Le récit du plus audacieux vol d’armes de l’histoire du Québec et du Canada
Il est sept heures trente du matin. C’est le 30 janvier 1964 ; soleil et l’absence du froid laisseraient plutôt croire que c’est le mois de mars qui s’achève.
Comme il le fait tous les jours, Paul Bouliane ouvre avec sa clé la porte de bois qui, au 3721 de la rue Henri-Julien, donne accès au manège du régiment des Fusiliers Mont-Royal.
Bouliane, à 48 ans et des habitudes qu’il tient à conserver. Il descend l’escalier qui mène au sous-sol, entre dans la pièce qui est réservée au personnel permanent de l’établissement, change de vêtements et prépare une tasse de café.
Deux autres employés civils de l’armée canadienne sont déjà là : Dans Shea et Lionel Gariépy, qui participent à la rénovation de certains locaux du manège. Comme Bouliane, environ cinq minutes après l’arrivée de ce dernier, ils entendent des pas qui se dirigent vers la sortie de la rue Henri-Julien. C’est le concierge de nuit, Brown, qui retourne chez lui.
Cinq autres minutes s’écoulent. Bouliane s’apprête à allumer un cigare lorsqu’il tourne les yeux vers la porte de la pièce, un jeune homme de 18 ou 19 ans, vêtu d’un anorak bleu, est adossé au chambranle. Il a l’air calme mais il tient un automatique Luger à la main.
« Il faut que vous fassiez ce qu’on vous dura. Personne ne vous fera de mal si vous obéissez », dit-il en substance.
C’est ainsi que ça a commencé.
Durant les minutes qui suivront se déroulera une opération révolutionnaire dotée d’une précision de mouvement d’horlogerie.
Un par un, comme à la confesse
Dan Shean ne comprend pas le français malgré qu’ait atteint la soixantaine. Il ne sait pas trop ce qui se passe et montre une nervosité apparente. Boulaine demande au jeune homme au Luger la permission de le tranquilliser et y réussit. D’ailleurs, les trois compères auront bientôt de la compagnie.
Avant que se termine le raid, huit autres personnes auront été prises dans le filet tendu par par les assaillants.
Ce sont surtout des travailleurs manuels qui participent à la réfection du manège comme le peintre Patrick Legault. Mais il y a aussi un employé de la Corporation du gaz naturel, Roger Perrault, qui est entré pour saluer les copains. Et finalement, il y a le sergent-major Tom Tiffault, qui est responsable de l’administration quotidienne du régiment.
Tous subissent le même sort : dès qu’ils mettent le pied dans la bâtisse, un et parfois deux individus leur collent une arme dans les côtes et les amènent, mains en l’air, dans la pièce du sous-sol.
Quelques-uns ont le temps et la présence d’esprit de remarquer des détails : l’un constate que les portes de la grande salle donnant sur l’Avenue des Pins ont été ouvertes et qu’une camionnette rouge était entrée par la porte. L’un de ceux qui s’y trouvaient, portait le béret rouge et la redingote des Fusiliers. Un troisième, que des armes sont empilées sur le parquet de la grande salle.
Par le bruit qu’ils font, le concierge évalue leur nombre comme pouvant aller de dix à quinze. Mais personne ne pourra donner de chiffre précis.
Les membres du commando révolutionnaire font en sorte qu’une identification future soit difficile : ils se montrent le moins possible à ceux qu’ils constituent prisonniers, ils communiquent entre eux par gestes ou en sifflant entre les dents.
Comme précaution initiale, ils ligotent leurs victimes, les disposent en rangs d’oignons dans la pièces du sous-sol, et leur bandent les yeux à l’aide de morceaux de coton servant à faire des pansements. Ils n’auront pas à aller loin pour trouver le nécessaire : une salle voisine contient une quantité importante de cordes et de trousses de secourisme.
Tout cela est fait avec une civilité, on dirait presque une gentillesse, de bon aloi. Lorsque Bouliane exprime le désir de fumer son cigare – l’aventure ne lui fait pas perdre ses habitudes – c’est le garçon qui effectue la garde qui le lui fiche entre les dents et l’allume lui-même.
Si les jeunes visiteurs sont polis, ils n’en sont pas moins efficaces. Ils savent de toute évidence ce qu’ils veulent et ou le trouver. Leur connaissance des lieux semble parfaite.
À mesure que le butin est monté au rez-de-chaussée, il est chargé à bord de la camionnette. Il s’agit, ainsi qu’on pourra déterminer plus tard, de 59 fusils-mitrailleurs FN 7.62, de quatre mitrailleuses légères Bren (dont deux sont endommagées), de quatre mortiers de 60 mm, de 30 mitraillettes Sten dont cinq seulement possèdent un percuteur, de deux mitraillettes Browning, de cinq pistolets automatiques également fabriqués par Browning et de trois lance-roquettes anti-chars, de type « bazooka ».
Côté munitions, 13,000 balles de calibre 22, 1922 de calibre 7,62 (pour fusils-mitrailleurs FN) et 2,300 de calibre .303 (pour mitrailleuses Bren) sont emportés. En plus de 15 appareils de radio transmetteurs-récepteurs du genre « walki-talkie », de deux téléphones portatifs de campagne, d’un tableau téléphonique de campagne, de couvertures, de lampes, de fil électrique et autres joujous du genre.
Le plus important, le plus audacieux vol d’armes de l’histoire du pays vient de se terminer.
Par Roger Nantel, La Presse, mardi, 21 mars 1964.
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