Sir Wilfrid Laurier : épopée ou légende ?
Nous sommes en 1872 et les forces conservatrices qui dominent le Canada depuis 1867 commencent à décliner. Les yeux de Wilfrid Laurier se tournent de plus en plus vers Ottawa.
Georges-Etienne Cartier, le bras droit de John A. Macdonald au Québec, est défait dans son comté de Montréal – Est et Louis Riel, élu dans Provencher, lui offre son siège. Mais le leader conservateur doit mourir quelques mois plus tard à Londres, alors même que Macdonald est aux prises avec le scandale du Pacifique Canadien. Le gouvernement doit remettre sa démission et des élections générales sont décrétées.
Dès le début de 1872 commença le choix des candidats et. dans Drummond-Arthabaska. les yeux se tournèrent vers Laurier qui, à ce moment, souffrait d’hémorragies et était alité.
Malgré l’opposition de sa jeune femme qui craignait pour sa vie, le jeune avocat accepta la candidature et se lança frénétiquement dans la lutte, ce qui sembla lui redonner des forces. Le 22 janvier, il était élu aux Communes grâce à une majorité de 238 voix.
Dans son premier discours où il répondait à l’adresse au discours du Trône, Laurier répudia toute attache entre les libéraux québécois et le libéralisme français et profita de l’occasion pour louanger le système constitutionnel anglais.
Ce discours passa presque inaperçu, mais il en fut tout autrement quand, le l5 avril 1873, le jeune député se porta à la défense de Louis Riel, député de Provencher, que la Chambre voulait expulser, à la suite de la révolte qu’il avait dirigée dans l’Ouest.
Excusez-moi
Après s’être excusé de parler une langue (l’anglais) « qu’il ne connaissait qu’imparfaitement », Laurier demanda que la Chambre diffère toute décision d’expulsion du chef métis tant que le comité chargé d’enquêter sur la promesse l’amnistie n’aurait pas fait rapport.
Comment la Chambre pouvait-elle juger Riel, continuait-il, alors qu’elle n’avait aucune preuve et que le gouvernement conservateur n’admettait ni ne niait qu’il ait accordé l’amnistie au chef révolutionnaire? Ce discours où il faisait habilement appel au « fair-play » anglais, lui attira la sympathie du caucus libéral et il devenait de plus en plus évident que Mackenzie croyait à l’étoile de Laurier.
Quelque temps plus tard, Joseph Cauchon démissionna du cabinet et le premier ministre choisit alors le jeune député de Drummond-Arthabaska comme son principal porte-parole au Québec.
Élu ministre de l’Intérieur, Laurier dut se soumettre à la réélection, comme le voulaient les règlements parlementaires de l’époque. L’appel au peuple fut fixé au 27 octobre 1877.
Défaite
Ne pardonnant pas au ministre sa conférence prononcée à Québec, au mois de juin précédent, où après avoir défini le libéralisme politique, il avait fustigé l’ingérence du clergé dans la politique, les ultramontains se lancèrent dans la bataille avec l’énergie du désespoir en présentant Désiré-Olivier Bourbeau, un marchand de Victoriaville, certainement réputé pour « son esprit d’Église ».
Les forces ultramontaines et conservatrices, avec Israël Tarte en tête, se présentèrent aux électeurs comme les confidents des évêques et des prêtres et affirmèrent que Laurier allait être ministre à Ottawa, fort bien, mais… ministre protestant.
Au cours d’une assemblée contradictoire (elles étaient fort violentes a l’époque), un partisan de Laurier, un nommé Perreault. mourut des suites de blessures reçues dans la bagarre.
Les libéraux, par la voix de « L’Événement », tentèrent de faire du mort un martyr. Mais à la stupéfaction générale, le 27 octobre, on annonçait que Laurier avait été défait par une majorité de 29 voix. On aurait pu penser que la carrière politique du jeune avocat d’Arthabaska était terminée. Pourtant, elle ne faisait que commencer. Même si l’élection de son rival fut annulée pour manœuvres frauduleuses, il reste que sa défaite fut pour lui un coup très dur de même que pour le parti que le mauvais état des affaires mettait dans une position difficile.
Québec – Est
Cependant, aux élections générales de 1878, l’avocat se vit offrir le siège de Québec – Est où il est élu avec une majorité confortable, malgré les ultramontains. En fait, « l’homme à la voix d’argent » sera réélu dans cette circonscription jusqu’à sa mort, en 1919.
Mais il reste que le gouvernement libéral d’Alexander Mackenzie fut défait et Laurier devra demeurer dans l’opposition pendant 18 ans, ce qui constitue tout de même un record.
Macdonald, le fin renard revenu au pouvoir, fit résolument face à la crise financière qui frappait le pays en élevant des barrières tarifaires contre les États-Unis dont les produits inondaient le marché canadien.
Cette mesure encouragea la construction et l’industrie. Une politique de voies ferroviaires fut mise de l’avant, pendant que l’immigration connut une ère de recrudescence.
Mais un gouvernement, même s’il est puissamment appuyé par le peuple, ne saurait demeurer longtemps au pouvoir sans que des fautes soient commises dont profite évidemment l’opposition.
Riel
C’est ainsi qu’en 1885, les Métis dirigés par Louis Riel, se soulevèrent de nouveau pour protéger leurs territoires contre les menées du gouvernement d’Ottawa.
Si la première rébellion de Riel avait été plutôt calme, la seconde fut belliqueuse et plusieurs régiments sous la conduite du général Middleton rencontrèrent qu’ils matèrent dans le sang. Le chef métis dut se rendre, avec la promesse d’amnistie.
Mais cette dernière ne fut pas respectée et l’homme ostracisé par les Orangistes de Toronto, fut pendu à Regina après un procès sommaire. Dans deux discours, soit avant et après l’exécution.
Laurier stigmatisa le gouvernement Macdonald et le général Middleton qui n’avaient pas eu la même grandeur d’âme que le général Grant accordant l’amnistie aux forces sudistes du général Lee, lors de la guerre américaine de Sécession. Lors de la campagne électorale de 1887, le parti libéral mené par son chef, Edward Blake, connut de nouveau la défaite et ce dernier, déçu, donna sa démission le 2 juin, tout en recommandant le choix de Laurier pour son successeur. ce qui fut accepté.
La fameuse affaire des biens des Jésuites réglée par le gouvernement libéral d’Honoré Mercier, avec une sorte d’assentiment de Macdonald, dressa les protestants contre le vieux chef conservateur.
Manitoba
Par contre, la non moins célèbre affaire des écoles du Manitoba où seule la langue anglaise fut reconnue officielle souleva l’ire des catholiques qui pouvaient fonder et maintenir des écoles séparées, mais en comptant uniquement sur leurs deniers.
Macdonald est mort et après lui, quatre premiers ministres conservateurs lui succèdent, tous poursuivis par la malchance et en proie aux dissensions du parti.
Mackenzie Bowell fait émettre un ordre en conseil ordonnant au Manitoba de restaurer la langue française dans ses écoles. Non seulement la province refuse mais elle ordonne des élections générales à l’issue desquelles la décision du gouvernement est appuyée
par 33 comtés sur 40.
Bowell s’entête à vouloir donner vigueur à sa loi « médiatrice », mais les conservateurs sont indifférents et le premier ministre, découragé devant l’apathie de ses partisans, démissionne pour être remplacé par le vieux Charles Tupper.
Ce dernier pilote le projet de loi aux Communes, mais voit se dresser devant lui l’opposition de Laurier qui soutient que le gouvernement fédéral n’a pas le droit d’intervenir dans le domaine de l’éducation réservé aux provinces.
Atouts
Le chef libéral savait bien qu’en agissant ainsi, il s’aliénait les catholiques de la province de Québec et du Canada, mais il tint bon et demanda que le projet de loi soit remis à six mois.
Sa motion fut battue par quelques voix, mais Tupper s’empressa de dissoudre le Parlement et de proclamer des élections générales. Laurier avait prévu le pire, mais l’hostilité qui se dressa contre lui dépassa l’imaginable: il fut défendu sous peine de péché mortel de voter pour un candidat libéral et « L’Électeur », un journal « rouge » mis à l’index, dut changer de nom.
Le chef de l’opposition et député de Québec – Est obtint du pape l’envoi d’un délégué spécial chargé de faire enquête sur les difficultés religieuses au Canada.
Mgr Merry del Val s’acquitta avec une rare clairvoyance de sa mission et à la suite de ses rapports, le Saint-Père se prononça sur le véritable devoir des catholiques dans la question des écoles du Manitoba et rappela au clergé canadien les décrets qui l’invitaient à s’abstenir de participer aux luttes politiques.
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