fée Noël et, loin de te vouloir du mal, je veux te consoler. Je sais que tu est triste, ce soir surtout, parce que tu n’as pas de cadeaux à offrir à ta femme et à tes enfants. Demande-moi donc ce que tu veux, et je te l’accorderai… »
*
Baptiste, sans trop y croire, hésitait. Il en avait tellement à demander qu’il ne savait par où commencer. Enfin, il lança : « Écoute, ma belle dame, j’ai jamais cru aux fées, mais là, j’sus bien obligé d’y croire. » Elle reprit : « Hâte-toi, tu n’as qu’un quart d’heure pour demander ce que tu veux! » Il réfléchit un instant et se dit en lui-même : « Quoi cé que j’pourrais bien y demander? Tiens, juste pour voir si elle dit vrai, j’vas y demander une paire de souliers! J’aimerais avoir une paire de souliers flambant neufs », risqua-t-il, plus haut. La dame fit un geste gracieux de la main droite et, aussitôt, apparut à ses pieds les souliers désirés. « Ah! Ben Godême ! Ca parle au diable !
C’est donc vrai que tu es une fée! Ben, faut pas que je m’énerve… Premièrement, tu vas habiller mes enfants de la tête aux pieds. » Elle répéta alors le même geste pour faire apparaître plusieurs paquets de linge placés côte à côte sur le banc à bottes, de quoi habiller chaque enfant. Baptiste était fou de joie : il réussissait à peine à se contenir. Pensez, donc, tous ses enfants allaient être habillés pour l’hiver! « Asteur, ma bonne fée, poursuivit-il, tu vas remplir la cuisine de nourriture. » Aussitôt dit, aussitôt fait : la maison était remplie de tout ce que la bouche puisse désirer. Baptiste était le plus heureux des hommes en ce moment : il n’avait qu’à demander pour recevoir.
* Légende de la fée Noël
Mais il fallait faire vite : après avoir regardé l’horloge, il réalisa qu’il ne lui restait plus que trois minutes avant minuit, c’est-à-dire, avant l’heure fixée par la fée. D’avoir été ainsi pris au dépourvu en plus de son excitation, il en oublia sa femme. Comme il s’apprêtait à demander quelque chose pour elle, minuit sonna. Aussitôt, la belle dame disparut. À part la nourriture et le linge des enfants, il lui restait une paire de souliers mais rien pour sa femme. Il éprouvait quand même une grande joie à l’idée que, pour la première fois, in n’aurait pas à jongler pour nourrir et habiller ses enfants.
Le lendemain, quand sa femme et ses enfants descendirent à la cuisine et virent tous ces cadeaux, ils n’en crurent pas leurs yeux. Les enfants s’empressèrent de demander à leur père qui avait apporté tout cela. « C’est le père Noël qui est venu pendant que vous dormiez. » Ils s’habillèrent en hâte et se rendirent à l’église pour messe, dans leurs nouveaux vêtements. Durant la messe, plusieurs curieux les regardaient et se disaient entre eux : « R’garde donc Baptiste et ses enfants. Eux, si bien habillés et lui, une belle paire de souliers neufs aux pieds. Comment ça se fait que sa femme est si mal habillée? Toute en hardes? Où peut-il bien avoir pris l’argent pour habiller ses enfants comme ça? » La messe terminée, au sortir de l’église, quelques-uns, plus effrontés, lui lancèrent : « Dis donc, Baptiste, as-tu trouvé un trésor? »
*
-J’ai trouvé mieux qu’un trésor, rétorqua-t-il, c’est une bonne fée qui est venue me voir hier soir et qui m’a donné tout ça! » Incrédules et déçus à la fois, les curieux ne revinrent pas à la charge, et Baptiste n’en dit pas plus long. Souriant, il poursuivit sa route en se disant qu’il valait mieux qu’ils ne le croient pas et que, au fond, il n’avait pas à leur donner d’autres explications. Puis, sur le chemin du retour, son humeur s’assombrit soudain : il se souvint que sa femme n’avait rien eu. Il leva alors les yeux attristés au ciel et dit presque haut : « Ma bonne fée, si tu reviens l’année qui vient, la première chose que je te demanderais sera un capot en peau de loup-marin pour ma pauvre Alice. J’ai pas eu le temps de demander quelque chose pour elle cette année… »
De retour à la maison, quelle ne fut pas la surprise de chacun en voyant, sur le canapé de la cuisine, un beau capot de loup-marin. La fée Noël s’était, une fois de plus, laissée attendrir…
Source : Contes et légendes des Îles-de-la-Madeleine. Par Azade Harvey. « Azade : Raconte-moi tes Îles, » Ont participé à la réalisation de ces légendes Guy Saint-Jean, Robert Davies, Marie Décary, Rolande Vadeboncœur, Monique Saint-Jean, Carmen Garcia.
Pour en apprendre plus :
- Légende de l’oiseau de malheur
- Légendes des Îles-de-la-Madeleine
- Noël à New York
- La fête des rois
- Célébrations de Noël en 2013