La Deuxième guerre mondiale : Chaque travailleuse compte
La question de la participation du Québec à la guerre occupe la scène provinciale pendant plus de six ans. Les anglophones et une partie de la population francophone sont prêts à tous les sacrifices. Mais l’autre partie des francophones éprouve des réserves quant à sa participation, pour des raisons variées : sentiment anti-britannique, aliénation dans un appareil militaire anglophone, philosophie d’isolationnisme, sympathie pour la France catholique et ultra-conservatrice que symbolise le maréchal Pétain, collaborateur des nazis, ou méfiace quant aux politiques de plus en plus centralisatrices que la guerre permet d’appliquer au Canada.
Dès le déclenchement de la guerre, en 1939, les femmes canadiennes s’inquiètent. Est-ce que leurs amis ou leurs fils devront aller se battre? Pour beaucoup de jeunes hommes, la guerre offre une occasion d’aventure et un emploi stable et valorisant, surtout après le chômage des années trente. Mais d’autres, qui n’ont pas envie de risquer leur peau pour une affaire qui ne semble pas toucher directement le Canada, passent la guerre entière à tenter d’éviter le service militaire.
Dis milliers de femmes passent six ans à attendre que leurs hommes reviennent : quelques-uns ne reviennent jamais; d’autres, gravement blessés. Partout au Canada, mais surtout au Québec, les hommes qui refusent d’aller à la guerre doivent se cacher lorsque les pressions pour s’inscrire deviennent trop fortes. Ainsi, à la fin de 1944, quand on se prépare à envoyer pour la première fois des conscrits en Europe, plusieurs soldats ne reviennent pas de leur congé de départ. Ceux-ci sont cachés par leurs familles jusqu’à l’amnistie générale proclamée à la fin de la guerre.
Puisque les époux sont les derniers à être appelés pour le service militaire, le mariage devient donc un moyen d’éviter l’armée. Lorsqu’on annonce, le 12 juillet 1940, que les hommes célibataires seront mobilisés le 15 juillet, un véritable course au mariage se déclenche partout au Canada : on fait la queue devant les portes des églises pour se marier. Les mariages en groupes permettent d’accélérer le rythme des bénédicitions nuptiales. Entre 1838 et 1940, le nombre de mariages célébrés au Canada triple. Mobilisés soit par l’armée, soit par le marine, beaucoup de Canadiens mettent fin abruptement à leur jeunesse.
Les femmes fiancées pendant la Dépression, qui attendaient pour se marier une meilleur situation économique, se sont peut-être réjouies malgré l’austérité de ce prétexte pour se marier plus tôt. Les tissus et les aliments étant strictement rationnés, la mariée met simplement sa meilleure robe et les invités apportent souvent leurs propres rations à la réception. Les femmes qui avaient épousé trop rapidement un homme pour le sauver de la guerre ont dû, parfois, regretter leur geste. D’autant plus qu’au Québec, dans les années 40, le divorce n’existe que pour celles qui possèdent à la fois les moyens financiers et le courage de braver le censure ecclésiastique, si elles sont catholiques. On ne peut obtenir le divorce que par une loi du Parlement.
Les autorités militaires découvrent que la meilleure façon de garder le moral des troupes, au front ou dans les camps d’entraînement d’outre-mer, est de leur faire parvenir des paquets et des lettres du Canada. On assigne donc aux femmes bénévoles des jeunes soldats qui reçoivent peu de courrier; pendant toute la guerre, elles doivent leur écrire pour les réconforter, leur donnant l’assurance d’être soutenus et appréciés chez eux.
Les femmes d’Europe continentale et de Grande-Bretagne accueillent avec joie l’arrivée des soldats canadiens qui se portent au secours de leur pays. Les soldats en poste fréquentent les jeunes célibataires de la région et sont généralement vus comme de bons partis, car, de plus, en Europe, le choix de maris est considérablement réduit par la guerre. Vivre au Canada, pays intouché par les invasions et les bombardements, où presque tout le monde mange à sa faim, représente une perspective alléchante. Au Québec, l’Église et les milieux les plus nationalistes s’inquiètent des mariages entre francophones catholiques et anglophones protestantes, mais, pour la plupart, ces War Brides sont des Anglaises qui épousent des anglophones.
Chaque travailleuse compte
Deux des plus grandes contributions du Canada à l’effort de guerre des Alliés seront la construction d’équipement militaire, d’une part, et l’approvisionnement en denrées alimentaires, d’autre part. Pour réussir à maintenir les niveaux de production, on doit réorganiser toute l’économie du pays : toutes les industries et tous les services ne peuvent fonctionner que selon un plan d’ensemble. La guerre fait rapidement oublier au peuple le chômage de la Dépression. Une grande partie de la production militaire se fait au Québec : explosifs, avions, chars d’assaut, aluminium. Uniformes. Ces industries absorbent la main-d’œuvre masculine non inscrite dans les forces armées, et déjà, en 1941, on manque de bras dans les industries de guerre. La solution : faire appel aux femmes.
Dès 1942, on admet les femmes aux stages de formation en technologie industrielle, et c’est ainsi qu’elles peuvent travailler comme mécaniciennes, électriciennes ou soudeuses dans les usines de guerre. Mais ce n’est que la minorité, car la plupart exécutent des tâches monotones et routinières, même si elles sont parfois très dangereuses. La production de munitions, par exemple, est un travail ennuyeux, mais la moindre inattention peut faire sauter l’usine.
En dépit des problèmes de santé et de sécurité au travail, les usines de guerre attirent les femmes en grand nombre. On sort de la Crise, on a besoin d’argent et les salaires dans les industries de guerre sont plus élevés. Mais, à travail égal, les salaires des femmes ne sont jamais aussi élevés que ceux des hommes. Les syndicats reconnaissent cette injustice; pourtant, ils ne font rien pour la combattre.
Les heures de travail sont extrêmement longues : une équipe travaille souvent jusqu’à douze heures de suite. Pendant la guerre, on fait lever l’interdiction faite aux femmes de travailler la nuit. Parfois, on travaille sept jours par semaine pendant des mois. Ce régime, ajouté à la nature difficile et malsaine de certains travaux – émanations toxiques, matériel dangereux, machinerie lourde et bruyante –, finit par attaquer la santé des travailleuses. Mais elles ne lâchent pas, car les salaires sont trop bons et la propagande incessante du gouvernement les incite à faire leur part pour hâter la victoire. Par contre, celui-ci fait tous les accidents graves qui se produisent, de peur de manquer de main-d’œuvre.
La production de guerre draine la main-d’œuvre féminine des autres secteurs, qui ne peuvent offrir d’aussi bons salaires. En 1942, les institutrices commencent à manquer et on leur défend, pendant l’année scolaire du moins, de prendre un autre emploi. En été, on les encourage à entrer dans les usines de guerre ou à travailler à la campagne pour aider les fermiers. Tout le secteur des services – hôpitaux, écoles, institutions, hôtellerie, transport, communications -, où les travailleuses étaient nombreuses, commence à subir les effets de la pénurie de main-d’œuvre à bon marché. Ainsi, le gouvernement passe à la prochaine phase de sa campagne : à partir de 1943, on encourage les ménagères à accepter des emplois à mi-temps.
Avec de telles chances, il n’est guère surprenant que de plus en plus de femmes refusent de faire du service domestique. Maintenant, en travaillant ailleurs, elles peuvent gagner beaucoup plus d’argent et avoir plus de temps libre. Les maîtresses de maison, surtout celles qui ont toujours eu des domestiques, sont prises de panique, mais elles ne peuvent guère leurs bonnes, attitrées par les campagnes de recrutement, de les quitter pour un meilleur emploi. La production agricole également a énormément besoin de main-d’œuvre, car des milliers d’hommes ont quitté les fermes pour le service militaires ou le travail en usine. Pour aider aux récoltes, on encourage les femmes, particulièrement les jeunes étudiantes, à passer leurs étés à la ferme, et, inversement, on tente de convaincre les fermières, durant l’hiver, de venir en ville prêter main-forte aux usines de guerre.
La vague de nouveaux effectifs sur le marché du travail renforce la position des syndicats, car ceux-ci s’empressent d’inscrire des nouveaux membres : au Québec, entre 1939 et 1943, le nombre d’hommes et de femmes qui font partie d’un syndicat augment de façon considérable. Pour bien des femmes, c’est une première expérience de la vie syndicale, mais la plupart d’entre elles n’ont pas beaucoup de temps pour les activités syndicales et, même en temps de guerre, continuent d’être seules responsables de l’inévitable travail ménager.
Cependant, quelques femmes remarquables de distinguent comme véritables leaders des syndicats : Léa Roback chez RCA Victor; Madeleine Parent, dans le secteur des textiles, et Yvette Charpentier parmi les travailleuses de la confection.
Même avec le gel des salaires et aussi, en théorie, des prix, le coût de la vie continue d’augmenter plus vite que les chèques de paie. Si l’on ajoute à cela le stress causé par l’accélération de la production, les nombreuses grèves qui éclatent s’expliquent facilement. L’organisation syndicale s’est renforcée depuis la guerre : on demande aussi la reconnaissance du syndicat par l’employeur.
En dépit d’une législation extrêmement sévère qui vise à minimiser les arrêts de travail coûteux, de nombreuses grèves éclatent. Au Québec, les industries du textile, de la chaussure, du vêtement et du tabac sont particulièrement touchées par ces conflits de travail. En général, pendant la guerre, les travailleuses marquent des points importants, car les employeurs font de trop gros profits pour risquer la fermeture de l’usine trop longtemps. La pression du mouvement ouvrier oblige les gouvernements de Québec et d’Ottawa à promulguer de nouvelles loi-cadre qui deviendront, par la suite, les codes du travail actuels.
Bibliographie : L’Histoire des femmes au Québec depuis quatre siècles. Le collectif Clio : Micheline Dumont, Michèle Jean, Marie Lavigne, Jennifer Stoddart. Publié à l’origine dans la collection Idéelles. Comprend des références bibliographiques et un index. 1992. Le Jour, éditeur, une division du groupe Sogides.
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