Mise en œuvre de la doctrine Monroe au bénéfice du Canada
La commission conjointe pour la défense de l’hémisphère occidental s’est réunie cet après-midi pour la première fois. Son personnel était au complet, mais on nota que la délégation américaine comptait un membre de plus que la délégation canadienne. Il reste, évidemment, un siège vide de notre côté. Espérons qu’il sera rempli comme il doit l’être.
Justification de la politique de Laurier
Le cadre convenait particulièrement, à l’événement historique. La réunion eut lieu dans la « salle libérale », attenante à la chambre de M. King dans l’édifice du parlement. Et cela parut symbolique, car, tout autour, les grandes figures du parti semblaient approuver du regard, particulièrement Laurier, dont la belle tête sereine évoque la réciprocité et la conception économique et réaliste de notre avenir.
L’événement prouve aujourd’hui que notre allégeance britannique ne s’en trouve pas infirmée, bien au contraire. À l’heure du péril commun, on découvre que c’est la voie du salut. Ainsi se trouve justifié toute une politique.
Il est malheureux que les journalistes n’aient pas été admis dans la salle de réunion. Mais les photographes le furent. Ce sont eux, – et eux seuls, – qui écrivent l’histoire aujourd’hui. C’est peut-être plus exact. Mais l’histoire s’accommode de ceux qui surent traduire et refaire les discours ou les paroles fameuses prononcées dans les grandes circonstances. Et plusieurs hommes mêlés aux grands événements restent fameux, non pour leur tête, mais plutôt pour ce qu’ils ont dit au bon moment, et qui fut recueilli. Tant pis pour les membres de la commission de défense, dont la plupart ne sont évidemment jamais destinés à devenir célèbres.
Le premier ministre accueillit les membres de la délégation américaine qui lui furent présentés par le ministre des États-Unis, M. Jay P. Moffett. M. King s’entretint longuement avec le maire La Guardia pendant que les photographes s’en donnaient à leur aise. M. King présenta les Canadiens aux Américains, après quoi plusieurs groupes furent photographiés, mais en vitesse. Un photographe de « Life » voulut photographier une dernière fois le maire La Guardia causant à M. King, mais trop tard. « This is not a joyride » bougonna le pittoresque maire de New York. Et son aire et sa démarche semblaient impliquer qu’il lui tardait de se mettre au travail. Il en était de même, d’ailleurs, de tout le personnel. Les Américains, tous en civil, se dirigèrent rapidement vers le lieu de la réunion où des bureaux sont aménagés à leur intention.
Les officiers canadiens, en uniforme, suivirent sans tarder. M. King s’attarda à causer à l’un d’eux à la porte centrale, mais s’abstint d’entrer. Le ministre américain fit de même. L’honorable M. Ralston, ministre de la Défense, conduisit les visiteurs mais sortit aussitôt. On présume que la Commission se mit au travail sans tarder.
De côté américain, le maire La Guardia agit comme président. Les autres membres sont le lieutenant-général Stanley D. Embrick, le capitaine Harry-W. Hill, le commandant Forest P. Sherman, le Lt-colonel J. R. McNary et le secrétaire John-D. Hickerson.
M. O-M. Biggar, C.R., agit comme président du côté canadien. Les autres membres sont: le général Kenneth Stuart, D.S.O., M.C., le capitaine L.-W. Murray, de la marine royale canadienne, le commodore de l’air A.-L.-L. Cuffe, et le secrétaire H.-L. Kennleyside, conseiller aux affaires extérieures.
Il s’avère que la commission étudiera d’abord les problèmes de la défense en commun sur terre, sur mer et dans l’air. Cela implique la disposition des effectifs, l’armement, les munitions et l’approvisionnement. Les journaux ont déjà parlé de bases aériennes, mais ce n’est qu’un aspect de la question. De même, les destroyers au rancart qui seront remis en service immédiatement. Toutes ces questions esquissées dans les nouvelles soulèvent nombre d’autres questions connexes. Et qui, cela va de soi, nécessitent le silence absolu. Dans ces conditions on ne prévoit pas qu’il y ait même de communiqué à l’issue des diverses séances qui devraient durer trois ou quatre jours, cette fois. La Commission entend faire diligence discrètement. Son rôle, d’ailleurs, il importe de le répéter, consistera strictement à étudier les divers aspects complexes du problème de la la défense. C’est à proprement parler, une commission de techniciens.
La commission ne pourra, d’aucune façon, prendre des engagements en matière de défense. Elle avisera les deux gouvernements en cause, sans plus. Au Canada, seul le gouvernement prendra des décisions qui seront éventuellement sujettes à l’approbation du parlement.
Un autre point à réitérer est que les deux pays se rencontrent d’égal à égal. C’est de la sorte qu’il traiteront entre eux. Et l’un n’abandonnera rien à l’autre. C’est en pleine liberté, et consciemment, que chacun entend rechercher la meilleur manière de conjuguer leurs moyens et leurs efforts. Pour le Canada, la responsabilité ne serait pas moindre. Au contraire, comme l’a précisé M. King, il y a deux ans à Woodbridge, à la suite de la fameuse déclaration de M. Roosevelt à Kingston, notre pays, du fait de sa coopération avec les États-Unis, accepte une responsabilité plus grande. Et c’est la pensée qui domine la conférence qui se poursuit actuellement à Ottawa.
Inspection des bases navales de l’Atlantique
M.Firello La Guardia déclare que la commission de la défense canado-américaine veut savoir si nos bases peuvent servir à note défense et si un agresseur éventuel pourrait s’en faire un tremplin
Ottawa, 26 août 1940. – « C’est la mise en œuvre de la doctrine Monroe ». De façon cryptique, mais significative, voilà comment le maire de New-York, M. La Guardia, définit ce soir le but de la commission conjointe de défense.
Pétillant et retors, le maire de New York, qui a l’habitude, fit face aux journalistes invités par le ministre des États-Unis, M. Jay Pierrepont Moffatt. L’entrevue eut lieu à la légation américaine, à l’issue du dîner offert aux membres de la commission. Ceux-ci assistaient à l’entretien, mais gardèrent discrètement le silence. D’accord avec M. King et avec M. Biggar, président de la délégation canadienne, M. La Guardia se fit l’interprète de ses collègues. L’entrevue prit vite l’allure d’un événement, tous les autres invités entrèrent éventuellement pour faire de cette conférence de presse la plus imposante, peut-être, qui ait jamais eu lieu au Canada.
Il ressort de l’entretien que la commission c’est mise au travail résolument, sans paroles inutiles et sans midi à quatorze heures. L’échange du compliments ne dura que trois minutes, après quoi on aborda le sujet qui est la défense en commun. Chacun usa de franchise et de langage le plus simple. Pas de détours ni de formules diplomatiques, mais des faits. Chacun parla carrément. « Il n’y a pas de quoi nous vanter, dit simplement M. La Guardia, mais le moral est bon, et nous allons vite accomplir d’ores et déjà, que l’entente règne au sein de la commission et qu’il n’y aura pas de rapport minoritaire. Quant à prédire quand se rapport sera présenté, il est trop tôt. Il y aura peut-être un rapport intérimaire. Mais, à tout événement, il sera donné suite au rapport dès qu’il sera présenté.
Prochaine séance à Washington
La commission siégera de nouveau demain. M. La Guardia ne veut pas s’engager davantage, ni spécifier combien de temps durera la première réunion à Ottawa. La prochaine réunion aura lieu à Washington, mais la date reste imprécise.
Le travail de la commission, toutefois, se continuera sans interruption. Et des experts et des techniciens seront à l’œuvre immédiatement pour aider les membres de la commission.
Visite des bases navales de l’Atlantique.
Certaines indications laissent croire qu’il y aura peut-être, dès demain, une décision d’importance. Il se peut que les officiers de marine, le capitaine Hill et le commandant Sherwood pour les États-Unis et le capitaine Murray pour le Canada, partent immédiatement pour une tournée des stations navales de l’Atlantique.
Le point, déclare M. La Guardia, est de savoir si ces stations peuvent devenir des bases d’opérations pour l’ennemi éventuel, ou si elles peuvent être organisées de façon à servir d’avant-postes essentiels dans la ligne de défense commune contre cet ennemi éventuel.
M. La Guardia fait un éloge cordial de son collègue, M. Biggar, qui possède, dit-il, « les qualités qu’il aime, qui est un homme d’action, déterminé et compétent. » Les mêmes qualités semblent communes aux autres délégués du Canada. D’autre part, au cours de conversations avec les délégués américains, on discerne les mêmes qualités sous la modestie et la réticence des officiers.
À une question directe au sujet de la publicité dans les journaux, le maire La Guardia répond que lui et ses collègues « sont plutôt gênés avec les journalistes », ce qui fit rire. Mais on devine que l’intention est de tenir le public au courant de façon exacte et précise, de quoi tous paraissent se féliciter.
(C’est arrivé en août 1940).
Voir aussi :
- La doctrine Monroe, le président Roosevelt la définit et la commente
- Traité de réciprocité entre les États-Unis et le Canada-Uni
- Échange violent dans le Parlement