Finances de guerre

Les finances de guerre et la situation privilégiée du Canada

Dire que la guerre coûte cher est un truisme, lit-on dans la Chronique Financière du mois de novembre, publiée par ma maison Bruno Jeannotte Limitée. Point n’est besoin d’insister d’être un expert en matière militaire pour se rendre compte des dépenses formidables impliquées par un conflit international ou même par une simple menace de conflit. La mobilisation de milliers d’hommes ne se fait pas sans entraîner des frais énormes de transport, d’habillement, de logement, de nourriture, etc., sans compter le manque à gagner résultant de ce que ces hommes sont arrachés à leurs occupations habituelles. Et une fois les hostilités commencées, c’est la débauche des munitions et des armes qu’il faut remplacer, car, même sans tenir compte des destructions de l’ennemi, l’usure est extrêmement rapide. Un gros canon à longue porté est hors d’usage après une cinquantaine de coups et un moteur d’avion doit être entièrement démonté et refait après 500 heures de vol. Si les armées en campagne coûtent cher, l’entretien de la flotte ne demande pas des sommes moins astronomiques comme chacun pourra le constater en parcourant l’intéressante revue mentionnée au début de cet article. Nous y référons nos lecteurs, pour la bonne raison qu’il nous est impossible d’en commenter entièrement le texte dans le peu d’espace à notre disposition.

C’est ainsi, qu’en outre des dépenses militaires, que la guerre moderne en entraîne également pour les civiles. Les évacuations massives, les distributions de masques à gaz, la protection des œuvres d’art, l’internement des sujets ennemis et quantités d’autres mesures nécessaires représentent des frais bien considérables.

C’est dire que dès l’ouverture des hostilités, les gouvernements belligérants se trouvent confrontés avec un problème financier extrêmement ardu. Il leur faut trouver immédiatement des disponibilités pour faire face à ces dépenses de tous ordres. Pour se procurer les fonds dont il a besoin, l’État dispose de deux moyens, l’impôt et l’emprunt. Comme chacun le sait, il y a les impôts directs et les impôts indirects, mais en temps de guerre, les premiers semblent plus intéressants, parce qu’ils rapportent immédiatement. Les impôts qui rapportent sont ceux qu’on large public paie à raison de quelques centins par jour et sans formalités vexatoires. Leur défaut, cependant, c’est qu’atteignant tout le monde, ils entraînent presque immédiatement une hausse du coût de la vie qui contribue à augmenter les dépenses de l’État. On ne peut donc sans danger aller trop loin dans cette voie et c’est pourquoi l’impôt ne peut suffire pour satisfaire aux besoins urgents du Trésor public.

L’emprunt, lui, permet de trouver sans délai les vastes disponibilités nécessaires. C’est au Ministre des Finances qu’il appartient d’en fixer les modalités au mieux des intérêts du Trésor. Il peut suivant l’état du marché, faire varier le taux et l’échéance ou doter la nouvelle émission de privilèges spéciaux. Il s’efforcera en maniant adroitement ces facteurs, d’assurer le succès de l’émission, sans bouleverser le marché et sans faire monter indûment le loyer de l’argent. C’est ainsi que, suivant le cas, il émettra des emprunts à court ou à long terme qui ne s’adressent pas à la même clientèle. Point n’est besoin d’insister que le premier genre d’emprunt ne constitue ordinairement qu’une solution provisoire et qu’il faut, tôt ou tard, en venir à la solution définitive de l’emprunt à long terme, c’est-à-dire de dix ans ou plus.

Si comme tout le fait prévoir, la guerre qui commence est une affaire de longue haleine, l’État aura besoin d’importants capitaux et rien ne doit être ménagé pour lui procurer tout en évitant d’hypothéquer trop l’avenir et c’est pourquoi, il serait à désirer que l’on éclaire davantage le public sur les finances de guerre. L’exemple que nous donne aujourd’hui la maison Bruno Jeannotte Limitée devrait être suivi par maintes autres firmes financières, de sorte que le public ne tarderait pas à distinguer dans la suite ce qui lui semblera le plus avantageux, tant pour la propre sauvegarde de ses intérêts que pour l’avenir du pays. De plus, nombre de gens ne tarderaient pas à réaliser que les emprunts massifs ne signifient pas nécessairement la ruine du pays. Il ne faut pas confondre le pays et l’État, si la guerre, avec les énormes dépenses qu’elle entraîne, endette l’État, elle enrichit, par contre, maints particuliers. Tout cet argent, que l’État draine par les impôts et par les emprunts, est immédiatement reversé dans la circulation, d’où la fin pratiquement complète du chômage à brève échéance. De plus, le rendement élevé des industries ne tarde pas à provoquer une hausse des gages et salaires. Un simple retour en arrière sur ce qui se passe au pays depuis la fin d’août permettra à quiconque, en effet, de constater que l’emploiement est meilleure et qu’il y a déjà augmentation dans la feuille de paye des ouvriers et accroissement dans la consommation. De plus, comme il semble que le Canada soit appelé au cours du présent conflit à jouer, en quelque sorte, le rôle de courtier entre les États-Unis et les Alliés, il s’en suit que cela pourrait bien se traduire par un bénéfice net, réalisé au détriment des pays étrangers. Nul doute que cette conclusion de l’intéressante lettre mensuelle mentionnée ci-dessus aura pour effet de redonner la confiance aux placeurs de fonds et aux spéculateurs et que ces derniers continueront d’envisager favorablement l’avenir de leur pays, en attendant le retour de la paix.

Marcel Clement, texte publié dans le journal Le Canada, mardi, 31 octobre 1939.

Voir aussi :

Ce mot copié d’Apulée: « Vous aurez beau agrandir votre parc de Versailles, vous aurez toujours des voisins.(Édouard Fournier L’Esprit dans l’histoire (1857). Photographie de Megan Jorgensen.
Ce mot copié d’Apulée: « Vous aurez beau agrandir votre parc de Versailles, vous aurez toujours des voisins.(Édouard Fournier L’Esprit dans l’histoire (1857). Photographie de Megan Jorgensen.

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