Contes et légendes des Îles-de-la-Madeleine

Quelques contes et légendes des Îles-de-la-Madeleine, racontés par Azade Harvey

« Azade : Raconte-moi tes Îles, »

Préface de Célestin Hubert.

De rêve et de réalité, voilà de quoi sont entremêlées les pensées de l’enfance aux Îles de la Madeleine. De merveilleux et de rêve sont remplis leurs contes. Le réel et d’invention, ils sont pétris; ajoutez-y la chaleur de votre imagination et vous aurez les éléments de toute création littéraire. Une recréation. Un récréation.

Dans l’histoire humaine, les contes ont toujours eu leur place importante. Ils ont ouvert une fenêtre sur le merveilleux à des gens menant une existence souvent terne, parfois dure, et lui ont proposé quelques grands thèmes qu’on retrouve sous toutes les latitudes. Le plus répandu des recueil de vieux contes forme un livre vénéré qu’on appelle d’un nom grec : BIBLE.

Mais la plupart du temps, les contes font partie d’un fonds commun à plusieurs civilisations et qui se transmettent verbalement, de générations en générations sous de multiples variantes. Il arrive qu’un individu s’en empare et par l’écriture les fige dans une forme fixe pour la postérité.

Azade Harvey

En puissant dans une tradition commune, le Madelinot Azade Harvey brode en toute liberté sur la vie quotidienne de gens simples des aventures fantastiques. N’est-ce pas l’art de l’écrivain de produire une œuvre personnelle avec des matériaux faisant partie du patrimoine culturel d’une société?

La vie aux Îles-de-la-Madeleine n’a pas toujours été aussi gaie et accueillante que la découvrent en été depuis des années des milliers de touristes québécois ravis. Les rigueurs de l’hiver ont eu raison depuis belle lurette des maigres forêts des Îles et le chauffage des maisons est resté une préoccupation majeur, un casse-tête. Deux contes disent cette vérité – Jésus de la Dune du Nord et Le vieux sapin. Chaque fois, un prodige évapore les soucis.

Principale donné géographique des Îles de la Madeleine, la mer est partout présente dans les contes d’Azade.

Le grand mérite d’Azade Harvey est d’avoir fait connaître en dehors du cercle insulaire et de rendre familier, un aspect attachant des Îles de la Madeleine. Il ne faudrait pas pour autant lui enlever le crédit d’avoir construit lui-même la totalité des contes en empruntant des matériaux à la conscience collective des Madelinots. Toutes les sociétés se racontent des histoires de trésor enfoui. Le fabuliste La Fontaine, déjà, versifiait sur le sujet pour l’édification de ses contemporains et pour apprendre à des générations d’écoliers à mémoriser.

Thèmes universels

Les Îles-de-la-Madeleine nous apprennent plusieurs versions de ce thème universel. Si vous écoutez, vous entendrez au moins une histoire de trésor par île : il y aurait un trésor caché à l’Île Brion, un autre à la Grande-Entrée, un au Havre-aux-Basques, et même à un endroit assez précis au Havre-aux-Maisons, à la Butte Ronde. Aucun d’eux n’a jamais été découvert : les Îles de la Madeleine gardent leur secret.

Azade Harvey, lui, en invente un nouveau qui n’est plus là, dans « L’homme à la pipe de plâtre. » Sur fonds de scène, sont projetés les rapports entre l’étranger et les Madelinots. L’inconnu qui arrive, tout menteur charmant qu’il soit, ne convainc personne : il n’est pas écrivain. Il cherche un trésor, le découvre et disparaît avec. Chacun a vu son jeu. La femme qui l’accepté comme pensionnaire, son mari qui l’a longuement interrogé sans succès. Les gens ne sont pas blousés. Ils laissent faire mais sont conscients de ce qui se passe. On n’arrête pas le destin, la fatalité. L’incapacité d’agir ou d’influencer le cours des événements n’empêche pas de réfléchir et de comprendre. La fin de ce conte n’est-elle pas un symbole de la dépossession au profit de compagnies étrangères dont sont victimes les Madelinots depuis fort longtemps? Une telle intention moralisatrice est-elle discernable dans d’autres contes?

Un conteur est un moraliste. Pas de conte sans morale. Dans chacun des textes des contes des Îles de la Madeleine, comme dans les fables La Fontaine ou les contes de Perreault, il y a une morale. Presque la même à toutes les époques, d’Ésope à Diop. Ici elle est rarement explicite. Dans « Le mystère de la maison sur la falaise, le pouvoir cache la vérité en empêchant la découverte des faits; il se trouve défoncé, découvert. Méfions-nous!

La mer et les Madelinots

Que ce soit la mer productrice de biens, le miroitement d’une mer de brillants qui rutilent au soleil, les vagues déchaînées qui empêchent les pêcheurs de sortir au large, les falaises grugées par l’eau, les effluves salins, les baies,, les caps, les dunes, tout est baigné dans un paysage maritime, même le commencement du monde géologique. La mer rythme les saisons, effiloche l’hiver en brumes de printemps, retarde l’été et prolonge l’automne en pluies de janvier. Le mer est ouverture sur l’étranger, voyage au long cours, évasion dans le rêve. Autant la mer impose sa présence dans la vie des Madelinots, autant elle transparaît dans les contes. On peut n’en pas parler mais elle est là. On la sent toute proche.

Pour le Madelinot transplanté à Montréal, la mer reste une présence dans l’imaginaire. Dans le fracas des autos roulant à vive allure sur des autoroutes voisines, il perçoit comme le tonnerre des lames qui déferlent après une tempête sur des plages lointaines. Remarquez que dans la chaleur moite d’un juillet urbain et pollué, la mer est l’espoir d’une brise rafraîchissante les pieds dans l’eau. Dans une cour de triage du chemin de fer « Canadien National », le poli d’un rail qui accroche un rayon de soleil transporte l’imagination à la rencontre des visions d’une enfance émerveillée. Devant le soleil qui danse sur les diamants de la mer. Et devant les boutons-d’or illuminant le vert des près. Devant le hareng qui frétille dans un jaillissement d’écailles argentées ou le loup-marin qui batifole dans l’anse. Devant les histoires du grand-père à la veillée.

Conteurs et contes

Toute société produit ses conteurs. Les Îles ne font pas exception. À travers eux, le groupe humain qui vit là invente ses mythes qui expliquent à la fois le réel et l’irréel. Ainsi, on transmet aussi la sagesse du peuple, un peuple rarement dupe, les contes le disent.

Le contrôle social des puissants, des notables, est un poids, une peste, une source de malheur, de crime peut-être. Pour beaucoup de gens, même de bonne volonté, changer d’attitudes est une impossibilité : la carrière du « pirate Blue Belly » finit comme elle a commencé, emportée par un hasard, incontrôlable, par des conditions matérielle insurmontables, par un destin trop puissant. Il n’y peut rien. C’est pas de sa faute ».

La volonté humaine peut accepter ou refuser certaines vocations qui apparaissent impérieuses, terrible.  On ne devient chef que si l’on veut. Vaut mieux un sort ordinaire, avec des travaux, des peines et des plaisirs accoutumés que des expériences ésotériques poussées au paroxysme et le risque de se perdre ou de se détruire : voyez « La tabagane enchantée » et ses dangers. Si on est imprudent en la manœuvrant, on perd un don confié pour un temps très court.

Légendes des Îles-de-la-Madeleine : Expériences

Il existe des expériences qui ne sont pas permises au commun des mortels, des castes fermées, des groupes repliés sur eux-mêmes et qui défendent leurs secrets. Pour vous en convaincre, lisez le bijou de conte qui m’a ravi et qui s’appelle « Les habitants du plâtre de la Belle-Anse ». Les lutins ne veulent pas des humains chez-eux. Vous découvrirez là le côté fantaisiste, fantastique, merveilleux qui se retrouve à des degrés divers dans « La tache d’encre », « Le quêteux » ou « Les joueurs de poker… et le diable. »

Azade Harvey n’est pas un écrivain. C’est u cheminot qui a fait l’école élémentaire, pas plus, et qui gagne sa vie au grand air. Ne le ratez pas. C’est comme une bouffée de fraîcheur et d’air vivifiant des Îles de la Madeleine.

Célestin Hubert, Madelinot et Montréalais d’adoption, journaliste.

Cinq contes et légendes, extraits du livre :

Légendes des Îles-de-la-Madeleine De rêve et de réalité, voilà de quoi sont entremêlées les pensées de l'enfance aux Îles de la Madeleine.
Azade : raconte-moi tes îles. Illustration par GrandQuébec.com.

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