
Une dure bataille des nôtres sur le front italien
Le rôle que bataillons du Royal 22e ont joué dans la prise de Casaberardi
Avec les Canadiens en Italie, 29 décembre (retardée) – Dans la nuit du 13 et 14 décembre, un fameux bataillon canadien-français, le Royal 22e de Québec, s’est vu confier la tâche d’attaquer le petit village de Casaberardi dans le secteur d’Ortona. Ce village commandait une croisée de routes où l’ennemi, bien retranché, tenait nos soldats en échec depuis plus d’une semaine.
Le plan d’attaque comporte l’appui de huit chars d’assaut, sous le commandement du major « Snuffy » Smith, de Dauphin, Manitoba, et une forte concentration d’artillerie qui doit s’abattre sur les lignes ennemies pendant la demi-heure précédent l’heure « H ». En plus, l’infanterie peut à son gré demander et obtenir du feu d’appui là, où elle le juge nécessaire.
À 7 heures 20, dix minutes avant la traversée de la ligne du départ, un peloton prend les devants. À cent verges de la ligne de départ, des Allemands apparaissent en élevant les bras et en criant « kamarad ». Ce sont des soldats des avant-postes ennemis. Ils sont désarmés et envoyés à l’arrière. Le capitaine Paul Triquet, de Cabano, Québec, envoie son ordonnance, le soldat Ricardo Chartrand, de Cheneville, examiner des Allemands qui gisaient par terre. Chartrand constate que cinq de cas « morts » sont indemnes et n’ont simulé la mort que pour pouvoir attaquer les Canadiens par derrière.
Quelques minutes après le début de l’attaque, les tanks boches font leur apparition, crachant du feu de tous leurs canons et de toutes leurs mitrailleuses. L’un des tanks prend position derrière une maison et met en joue le peloton du lieutenant Yvon Forget, de Montréal. Le lieutenant Marcel Richard, de Québec, décide de porter secours à ses camarades menacés. Sous une grêle de balles, après avoir lentement contourné une maison, un sergent suivait le projecteur anti-char, court à 35 verges du tank, et cela en dépit de deux autres tanks avançant dans sa direction, fait feu et détruit ce tank. Il se déplace aussitôt pour avoir les deux autres chars dans son champs de tir mais le ressort de son canon fait défaut. Heureusement, le major Smith survient au même moment à la tête de ses tanks et l’ennemi se retire vers ses lignes.
Avec l’aide de l’officier d’artillerie, le capitaine Triquet dirige le feu de notre artillerie sur les véhicules ennemis dissimulés derrière des bosquets. L’attaque a pour but de nettoyer les deux côtés de la coulée conduisant au village.
L’ennemi a transformé chaque maison, chaque buisson en un nid de mitrailleuses ou de snipers, mais notre avance se poursuit. Les soldats suivent les tanks, nettoyant les coins oubliés par les gros chars d’acier qui tirent sans interruption sur l’ennemi.
Le jeune major Smith, commandant des tanks, fait preuve de beaucoup de sang-froid. À plusieurs reprises, sous les balles, il quitte son tank et va consulter soit le capitaine Triquet, sot le capitaine Ovila Garceau, des Trois-Rivières, pour recevoir des indications sur les positions de l’ennemi et retourne à son tank.
De leur côté, les deux commandants de compagnie, les capitaines Triquet et Garceau, agissent en vrais chefs. Ils sont infatigables. Ils vont d’un peloton à l’autre, voir si leurs gars sont à leurs postes, élaborent des plans de défenses, cherchent des positions plus avantageuses, indiquent des cibles aux tanks, courent à droite et à gauche, souvent au travers des balles et le shrapnel. On se demande par quel miracle aucun d’eau n’est blessé.
Un peu plus loin, nos troupes sont arrosés d’obus par l’artillerie ennemie. Nous subisson des pertes, mais Triquet encourage ses hommes en criant de toute la force de ses poumons : « Y savent pas tirer, les c… »
Le capitaine ordonne de ne plus tirer qu’à coup sûr car les munitions se font rares.
A 2 heures 30 de l’après-midi, les Canadiens ne sont qu’à 200 verges du village où ils se buttent à un écran de fer provenant d’un tank, de mitrailleuses et de francs-tireurs. Afin de pouvoir engager l’ennemi de plus près, le major Smith lance un écran de fumée. Il veut tirer à bout portant, si c’est possible, car il manque de munitions. Au cours de l’engagement qui suit, le tank boche est démoli, mais du même coup, un des nôtres est immobilisé, une de ses chenilles volant en éclats sous un coup direct d’un canon antichars de l’ennemi.
L’effectif de la compagnie « C » diminue toujours. Il ne compte plus à ce moment que 21 hommes, cinq mitrailleuse légères et cinq mitraillettes, et un minimum de munitions. Ces renseignements sont transmis au quartier général du bataillon qui ordonne de tenir les positions en attendant l’arrivée des renforts.
A la tombée de la nuit, la compagnie D, qui était alors commandée par le capitaine André Arnoldi, de Montréal, arrive sur place. Un plan est élaboré pour prendre le village avec ce qui reste de la compagnie C. Il est décidé de se cramponner aux même positions jusqu’à l’aube, et à ce moment, d’avancer avec les chars. La nuit se passe aux aguets. Les balles sifflent de partout, dirigées par des fusées limoneuses qui éclairent blafardement les tranchées étroites et même les trous d’obus où grelottent les fantassins. Mais tous sont fermement décidés à tenir jusqu’à l’arrivée des renforts.
L’attaque projetée se fait à 7 heures 30. A trois cents verges du village, la bataille s’engage. Les sections avancées de la compagnie D, commandées par le lieutenant Claude Chatillon, d’Ottawa, tombent sous le feu d’enfilade de mitrailleuses et de mortiers, installés sur le versant droit de la coulée devant le village. Les hommes se jettent à plat ventre. Ils ne peuvent bouger sans s’attirer les rafales de balles. Chatillon me montrera après le combat les deux trous qui percent et l’étoffe de sa vareuse.
Dirigeant le feu des tanks, le capitaine Garceau réussit à faire sortir la majorité de ses hommes de guet-apens et à les disposer le long de la route où une ligne d’arbustes les dissimule à l’ennemi. Vers 3 heures, des patrouilles lui apprennent que l’ennemi masse des troupes dans une coulée voisine en vue d’une contre-attaque, la compagne D se reforma de son mieux dans l’attente du char tandis que notre artillerie martèle les concentrations ennemies.
De leur côté, les boches font pleuvoir une grêle de bombes auxquelles s’ajoute le feu des tanks dissimulés derrière les hais. Mais la contre-attaque échoue et nos positions sont conservées. Il est 4 h, et déjà le jour baisse.
Dès l’obscurité, le capitaine Garceau retire ses troupes de cent verges, et après consultation avec les autres commandants de compagnies, Triquet, Arnoldi et le major Joseph Trudeau, de Québec, il est décidé d’établir une ligne de positions défensives en attendant les ordres de la brigade.
Ces ordres arrivent vers 7 heures. Il faut tenir ces positions pendant 48 heures. En même temps, le major Smith rapporte que ses tanks n’ont plus que quelques obus à tirer et nos patrouilles reviennent avec la nouvelle que l’ennemi prépare une nouvelle attaque avec son infanterie et ses chars.
Durant la nuit, les chars canadiens, tels les « covered wagons » du Far West, protégeant les colons contre les attaques des Peaux-Rouges. Forment un mur circulaire devant les 80 hommes qui restent pendant que ceux-ci se creusent des tranchées en attendant l’ennemi.
Quelques heures avant l’aurore, les fantassins exténués aperçoivent sur la ligne d’horizon, une file de soldats. Est-ce l’attaque ennemie qui commence ? Ils sont vite rassurés en entendant la voix nerveuses de leur commandant qui donne les ordres en français. Il avait réuni à la hâte les troupes des corps spécialisées, laissées à l’arrière pour venir au secours de ses hommes.
Durant la journée du 16, les Canadiens français se cramponnent résolument à leurs positions, malgré le fort barrage d’artillerie qui ne leur laisse aucun répit. Le lendemain, notre artillerie intervient pour de bon, avec des centaines de canons tirant au moins 500 obus chacun. Ce formidable barrage permet à un bataillon de l’Ontario de passer au travers de nos positions et de venir en contact avec l’ennemi. Repoussés une première fois, les Ontariens réussissent, le lendemain, le 18, et le village est enfin capturé.
Ce fut la plus dure bataille livrée par le bataillon canadien-français dans cette guerre. La capture de Casaberardi a joué un rôle important dans la marche sur Ortona.
J’ai visité ces jours derniers le camp de bataille où, pendant quatre jours, les Canadiens français ont disputé avec succès au boche un terrain de la plus haute importance stratégique.
J’ai vu les grossières croix de bois surmontant les tombes où reposent ceux qui sont tombés. J’ai vu les innombrables cratères des obus qui ont labouré le sol brun des oliveraies, de chaque côté de la coulée. Le long de la route poussiéreuse qui mène au petit village, j’ai vu des carcasses de chars d’assaut et des mitrailleuses tracassées. Il m’a fallu regarder à deux fois avant de voir un tronc d’arbre qui n’avait pas été endommagé par le shrapnel et une maison dont les murs ne portaient pas les stigmates de la terrible bataille.
Et du vaillant major Smith, rencontré au cours de cette tournée, j’ai recueilli un beau témoignage sur la conduite du capitaine Triquet.
« Triquet a été admirable », a dit le major Smith. Malgré la lourde opposition de l’ennemi et la perte de la plupart de ses officiers et sous-officiers, il a réussi à garder sa compagnie en unité combattante et à atteindre son objectif. Lorsque l’ennemi a contre-attaqué il a pris la situation en mans et a organisé avec succès une ligne défensive. Tout le long de la bataille son entrain, son mépris du danger et sa bonne humeur ont été une inspiration pour ses hommes. »

Place Pierre-Boucher au centre-ville de Trois-Rivières et le monument aux soldats canadiens. Photographie de GrandQuebec.com.
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