Le Canada français et la France actuelle – Le courriel personnel sera envoyé du Canada en France inoccupée
Au cours de l’ entrevue qu’il a accordée, aux correspondants parlementaires, l’honorable King a tracé aux journaux canadiens la ligne de conduite à suivre à l’égard du gouvernement Pétain. S’il n’a pas nommé explicitement l’administration de Vichy, l’allusion n’en était pas moins claire, comme l’écrivait le lendemain le correspondant du Canada a Ottawa. Le Star, rapportant les propos tenus par le premier ministre en présence des journalistes qui l’interrogeaient, écrivit ce qui suit:
On en vint à parler de l’attitude à prendre à l’égard des divers pays non belligérants et M. King dit que la politique du gouvernement consiste à « éviter les antagonismes qui ne sont pas inévitables ». Il ne croit pas qu’il serve à grand chose de faire express pour exprimer une opinion sur une Puissance quelconque. Il laissa entendre que cette attitude ne s’applique par à l’Italie et à l’Allemagne. Il ne s’inquiète pas de savoir ce qui se dit à leur sujet.
On voit que la distinction est claire et que M. King faisait allusion à la France. Cette attitude du gouvernement canadien s’inspire d’abord do la logique. En effet, les relations diplomatiques du Canada avec le gouvernement français sont restées ce qu’elles étaient avant la capitulation de la France. Ia* gouvernement de Vichy est un gouvernement ami, dont le ministre et les consuls continuent d’exercer leurs fonctions dans notre pays. Une autre raison de l’attitude cordiale du gouvernement canadien à l’égard de la France, c’est le désir du premier ministre et de ses collègues de sauvegarde. On trouve une autre manifestation de ce désir dans l’annonce faite, hier soir, du rétablissement du service postal entre le Canada et la France non occupée.
En maintenant ses relations avec In France en dépit dx* la rupture diplomatique survenue entre Vichy et Londres, le Canada a usé de son droit de pays souverain…. et de son jugement. C’est ce qui choque, sans doute, certains journaux x canadiens de langue anglaise qui sont parmi nous les prosélytes du colonialisme. C’est à ceux-là que s’adresse l’admonition du premier ministre.
Quel est donc le sentiment des Canadiens de langue française l’égard de la France d’aujourd’hui? Nos compatriotes prennent-ils pour la France vaincue contre la Grande-Bretagne? Jugent-ils au contraire la France comme le fait M. Churchill? Font-ils une différence entre la France et le gouvernement quelle s’est donné au moment de l’armistice? La capitulation de la France a-t-elle fait tiédir leur volonté de combattre et de vaincre? Ce sont sans doute des questions que se posent nos compatriotes de langue anglaise qui lisent la Gazette, le Star et le Globe and Mail. À voir ces journaux dénigrer le gouvernement de Vichy, insulter bassement le maréchal Pétain et dénoncer les Canadiens français qui se permettent d’exprimer leur sympathie pour la France, leurs lecteurs peuvent croire que la province de Québec est minée par une Cinquième colonne française.
À quelques unes des questions que nous venons de poser, nous répondrons en citant ce qui suit d’un entrefilet paru dans le dernier numéro d’un périodique de Toronto, le Printed Word, rédigé en anglais, va sans dire :
Les gens du Québec sont des Canadiens. C’est le point essentiel à retenir. Pour la culture et l’atavisme (racial memories) de la Vieille France, il conservent un attachement nostalgique. Quand des épreuves terribles frappent les Français, ils en ressentent profondément une douleur au fond d’eux-mêmes. Cependant, ils sont des Canadiens, qui vivent sur les bords du Saint-Laurent, de la Rivière du Nord, de la Rivière Rouge et du Saint-Maurice. (…) L’effacement de la France en tant que grande nation les a horrifiés, comme il a horrifié les Canadiens de toutes les autres origines raciales. Mais à l’instar de ce qui s’est produit partout ailleurs au Canada, ce terrible coup a eu pour résultat de raffermir la résolution du peuple de Québec. (…) Le Canada n’a jamais été si étroitement uni qu’à l’heure présentéу Le Commonwealth britannique n’a jamais été aussi solidaire dans la poursuite du but à atteindre. Le petit peuple homogène et peu connu dont les arbres plongent leurs racines dans les eaux de la rivière Saint-François et dont les terres étroites escaladent les flancs de la montagne de Saint-Bruno sont des associés dans la sombre détermination qui marque cette heure fatidique. Les Canadiens de Québec seront des associés dans les jours et les mois qui vont suivre, et ils seront des associés dans la victoire, quand la lumière éclairera de nouveau le monde.
Voila pour l’attitude du peuple canadien français dans la guerre où est engagé le Canada. Il y joue pleinement son rôle d’associé. En retour, n’a-t-il pas le droit d’exiger qu’on respecte ses sentiments a l’égard de la France vaincue?
Rien n’est plus nuisible à l’unité canadienne que les attaques injustifiées de nos journaux de langue anglaise contre le gouvernement français actuel. La conduite de la Gazette, en particulier, est un funeste sabotage de l’entente qui unit aujourd’hui toute la nation canadienne. En réitérant à tout propos ses basses insultes à l’adresse des hommes qui ont assumé la tache de relever la France, elle provoque immanquablement l’antagonisme contre lequel M. Mackenzie King a jugé utile de mettre les journalistes en garde.
Le courrier personnel est envoyé en France inoccupée
Mais le ministre des Postes avertit le public que le service postal est suspendu entre le Canada et la France occupée – L’agence de voyages Thomas Cook & Son
Le ministre des Postes du Canada, l’honorable M. Mulock, a annoncé, ce soir, que le courrier, comprenant des lettres personnelles seulement, est envoyé en France inoccupée, ainsi qu’en Corse, en Algérie, au Maroc français et en Tunisie. Le service des postes est suspendu entre le Canada et la France occupée à cause du manque de communications dans cette partie du pays.
Des arrangements ont été conclus, toutefois, avec Thomas Cook and Son, une agence de voyage anglaise, pour l’envoi des lettres personnelles en France occupée. Cet envoi se fait aux mêmes conditions que l’expédition par la compagnie des lettres à des personnes vivant en Belgique, en Hollande, dans le Luxembourg ou dans d’autres territoires occupés par l’ennemi.
Le ministre des Postes affirme qu’il est impossible, présentement, de déterminer exactement où se trouve la frontière entre la France occupée et la France inoccupée. Toutefois, il semble que la frontière suive une ligne droite de Tours à Genève à environ 20 milles de la mer. sur la frontière franco-espagnole. Tout le territoire situé au nord et a l’ouest de cette ligne est occupé par l’ennemi.
On aiderait considérablement les autorités postales canadiennes, si le public envoyait toutes les lettres destinées â des personnes vivant dans ce territoire occupé à l’agence Thomas Cook and Sons. Autrement, les lettres envoyées dans ces régions seront retournées à leurs propriétaires.
La suspension du service postal entre le Canada et la France n’est pas une mesure prise par le ministère ou la censure mais seulement le résultat de l’invasion de la France par l’ennemi qui rend pratiquement impossible la livraison du courrier.
Le courrier reçu des territoires occupés ou inoccupés est livré comme d’habitude.
Le ministère des Postes avertit le publie que ce service est lent et incertain. Il est toujours possible que le courrier se perde à la suite d’une action de l’ennemi en mer ou sur terre.
(Texte paru dans le journal Le Canada, le 24 août 1940).
Voir aussi :