L’effort de guerre a fait entrer la Québécoise sur le marché du travail
Malgré une farouche opposition des élites « éclairées »
Saviez-vous que d’éminentes personnalités comme MM. François-Albert Angers et André Laurendeau ont, au début de la guerre, manifesté de violentes réactions contre l’entrée des femmes sur le marché du travail au Québec ? C’est ce qui étonne et ce qu’on apprend, entre autres, dans l’ouvrage de Mona-Josée Gagnon : « Les femmes vues par le Québec des hommes », publié aux Éditions du Jour.
Ce qu’on a écrit sur les femmes % pendant trente ans, comment les hommes définissaient la façon d’agir et de penser d’une « vraie femme », comment l’image s’est formée et déformée pendant des années, autant de sujets qu’analyse Mme Gagnon.
Comme elle, on est surpris de découvrir que le Québec a vibré à une campagne contre le travail féminin en menant une opération pro familiale d’une rigueur insoupçonnable lorsque le gouvernement fédéral, par la voix de Mackenzie King, invitait tout le monde, sauf les vieillards, les enfants et les invalides, à l’effort de guerre. Mais c’est malgré tout de cette façon que les femmes sont entrées de plain-pied sur le marché du travail.
Mais à quel prix ! C’est leur moralité qu’on mettait en péril. Elles entraient dans un monde où on jure, blasphème, où l’on raconte des « histoires sales », sans compter ces innocentes jeunes filles « contaminées » par les ouvrières aux « mœurs douteuses » !
M. François-Albert Angers lui-même demandait, dans une étude sur le travail féminin, que la moralité des femmes travaillant en usine soit examinée.
Et même Henri Bourassa accusait les chefs et contremaîtres d’usine de donner à leurs employés féminins des injections anticonceptionnelles dans son pamphlet “Que seront nos enfants ? »
Mona-Josée Gagnon n’exagère pas lorsqu’elle parle “d’une levée de boucliers généralisée contre le travail des femmes… L’élite québécoise, bourgeoise et cléricale, mit tout en œuvre pour ramener les femmes à la maison”, constate-t-elle. Pour expliquer la vision qu’ont les hommes des femmes québécoises qui entreprennent une carrière, Mona-Josée Gagnon cite Claude Ryan. Au cours de la diffusion du résultat des élections municipales à la radio dimanche dernier, M. Ryan constatait, devant la victoire de trois candidates du RCM, qu’il fallait en effet des femmes en politique.
Celles-ci pouvant apporter quelques corrections aux erreurs des hommes, remarquait-il, elles sont tout indiquées, entre autres, pour signaler… où il faut placer commodément le réfrigérateur dans les cuisines des HLM !
« Les extensions politiques de la vie familiale sont autant de domaines tout indiqués pour l’action des femmes: le secteur scolaire, les secteurs hospitalier et social », note-t-on dans l’ouvrage de Mme Gagnon.
Le droit moral de travailler est reconnu aux femmes québécoises après la guerre dans certains domaines. Ce droit est associé à l’acceptation de l’urbanisation et de l’industrialisation qui a contribué à la disparition de l’organisation familiale traditionnelle.
Cette étape, que Mona-Josée Gagnon qualifie de rattrapage, n’est pas encore franchie puisque les femmes qui travaillent doivent répondre à de grandes attentes: être à la fois anges au foyer et ouvertes sur le monde. « C’est un idéal difficile à atteindre », constate-t-elle. C’est la théorie de la « superfemme » qui s’inscrit dans ce que Mona-Josée Gagnon appelle l’idéologie de transition, l’étape entre deux âges.
Permanente au centre de recherche de la Fédération des Travailleurs du Québec depuis quatre ans, pour Mona-Josée Gagnon l’intégration des femmes doit se faire par le marché du travail. Elle s’est donc également intéressée à l’attitude syndicale face aux femmes qui travaillent.
On note dans le journal de la CSN que les pages consacrées aux femmes contenaient des recettes de cuisine, des suggestions de couture et de tricot ainsi que quelques conseils: comment dénicher un bon mari, comment se bien conduire, pourquoi elles ne doivent pas travailler si elles n’en ont pas besoin. C’est beaucoup plus tard, au début des années 50, qu’on insistera sur l’appui des épouses à leur mari militant. C’est en 1954 seulement qu’on commencera à s’occuper du sort des travailleuses syndiquées au niveau des congrès.
« La parité salariale, explique Mona-Josée Gagnon, a été demandée pour enrayer le chômage des hommes, pour empêcher qu’on emploie une femme à salaire inférieur plutôt qu’un homme. L’analyse des syndicats à cette époque a été peu profonde puisqu’ils n’ont pas su éviter le plus grand danger: la formation de ghettos d’emplois féminins comme le travail domestique, les usines de textiles et de chaos sures, les serveuses de restaurant, etc… dont les salaires sont inférieurs à la moyenne. »
C’est à partir d’une documentation puisée principalement dans les périodiques que Mona-Josée Gagnon trace un portrait de la femme au travail de 1940 à 1970, un bilan critique sérieux, fait sans émotion et sans agressivité mais en rendant justice aux événements pour désagréables qu’ils soient.
Dans ce champ de réflexion intellectuelle, le Québec a produit beaucoup moins d’ouvrages sérieux sur les femmes que les États-Unis, l’Europe et même le Canada anglais. Sujet pourtant à la mode, il se fait effectivement différents travaux à divers niveaux universitaires mais bien peu sont publiés.
« Les femmes vues par le Québec des hommes » est une partie de la thèse de maîtrise en relations industrielles de Mona-Josée Gagnon.