Introduction à la Mythologie nordique

Introduction à la Mythologie nordique (par Édith Hamilton. « La mythologie, ses dieux, ses légendes »)

Le monde de la Mythologie nordique est étrange. Asgard, le lieu où demeurent les Dieux, n’est pareil à aucun autre ciel rêvé par les hommes. On n’y trouve nul rayonnement des joie, nulle assurance de félicité. C’est un endroit grave et solennel, au-dessus duquel plane la menace d’un destin inévitable. Les Dieux savent qu’un jour ils seront terrassés, détruits. Tôt ou tard, ils rencontreront leurs ennemis et sous leurs coups, ils succomberont à la défaite et à la mort. Asgard tombera en ruines. Les forces du bien luttent contre les forces du mal, mais leur cause est désespérée. Les dieux cependant combattront jusqu’à la fin.

Ceci est nécessairement vrai pour l’humanité. Si les dieux sont finalement impuissants devant le mal, les hommes et les femmes doivent l’être bien davantage encore. Le désastre attend donc les héros et les héroïnes des récits anciens. Ils savent que ni le courage ni l’endurance ni un haut fait ne peuvent les sauver. Même alors ils refusent de céder. Ils meurent en résistant.

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Une mort courageuse leur donne droit – pour les héros tout au moins – à un siège dans le Valhalla, l’une des grandes salles d’Asgard. Mais là aussi ils doivent s’attendre à la défaite finale et à la destruction. Dans la lutte décisive où sa poseront le bien et le mal, ils se rangeront aux côtés des Dieux et mourront avec eux.

C’est là le principe fondamental de la conception de vie proposée par la religion nordique. L’esprit humain n’a jamais donné naissance à une idée aussi sombre. L’héroïsme est ce le seul soutien possible, le seul bien pur et sans tâche donné à l’esprit humain. Mais l’héroïsme se fond sur des causes perdues. Ce n’est donc qu’un mourant que le héros peut donner la preuve de sa valeur. Le pouvoir du bien ne se révèle pas en écrasant triomphalement le mal mais en continuant à lui résister tout en étant acculé à une défaite certaine.

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Une telle attitude envers la vie semble à première vue empreinte de fatalisme. Mais en fait les décrets d’un destin inexorable n’interviennent pas davantage dans le dessein nordique de l’existence que la prédestination dans celui de Saint Paul et de ses disciples protestants militants. Et ceci précisément pour la même raison. Bien que le destin du héro nordique fut scellé s’il se refusait à céder, il gardait la faculté de choisir entre la capitulation ou la mort. La décision restait entre ces mains. Il y avait même plus. Une mort héroïque, celle d’un martyr par exemple, n’est pas une défaite, mais un triomphe. Le héros d’une légende nordique qui rit à gorge déployée pendant que ses ennemis arrachent son cœur palpitant, se montre supérieure à ses vainqueurs. Et c’est en effet ce qui leur dit : « Vous ne pouvez rien me faire, puisque quoi que vous fassiez, cela met en différent ». Ils le tuent alors, mais il meurt invaincu.

Pour l’humanité, c’est là vivre selon une règle austère, tout aussi austère bien que d’une façon totalement différente, que les principes de Sermon sur la Montagne. Mais en fin de comte, jamais la voie facile n’a forcé la fidélité et la soumission de l’humanité. Comme les premières Chrétiens, les Nordiques mesuraient la valeur de leur vie selon un étalon d’héroïsme. Le Chrétien croyait toutefois à une éternité bienheureuse. Le Nordique n’espérait rien de tel. Mais pendant un certain nombre de siècles et jusqu’à la venue des missionnaires chrétiens, l’héroïsme parut suffire.

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Ces poètes de la Mythologie nordique qui affirmaient que la victoire est possible dans la mort et que le courage n’est jamais vaincu, sont les seuls interprètes de la croyance de toute la grande race germanique dont l’Angleterre fait partie, et les États-Unis, par les premiers immigrants vignon en Amérique. Partout ailleurs en Europe septentrionale, les premières mentions, les traditions, les chants et les légendes furent détruits pas les prêtres d’un Christianisme ennemi du paganisme qu’ils étaient chargés de faire disparaître. Ils firent table rase avec une efficacité vraiment extraordinaire.

Quelques fragments survivent : Beowulf en Angleterre, les Niebelungenlied en Allemagne, et ça et là des brides disparates. N’étaient les deux Eddas islandaises, nous ne saurions pratiquement rien de la religion qui modela la race germanique.

En Islande, qui par sa situation géographique fut la dernière contrée à être christianisée, les missionnaires semblent avoir été plus tolérants. Ou peut-être y eurent-ils moins d’influence. Toujours est-il que le latin n’y devint pas la langue littéraire en chassant le langage usuel. Ainsi le peuple continua à raconter dans sa propre langue les vieilles légendes dont quelques-unes furent transcrites. Bien que nous ne sachions ni par qui ni comment.

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Le plus vieux manuscrit de l’Ancienne Edda remonte à l’an 1300 environ, 300 ans après l’arrivée des Chrétiens. Pourtant les poèmes qui le composent son purement païens. Ils remonteraient, selon les érudits, à des âges fort reculés. La Nouvelle Edda, en prose, fut écrite à la fin du 12e siècle par un certain Snorri Sturluson. La partie principale est un traité technique sur la façon d’écrire la poésie. L’œuvre contient aussi quelques matériaux mythologiques préhistoriques qui ne figurent pas dans l’Ancienne Edda.

Dès deux, l’ancienne Edda est ce de loin la plus importante. Elle est faite de poèmes distincts dont la même histoire forme souvent le sujet. Mais ils ne sont pas reliés les uns aux autres.

On y trouve le matériau d’un grand poème épique. Aussi grand sinon davantage qu’Illiade. Mais aucun poète ne se trouva pour compiler les vieilles légendes comme le fit Homère pour les récits qui précèdent l’Iliade.

En Scandinavie, il n’est eu pas un homme de génie pour fondre en un seul tous les poèmes. Et les transformer en un monument de beauté et puissance. Personne, ne fût-ce que pour écarter la grossièreté et la vulgarité et supprimer les enfantillages et les répétitions lassantes. On trouve dans l’Edda des listes des noms qui s’allongent sans interruption. Ceci pendant des pages et des pages.

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Néanmoins, la sombre grandeur de ces légendes perce en dépit du style. Peut-être, le lecteur en capable de déchiffrer l’ancien langue nordique devrait-il s’interdire de parler de « style ». Mais toutes les traductions se ressemblent tellement dans leur étrangeté et leur complications que l’on ne peut se défendre de soupçonner la responsabilité du manuscrit original.

Les conceptions des poètes de l’Ancienne Edda semblent avoir été plus grandes que leur adresse à les mettre en mots. Beaucoup de ces récits sont splendides. Dans la mythologie grecque, il n’en est aucun que les égale. Sauf ceux qui sont comptés par les poètes tragiques.

Tous les meilleurs contes nordiques sont tragiques et nous parlent d’hommes et des femmes qui font stoïquement au-devant de la mort. Ils la choisissent souvent délibérément et même la préparent longtemps à l’avance. Au sein de toutes ces ténèbres, la seule lueur elle l’héroïsme référence.

Hamilton Édith. « La mythologie, ses dieux, ses légendes ». Edition Marabout, France, 1978.

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Asgard. Image : Tor, Marvel.

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