Femmes militaires en Deuxième guerre mondiale

Le service militaire des femmes canadiennes et québécoises

La machine de guerre consomme tellement d’hommes que, dès le début des hostilités, on songe à recourir à la main-d’œuvre féminine, non pas pour se battre au front, bien sûr, mais pour accomplir des tâches auxiliaires, surtout au Canada, libérant ainsi les hommes pour le combat actif.

En 1941 et 1942, on met sur pied la section féminine du Corps royal de l’Aviation canadienne, le Corps féminin de l’Armée canadienne et le Corps féminin de la Marine royale canadienne. Ils sont appelés couramment, même par les francophones, les WD’s, les SWACS et les WRENS, abréviations anglaises de leurs sections. Dès le début de la guerre, des milliers de femmes font déjà partie des corps en réserve et la campagne de recrutement des femmes s’intensifie. Madeleine Saint-Laurent, fille de celui qui succédera à Mackenzie King comme premier ministre du Canada, est capitaine, puis major, dans le Corps féminin de l’armée, et parcourt le Québec en incitant les jeunes francophones à se joindre à l’armée.

Pour être officier dans une des divisions féminines, il faut posséder un diplôme universitaire ou une qualification équivalente. Mais les simples recrues n’ont besoin que de sept à dix ans de scolarité, d’être âgées de dix-huit à quarante-cinq ans, d’être célibataires ou sans enfants, d’avoir bonne réputation et d’être en bonne santé

En 1942, plus de 17 000 femmes de partout au Canada, font partie des forces armées. À la fin de la guerre, elles seront 45 000. Pour quelques-unes, c’est une façon de se rapprocher d’un mari ou d’un fiancé soldat et de l’appuer pendant la guerre. Pour d’autres’ c’est tout simplement une façon acceptable de quitter le foyer familial, d’apprendre un métier et, peut-être, de voyager un peu.

Les recrues doivent porter l’uniforme et leurs cheveux ne doivent pas dépasser une longueur réglementaire. Mais, puisqu’un des buts recherchés en admettant les femmes dans l’armée est d’encourager les soldats par une présence féminine, on leur permet un minimum de bijoux et de maquillage. Elles suivent un entraînement de base : conditionnement physique, règlements militaires, premiers soins, cartographie, etc. Ensuite, elles sont mises à la tâche, et même si elles mènent la vile militaire et dorment dans les casernes sur les bases militaires, elles accomplissent des tâches traditionnellement féminines : cuisinières, standardistes, blanchisseuses, serveuses et femmes de ménage.

Quelques-unes sont chauffeurs, mais aucune d’entre elles ne porte les armes. Vers la fin de la guerre, lorsque de plus en plus d’hommes sont envoyés au front, on forme des femmes pour les remplacer; ainsi, plusieurs deviennent mécaniciennes, télégraphistes ou techniciennes. Selon les historiennes Geneviève Auger et Raymonde Lamothe, beaucoup de femmes, parties à l’aventure et se retrouvant serveuses au mess des officiers, sont profondément déçues, d’autant plus que leur salaire est plus maigre que celui des hommes.

Mais la campagne de propagande intense et la promesse de l’aventure permettent au gouvernement d’attirer les femmes et de prolonger la discrimination salariale jusque dans l’armée; ce qui se justifie facilement puisque, après tout, les emplois féminins, dans la vie civile, sont presque identiques, et que les femmes doivent être prêtes à se sacrifier pour gagner la guerre.

Ce n’est pas seulement dans les emplois et dans les salaires que le double standard – un pour les hommes, un autre pour les femmes – se fait sentir. Dans l’armée, les femmes n’ont presque pas de pouvoir; les femmes officiers ne commandent que les femmes, jamais les hommes, alors que les divisions féminines sont toujours sous l’autorité ultime d’un homme. Une controverse éclate pour déterminer si les hommes de grande inférieur sont obligés de saluer les femmes de grande supérieur; de toute façon, elles sont peu nombreuses, les chances de promotions pour les femmes étant minimes.

Selon les historiens Auger et Lamothe, les femmes qui jouissent du maximum d’autonomie professionnelle dans les forces armées sont les infirmières. Elles sont essentielles au travail des corps médicaux pour seconder les médecins et, bien sûr, leur douceur et leur patience féminine sont indispensables, pense-t-on, pour veiller sur les soldats blessés et les convalescents.

Les infirmières forment un véritable corps d’élite. Elles deviennent automatiquement officiers dès leur entrée dans l’armée et reçoivent le même salaire qu’un homme du même grande : pour les Québécoises, c’est plus de trois fois ce qu’elles reçoivent dans les hôpitaux civils. Cet avantage s’ajoutant au goût de l’aventure, l’entrée dans l’armée exerce un puissant attrait. Plus de 4 000 Canadiennes deviennent des infirmières militaires, alors que plus du double désirent être admises. D’autres professionnelles de la santé, telles les physiothérapeutes et les diététiciennes, sont aussi importantes et jouissent du même statut que les infirmières.

Un tiers des infirmières reste au Canada, travaillant dans les hôpitaux militaires, les foyers de convalescence et les bases navales et aériennes; la majorité d’entre elles sont envoyées en Grande-Bretagne, où sont basées les forces canadiennes qui préparent la reconquête de l’Europe et de l’Afrique du Nord. Elles travaillent dans des conditions inconfortables et dangereuses, dans les grands hôpitaux militaires où sont évacués les blessés du front, mais elles se sentent récompensées par l’appréciation des soldats et par leur popularité en général. Ce sont souvent les seules femmes qui, à proximité de milliers d’hommes vivant une existence dangereuse et monotone, sont l’objet d’une continuelle attention masculine.

Les fréquentations entre femmes et hommes inscrits dans les forces armées préoccupent énormément les autorités militaires. Au début de la guerre, la mauvaise réputation des femmes dans l’armée nuit au recrutement des effectifs féminins. L’éloignement des jeunes femmes de leurs familles, la proximité des soldats que les lendemains incertains et la vie de caserne incitent parfois à l’imprudence, la dureté de la vie militaire, voilà autant de facteurs qui peuvent suggérer à une certaine partie de la population canadienne une image de femme de petite vertu.

L’historienne Ruth Pierson explique cette représentation désobligeante des femmes militaires. D’abord, la population francophone du Québec voit mal qu’une jeune célibataire vive loin de la surveillance parentale, et une partie de la population est même vivement opposée à l’effort de guerre. Ensuite, les jeunes militaires eux-mêmes n’acceptent pas, au début. La présence des femmes dans un univers masculin et ripostent en faisant des blagues obscènes au sujet des « filles à soldats ». Le ministre de la Défense fait appel à l’aide du Conseil national des femmes, dont la présidente assure les mères canadiennes que leurs filles seront encadrées tout comme si elles étaient restées à la maison.

En réalité la vile militaire est sévère et les fréquentations des femmes sont surveillées le mieux possible, non seulement pour protéger leur réputation (celles-ci, mariées ou non, sont congédiées si elles deviennent enceintes) : le problème le plus urgent, pour es autorités militaires, est la recrudescence des maladies vénériennes qui peut réduire de façon significative le nombre d’hommes aptes au combat. C’est un problème grave, d’autant plus qu’avant 1943 et 1944, une guérison efficace n’est pas assurée.

Les autorités mettent sur pied une campagne d’éducation des soldats : on leur distribue des brochures expliquant les dangers de la syphilis et de la gonorrhée; on leur projette des films où on voit des scènes horrifiantes des effets des maladies vénériennes et puisque, après tout, on ne peut s’attendre à la continence de la part des hommes, on leur donne des condoms et des trousses prophylactiques pour se désinfecter.

Selon Ruth Pierson, qui a analysé cette campagne, on présente aux soldats la femme de mauvaise vie comme étant la représentation vivante de la maladie qui les guette. Les femmes potentiellement porteuses de maladies ne sont pas uniquement les prostituées, mais toutes les femmes trop « faciles » qui se permettent des rapports sexuels en dehors du mariage.

Pour les CWASCS, les Wrens et les WD’s, les autorités comptent seulement sur leur chasteté et ne leur donnent ni contraceptifs si trousse prophylactique. On espère que les femmes, bien informées par les brochures des forces armées et d’une moralité stricte, s’abstiendront de rapports sexuels. Nulle part, dans le matériel éducatif préparé par les femmes, on ne représente les hommes comme source d’infection. Si elles sont infectées, elles ne doivent blâmer qu’elles-mêmes et ne peuvent faire de reproches qu’à elles-mêmes. Encore une fois, le double standard fait des femmes les seules gardiennes de la moralité et, par le fait même, les grandes responsables des maladies transmises sexuellement.

Source : L’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Le collectif Clio : Micheline Dumont, Michèle Jean, Marie Lavigne, Jennifer Stoddart. Publié à l’origine dans la collection Idéelles. Comprend des références bibliographiques et un index. 1992. Le Jour, éditeur, une division du groupe Sogides.

Pour en apprendre plus :

Femmes canadiennes, membres du SFAC, à Banville, en France, 30 juillet 1944. Photo du lieutenant Ken Bell, image libre de droit.
Femmes canadiennes, membres du SFAC, à Banville, en France, 30 juillet 1944. Photo du lieutenant Ken Bell, image libre de droit.

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