Notre voisin le Japon

Notre voisin le Japon

(Article paru en mars 1942 dans L’Action Universitaire)

Il est banal de dire qu’avec les moyens modernes de transports rapides la terre s’est rapetissée à tel point que nous sommes bien plus proches des antipodes que nos ancêtres étaient de leurs voisins immédiats.

Depuis son entrée dans le conflit aux côtés des puissances de l’Axe, le Japon a fait ouvrir des yeux ébahis à quantité de gens qui n’avaient qu’une faible idée de l’importance de l’Empire du Soleil Levant. Cette surprise est due partie à l’ignorance, partie à une volonté systématique de méconnaître la réalité.

On savait certes, dans les grandes lignes, les progrès immenses accomplis par le Japon dans le domaine industriel et militaire, on savait, pour en avoir des exemples dans la vie quotidienne, que la camelote nippone envahissait les marchés et que les barrières douanières élevées contre cette invasion, ralentissaient, sans l’arrêter, ce raz-de-marée.

Sur le plan politique l’information manquait, ou plutôt elle était fragmentaire, incomplète et ne nous donnait qu’une idée fausse de la situation. Les apparences étaient telles qu’on pouvait voir dans le Japon moderne une grande démocratie parlementaire où le jeu des partis politiques tempérait l’ardeur de quelques fanatiques en mal de coups d’état.

Façade à la manière orientale qui masquait la vérité : il manquait au Japon la responsabilité ministérielle, les ministres n’étaient responsables que devant l’Empereur. Depuis dix ans, à intervalles réguliers qui révélaient un mal chronique, les attentats politiques de la première gravité, supprimaient ceux qui, par leur prestige, auraient pu tenir le peuple dans les voies pacifiques et ils attestaient, ces attentats, la puissance occulte du parti militaire, impérialisant, qui. finalement, a eu gain de cause.

On s’étonne que quelques individus sans scrupules, aient pu arriver à leurs fins par le terrorisme. N’y avait-il donc pas de police, de tribunaux ?

Certes le menu fretin était pris, condamné, exécuté, mais les instigateurs, les vrais coupables, demeuraient dans les coulisses couverts du manteau du patriotisme et du nationalisme.

Avec une remarquable unité de vues et une persévérance indéfectible dans la poursuite de buts bien définis, le parti impérialiste et national est arrivé à attirer la faveur des groupes populaires et à provoquer une telle concordance entre les intérêts du pays et ceux de l’armée ou de la marine que ce sont tout naturellement ces dernières qui prirent la tête des affaires.

Aujourd’hui le masque est jeté. Fini le temps où on jugeait le Japon d’après les écrits plus ou moins poétiques de Loti, de Lafcadio Hearn, ou d’après la placidité des estampes, des fines porcelaines ; passé le temps où la pérennité millénaire d’une dynastie, semblait un gage de conservatisme : le Japon prouve maintenant qu’il a un poing d’acier sous un gant de dentelle.

C’est donc à un moment tout à fait opportun que des éditeurs canadiens viennent de publier deux volumes très documentés sur ce pays. Il s’agit de: « L’Extrême-Orient et nous » par Auguste Viatte (Editions de l’Arbre, Montréal) et « Le Japon, grande puissance moderne » par Jean Ray. (Librairie Pion, Paris, Réédition Librairie Pony, Montréal).

Dans le livre de M. Viatte, qui est une synthèse très ramassée de la question sino-japonaise depuis un siècle, on trouvera les éléments complets de la politique intérieure de ces deux grands pays asiatiques: la Chine et le Japon, ainsi que des attitudes non moins complexes et si variables des puissances occidentales à leur égard.

Ouvrage fort intéressant pour celui qui est déjà au courant de l’histoire diplomatique et militaire de la décadence de l’Empire chinois et l’ascension de l’Empire nippon. Ouvrage instructif au plus haut point pour celui qui, faute de temps, n’a pu prendre connaissance de cette suite inextricable d’aventures, de démêlés, véritable partie d’échecs à six qu’ont joué la Chine, le Japon, l’Angleterre, la Russie, la France et les États-Unis.

Le livre de M. Jean Ray s’attache plus spécialement au Japon. Il résume l’histoire de cette période qu’on appelle là-bas la « Restauration de 1867 » c’est la date du décret qui chassait les étrangers et où l’Empereur reprend le pouvoir personnel. Puis il montre la vie intérieure du Japon dominée par l’empereur, non seulement au point de vue politique, mais aussi au point de vue moral, social et religieux.

La vie du menu peuple, ouvriers et paysans, est aussi étudiée et les vues que donne l’auteur sur la condition sociale et la vie communautaire des ouvriers, leurs relations avec les patrons, l’organisation syndicale, le régime de vie des agriculteurs, tout cela est de nature à modifier à bien des préjugés et à rectifier des appréciations inexactes.

Le livre se termine par une conclusion qu’il faut lire en se souvenant que l’auteur a écrit et publié son livre à Paris en 1941 ; il n’est donc pas surprenant d’y trouver des appréciations que l’on pourra juger, pour le moins, latitudinaires. Toutefois, il est possible, philosophiquement parlant, d’accepter la pensée ultime que nous livre M. Ray :

« C’est donc d’un même cœur que le Japon et les autres pays pourraient aborder le grand problème de notre temps : il s’agit de savoir si, devant une civilisation qui, par l’accroissement incessant de sa puissance matérielle, écrase l’homme et le déshumanise, on pourra sauver les valeurs spirituelles auxquelles l’Orient, comme l’Occident sont, depuis des millénaires, attachés. »

Raymond Tanghe.

japon en guerre
Situation en Extrême Orient au début de 1942. Carte géographique de l’époque.

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