L’âge d’or du tourisme de villégiature à Laval
Les circonstances qui ont marqué l’avènement du tourisme de villégiature, notamment à Sainte-Rose, sont bien connues. L’âge d’or du tourisme estival sur l’île Jésus appartient à la première moitié du XXe siècle. Les anglophones aisés continuent à accaparer les plus beaux sites, en même temps qu’un nombre croissant de familles montréalaises issues d’une naissante classe moyenne francophone s’établissent pour l’été dans les modests chalets, camps ou “cabines” qui bordent les rives. La proximité de la grande ville, le facteur qui avait favorisé la villégiature à Laval au XIXe siècle, va aussi être la cause de son déclin après 1950. Au fil des ans, les estivants se transformeront en résidents qui travaillent à l’année à Montréal.
Cet iidéal aristocratique et bourgeois de vivre dans un cadre pittoresque, un retour à la nature centré sur de grandes résidences dotées de tous les éléments de confort, les Nord-Américains fortunés vont le réaliser en achetant presque toutes les îles et les beaux sites riverains entre le lac Ontario et l’archipel de Montréal. Au début du XXe siècle, les sites privés se font rares et des promoteurs s’intéressent à cette clientèle aisée qui craint, par-dessus tout, la promiscuité. Laval va connaître deux projets de “cité-jardin” dans lesquels les normes de construction et l’aménagement de l’espace sont soumis à des normes très strictes. La naissance de la municipalité de Laval-sur-le-Lac, sur la pointe ouest de l’Île Jésus, en 1915, s’inscrit dans ce modèle ; celle de la ville des Îles-Laval (Bigras, Pariseau, Verte et Ronde), en 1941, participe du même mouvement.
Loisirs et nouvelles activités commerciales
L’attrait des berges se démocratise, surtout au cours des prospères années 1923 – 1929, alors que les rives lavalloises des rivières des Mille Îles et des Prairies accueillent un flot croissant de familles, en majorité francophones, qui fuient la canicule montréalaise. Installés dans de petits chalets, souvent sur pilotis en zones inondables, les estivants y apprivoisent les plaisirs de la vie oisive jadis réservée aux gens aisés.
Toute une nouvelle activité commerciale naît dans le sillage de cette clientèle : location de chalets, maisons de pension à la semaine ou au mois, petits hôtels avec salle à manger, restaurants et comptoirs de friandises. En 1927, quelque 30 établissements lavallois détiennent un permis de vente d’alcool : 12 h^tels, 6 tavernes, 10 magasins de bière ainsi que 2 clubs de Laval-sur-le-Lac.
Momentanément ralenti par la crise des années 1930 qui érode le revenu des ménages, le mouvement s’accentue à la faveur de l’enrichissant collectif provoqué par la hausse des salaires industriels dans les années de guerre et d’après-guerre. À la fin des années 1940, le tourisme de villégiature sur l’île Jésus atteint un sommet. Le géographe français Raoul Blanchard, qui poursuit depuis alors vingt ans sa description des régions du Québec, choisit ce moment pour dresser le bilan d’un phénomène social et culturel d’une ampleur telle que des localités de l’île voient doubler ou tripler leur population en juillet. Au total, les rives lavalloises accueillaient de 12 000 à 13 000 villégiateurs, à plus de 60 % francophones, au sommet de la saison, sans compter les voyageurs du dimanche.
Les rives de la rivière des Mille Îles attirent plus que celles des Prairies, déjà partiellement urbanisées et dont les eaux sont fortement polluées en aval. En amont, Sainte-Dorothée et les Îles-Laval accueillent la grosse part des estivants du côté sud de l’île. Les trois quarts des villégiateurs choisissent toutefois le côté nord, où ils se concentrent à Plage-Laval et à sa localité mère, Sainte-Rose. Là, ils seraient plus de 8 000 dispersés le long des berges sinueuses et ombrageuses. Cette transhumance estivale connaît une évolution majeure au fil des ans. En 1900, les chefs de famille devaient rester en ville la semaine durant ; en 1950, la majorité des pères peuvent effectuer le va-et-vient quotidien à Montréal grâce aux infrastructures routières modernisées.
L’afflux annuel de tous ces Montréalais qui expérimentent la naissante société des loisirs provoque des changements culturels majeurs sur l’île Jésus. De façon graduelle et irréversible, les Lavallois “de souche” adoptent les façons d’être et de faire des envahisseurs saisonniers. Comme eux, ils lisent la presse quotidienne de la métropole et écoutent ses postes de radio, vont voir les mêmes films au cinéma. En 1940, même si la majeur partie de l’île appartient encore aux producteurs agricoles, les Lavallois ont déjà une mentalité urbaine. Vingt-cinq années plus tard, ils vont se créer une grande ville chez eux, une ville à la campagne.
Source : Histoire de Laval, par Jean-Charles Fortin, Jacques Saint-Pierre, Normand Perron. Les Presses de l’Université Laval, 2008.
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