Mœurs d’autrefois…

Mode de vie des Madelinots au XIXe siècle

Dès qu’une jeune fille savait manier les broches, elle commençait à se tricoter des bas: douze paires n’étaient pas de trop pour commencer le trousseau. Ensuite sa mère l’initiait aux secrets du métier. Quand elle était devenue assez expérimentée, elle confectionnait   su couverte, sa catalogne, qu’elle tissait avec redoublement de diligence et d’amour, pour elle et pour le prince charmant qui faisait battre bien fort son cœur épris cl monter du sang à ses joues. Petit à petit, le coffre s’emplissait de belles flanelles et de chauds tricots.

On y ajoutait des tapis, habilement dessinés et crochetés. À dix-sept, dix-huit ans, quand la jeune fille était demandée en mariage, elle avait peu de dentelle, de fanfreluches et de bébéleries, mais elle pouvait garnir plusieurs lits, bien habiller son mari, bien tenir sa maison, occuper ses dix doigts et élever des enfants. Car, il ne faut pas oublier qu’en plus du travail qu’accomplit vaillamment notre fille, elle élève une douzaine d’enfants, regorgeant de vie et de santé.

La jeune fille apporte aussi sa vache, sa brebis et quelques volailles. C’est sa dot. Elle n’est peut-être pas brillante, mais c’est de règle; et quand un père y manque par négligence ou mesquinerie, la tradition constate qu’il lui arrive malheur: l’animal qu’il n’a pas donné meurt tout d’un coup.

Le garçon, lui, aura un coin de l’enclos paternel, un cheval, sa barge et ses agrès de pêche ou une part de goélette. Souvent le nouveau ménage demeure avec les parents de l’époux, jusqu’au mariage de son frère, ou en attendant de se loger. Quand c’est celui qui doit garder les vieux, il hérite de tout, quitte à entretenir ses parents leur vie durant. Parfois il devra aussi donner aux frères et sœurs leurs parts d’héritage, au décès du père.

Les hommes profitaient encore de l’hiver pour réparer leurs embarcations de pêche, en construire de nouvelles et se préparer à la chasse aux phoques. Nos Nemrod, tous très habiles tireurs, chassaient aussi le gibier de mer qui abondait. Un homme, ayant un fusil, était sûr de ne pas pâtir. Au mois de mars, on commençait à gréer ses goélettes pour les premiers beaux jours d’avril et, quand les havres étaient trop gelés, on les sciait pour frayer un chemin aux bateaux. Certains printemps, il fallait se couper ainsi un canal de trois milles de langueur, dans une glace épaisse. Bien dure labeur qui causa plus d’un malheur!

«Ils sont pauvres sans paupérisme et indépendants sans orgueil », constate Baddeley en 1830, et il ajoute : «Je suis entré chez plusieurs et j’y ai trouvé de la courtoisie, du bonheur, de la propreté et du confort». Leurs maisons de bois, couvertes en bardeaux blanchis à la chaux, ont un air très propret. Les toits el les châssis sont peints avec de l’ocre rouge qu’ils trouvent dans les caps et détrempent p l’huile de loup-marin ou de pourcil ; l’intérieur est toujours simple, mais propre et en ordre.

Ainsi ces modestes foyers renfermaient beaucoup de bonheur. Que peut-on désirer de plus?

De mendiants point. Quand l’un d’eus, par maladie, incendie ou désastre maritime, était réduit à la mendicité, ses voisins faisaient le tour de la paroisse et lui recueillaient assez de vivres et vêtements pour le tirer de sa mauvaise position. Entre eux régnait cette fraternité chrétienne que l’on rencontre ordinairement entre les membres d’une même famille. Le morceau du voisin a toujours été de rigueur quand on fait boucherie. D’ailleurs, les liens de parenté qui les unissaient, l’isolement, leur genre de vie, l’égalité de leur condition sociale et surtout la pratique sincère de leurs devoirs religieux, tout contribuait à les faire vivre en bonne harmonie et charité parfaite. Sans doute qu’il s’élevait parfois des contestations, des disputes bruyantes, causées par la jalousie et la médisance, mais les conseils du prêtre ou ceux d’un vieillard avaient vite calmé et rasséréné les esprits et les cœurs; ‘et aussitôt, sans rancune, ils étaient tout prêts à se rendre service comme par le passé. Tous ceux qui les connaissent se plaisent à remarquer leurs heureuses dispositions natives à la tranquillité et à la paix. Quand on sentira le besoin d’une prison, ce ne sera pas pour les Madelinots, mais pour les étrangers qui fréquentent ces lieux et y propagent le mépris des lois divines el humaines. Avec tout un régiment de circonstances atténuantes, ne vous semble-t-il pas qu’on peut sans scrupule excuser quelques petites taches au tableau? Il y en a bien dans le soleil! 4r

Paul Hubert, Les Îles de la Madeleine et les Madelinots, Rimouski. Imprimerie Générale de Rimouski, 1926 pp. 172-174.

Moeurs d'autrefois
Mœurs d’autrefois. Photo : GrandQuebec.com.

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