Histoire du régiment de la Chaudière

Le régiment de la Chaudière et la guerre en Europe

En 1941, au moment de partir en Europe, le régiment d’infanterie de la Chaudière était composé de trois bataillons et de services auxiliaires. Les soldats sont partis en été 1941 et, en tout, il s’agissait des milliers de militaires, qui sont venus saluer, souvent pour la dernière fois, des milliers de civils massés sur les quais.

Arrivé en Grande-Bretagne, le régiment passe près de trois ans dans des camps, notamment ceux d’Aldershot, Sheffield Park et Stoneham, où, du 5 août 1941 au 5 juin 1944, il s’entraîne aux côtés de régiments anglais et écossais. Il n’est d’ailleurs pas le seul à le faire. En 1941, le nombre de militaires canadiens en Grande-Bretagne passe de 125 000 à 177 000 hommes. Quant à l’entrainement, il est rigoureux : manœuvres tactiques, simulations d’attaque et de défense, conditionnement physique, repérage et nettoyage de terrains minés, etc. De plus, pour maintenir le moral des troupes, on organise des compétitions et des défilés devant des dignitaires. Encore là, le Régiment de la Chaudière remporte plusieurs prix, tant pour son habilité générale que pour sa disciple et son endurance physique.

Plus le jour u débarquement approche, plus l’entraînement devient rigoureux et plus les grandes manœuvres se multiplient. Codées sous différents noms – Tiger, Pete, Landing, Flash, Sniff, Vidi, Ozone, Pirate, Hattricл, Airdale, Spartan, Smashex, Ardno, Caper, Sodamint, Fabius et bien d’autres -, elles font plusieurs victimes. Mais comme il faut préparer les troupes à l’un des assauts les plus meurtriers de la guerre, les exercices se poursuivent.

Le débarquement sur les côtes françaises

Les derniers préparatifs ont lieu en mai 1944, au camp Stoneham, près de Southampton, en vue de l’opération Overlord. Le plan des Alliés prévoit que le Régiment de la Chaudière, commandé par le lieutenant-colonel Paul Mathieu, établira une tête de pot en sol français afin de protéger la fourniture d’armes et de matériel à ceux qui devaient poursuive l’invasion. Les directives sont sans appel : il faut garder le secret absolu sur le plan d’invasion.

L’embarquement commence le 1er juin et termine le 3 juin. Tous attendent avec impatience l’ordre de départ qui doit être donné par le commandant suprême des Forces alliées, le général américain Dwight Eisenhower.

Le 5 juin 1944, en soirée, des centaines de milliers de militaires, dont ceux de la 3e Division canadienne, dont fait partie le Régiment de la Chaudière, apprennent que le jour J est fixé au lendemain, à 7 heures 45 du matin.

Malgré un temps orageux, une gigantesque armada de 2 000 navires et 2 500 péniches de débarquement quitte l’Angleterre et traverse la Manche. Quan elle arrive en vue des côtes normandes, elle s’étire sur un front de 34 kilomètres. Après un bombardement massif, les troupes débarquent à Bernières-sur-Mer, sur une plage truffée de mines. Elles sont protégées par un écran de fumée, mais doivent faire face à une résistance farouche. Empêtrées dans les barbelés, elles doivent se défendre contre les tirs de mitrailleuses, les obus, les grenades et les attaques aériennes. Les Alliés ont pourtant largué 20 000 parachutistes et disposent de 13 000 avions de chasse, contre 185 seulement pour les Allemands. Toute la journée, les combats font rage, avec leur cortège d’horreurs.

Dans les deux camps, les morts et les blessés s’accumulent, pendant que se multiplient les actes d’héroïsme et le nombre de prisonniers. À la fin, vaincus par le nombre, les Allemands se retirent. Les Alliés ont atteint la plupart de leurs objectifs, ouvrant une voie d’accès vers l’intérieur et, éventuellement, vers l’Allemagne. Quant au Régiment de la Chaudière, ses pertes furent moindres que prévues. Il fut d’ailleurs le seul dans ce cas, ce qui lui vaut d’être reconnu comme l’un des plus efficaces sur les plages.

Grégoire Veilleux, de Saint-Georges de Beauce, a vécu de près cette journée. Fait prisonniers par les Allemands, il restera en captivité jusqu’au 9 avril 1945. Il a résumé ainsi sa détention :

« Au cours de ces 10 mois de captivité, j’ai marché au moins 800 kilomètres dans toutes sortes de conditions de température, mal vêtu et mal chaussé. On couchait dans des étables. Sous la tente, dans des hangars, dans des wagons pour bestiaux, dans des entrepôts désaffectés, des camps de barbelés et des abris souterrains. La nourriture était rare; on nous donnait deux tranches de pain noir par jour. Il fallait voler de la moulée de porcs pour subsister. Il m’est arrivé d’aller fouiller dans un dépotoir et de tomber sur un os bien dodu pour me rendre compte que cela ressemblait à un avant-bras humain. Nous étions amaigris, faibles, maladifs et pleins de poux. On pouvait écrire des lettres, mais on ne recevait jamais de réponses. Le moral n’était fort, d’autant plus que les bombardement continuaient, les balles nous sifflaient aux oreilles et les Alliés nous tiraient probablement dessus sans le savoir. J’ai vu un Allemand tuer un Russe simplement parce qu’il avait fait « ses besoins » hors du camp sans autorisation. Un Anglais s’est fait battre à mort parce qu’il avait volé un peu de nourriture. J’ai vécu des moments très pénibles voir même indescriptibles. Toute ma fie, je garderais en mémoire ces mois d’angoisse et d’insécurité. (Propos colligés par l’auteur du livre cité).

Une semaine plus tard, les Alliés ont débarqué 326 547 hommes, 54 186 véhicules et 194 428 tonnes d’approvisionnement. Bien que les Allemands ne puissent plus rejeter les Alliés à la mer, la bataille ne faisait que commencer. En fait, ce n’était que le début d’une longue campagne qui allait durer pratiquement un an, au cours de laquelle on consolide la tête de pont, capture les ports contrôlés par les Allemands et soumet les garnisons isolées.

Pendant tout l’été, les « Chauds », surnom donné aux hommes du Régiment de la Chaudière par les Britanniques, font campagne en France. Les combats se succèdent à un rythme infernal, entrecoupés de périodes d’accalmie, à l’occasion desquelles les troupes se reposent, pendant que les officiers font le bilan et planifient l’ordre des combats. Puis, ces derniers reprennent, marqués chaque fois par leur lot d’horreurs : Colomby-sur-Thaon, Rots, Carpiquet, les Jumeaux, Colombelles, Vaucelle, Mandeville, Rouvres, Cap-Blanc-Nez, Boulogne, Calais, etc.

Le major Miche Gauvin était sur place. Il a laissé un témoignage émouvant de ces jours difficiles, dans un poème dédié à l’un de ses compagnons mort au combat. En voici quelque extraits :

Nous partions dans un instant
Je suis venu te dire adieu
Et dans un geste traditionnel
Dépose cette humble fleur des champs
Une fosse et une croix et ton nom au lettrage inégal…
La mise en terre s’est fait sans éclat
Il n’y avait que l’aumônier et deux soldats.
Les autres se battaient pour capturer l’objectif avant la nuit
J’étais sur la droite lorsque tu es tombé
L’on m’a raconté comment on t’a trouvé
Les bras en croix une grenade dans chaque main, la face dans la boue.
Tu as vécu et tu es mort en parfait accord avec l’héroïsme absolu
Complètement détaché de toute vanité parfaitement conscient de l’ingratitude…
Et devant ton sacrifice qui coûtera tant de larmes à ta mère
Tu t’est donné!
Je te salue dans l’oubli.

Puis, c’est la campagne de L’Escault, en Belgique, qui occupe le régiment durant tout le mois d’octobre. Cette bataille pour le contrôle de l’estuaire a lieu dans des conditions physiques difficiles : en plus des attaques incessantes des unités d’élite allemandes, il faut composer avec la pluie et la boue. Plus de 6 000 soldats canadiens y seront tués. Même le généra Montgomery a reconnu la bravoure du régiment, en qualifiant son travail d’excellent, exécuté, dit-il, par des troupes de premier rang.

De novembre 1944 à janvier 1945, le régiment tient des positions défensives à Nimègue, Kapel, Beck, Driehuizen, Groesbeek, Wyler et Althorst. C’est une période d’attente, de froid et de calme parfois poignant. De chaque côté on patrouille et on s’épie, en attendant l’attaque finale. Puis, le 8 janvier 1945, l’ordre d’attaque est donné. Ce sera la bataille de Leuth, dans une région inondée par l’ennemi. Le 26, après un combat acharné, on délivre Hollen. En mars, on nettoie la forêt de Hochwald et on dégage Emmerich, Hock et Elten. Enfin, on libère le nord de la Hollande.

Les Chauds peuvent inscrire le jour « V », pour victoire, à leur feuille de route. Leur combativité, leur détermination et leurs exploits en ont fait l’une des unités les plus en vue du conflit. Le vice-consul hollandais, «  Polderman, dira à son sujet : « Ce régiment donne la frousse aux Boches; le seul fait de mentionner ce nom transforme les lions en souris ». Quant aux soldats, ils seront fiers d’avoir été associés à ceux qui ont mis fin à un conflit qui aura duré six ans et causé la mort de quelque 50 millions de personnes, dont 20 millions en URSS et 5 millions en Allemagne.

La reddition officielle est signée le 8 mai 1945, à Reims. Pour le régiment cela ne signifie pas pour autant le retour au pays, car il faut encore occuper le territoire et ce préparer mentalement et physiquement au rapatriement, à la démobilisation et au retour à la vie civile. C’est donc une longue période d’attente qui s’annonce. Sa durée sera différente d’un bataillon à l’autre et marquée par des séjours plus ou moins longs dans différents pays.

Le 1er Bataillon du Régiment de la Chaudière est alors stationné en Hollande où il participe à la reconstruction du pays : réparation de routes, comblement de tranchées, construction d’écoles, etc. Pour maintenir le moral, on organise des activités de loisir. Finalement, en décembre, l’ordre du rapatriement est donné. Le retour au Canada se fait à bord du « Queen Elisabeth ». Le navire accoste à New York le 28 décembre 1945. Quelques jours plus tard, les hommes sont placés sur des trains, et, le 30 décembre, ils arrivent à la gare du Palais à Québec. Ils sont accueillis par une foule enthousiaste : drapeaux fleurs, banderoles, affiches, musique, chants, pleurs, manifestations de joie, tout y est. Plus tard, les troupes ont droit à des défilés et à des cérémonies civiles et militaires, qui marqueront, du même coup, le démantèlement du bataillon.

On démantèlera aussi le 2e Bataillon, mis sur pied en 1940 pour des réservistes appelés à remplacer les soldats du 1er Bataillon partis outremer. Ce bataillon fut mis sur pied par le lieutenant-colonel Louis-P. Cliche, qui dirigea ensuite un centre d’instruction et une école de sous-officiers à Lac-Mégantic. Cette institution prépara près de 2000 officiers bilingues, issus de toutes les régions du Canada. On démantèlera également l’unité de conscrits formée en vertu de la loi sur la conscription et qui devait combler les pertes en Europe. Placée sous le commandement du lieutenant-colonel Hughes Lapointe, elle comptait 2 500 hommes.

Quant à l’occupation du territoire allemand, elle sera confiée, entre autres, au 3e Bataillon du Régiment de la Chaudière. Il y restera du 5 juillet 1945 au 12 avril 1946, occupé à des opérations de patrouille et à la protection des dépôts de munitions. Pour passer le temps et rendre l’attente du rapatriement moins pénible, on leur fait suivre des cours, on organise des fêtes et des réceptions, on distribue également des publications destinées à les former ou les informer sur la vie au pays. La plus connue est « Fleur de lys », distribuée gratuitement aux militaires. Le bataillon sera rapatrié par intervalles, en avril et mai 1946, principalement à bord du paquebot Île de France. À l’instar du 1er Bataillon, à leur retour, les soldats du 3e Bataillon auront droit à des réceptions et des fêtes en leur honneur.

(Source : Histoire de Beauce-Etchemin-Amiante, par Serge Courville, Pierre C. Poulin, Barry Rodrigue et d’autres).

Voir aussi :

Régiment de la Chaudière
Soldats du régiment de la Chaudière en Europe, en 1945. Photo de l’époque.

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