Vers l’Action Sociale

Vers l’Action Sociale au Québec

(par Robert Rumilly, Histoire de la province de Québec)

En 1906, le développement de la province de Québec ne posait pas seulement des questions d’argent. Un sourd travail s’accomplissait, traduit par des ébauches de mouvements collectifs. Les ouvriers fondaient des syndicats où s’affrontaient l’influence épiscopale et celle de la Fédération Américaine du Travail. Plusieurs voulaient, au-dessus des questions de salaires, introduire la notion de justice dans les relations économiques et sociales. Les jeunes gens de la bourgeoisie se partageaient entre deux associations. À la Ligue Nationaliste, les combatifs, les frondeurs. À l’A.C.J.C., sous l’égide des Pères Jésuites, des garçons sérieux, studieux, pieux, avides de devenir de bons citoyens, mais, pour certains, un peu conformistes.

Presque tous admiraient Bourassa. Les jeunes amis du Père Bellavance entretenaient des tendances nationalistes, mais ils se soumettaient toujours aux directives ecclésiastiques. Leur état d’esprit ressemblait à celui de la Vérité plutôt qu’à celui du Nationaliste, à celui d’Héroux plutôt qu’à celui d’Asselin. Encouragé par l’épiscopat, le recrutement de l’A.C.J.C. Fut, dès le début, très actif. En 1906, l’Association comptait 825 membres en règle, et des cercles dans plusieurs collèges. Ce succès avait comblé de joie Tardivel mourant.

À la fondation montréalaise de l’A.C.J.C. Correspond le projet québécois de fondation d’un quotidien catholique. L’idée première revient à l’abbé Lortie, qui avait déjà provoqué la fondation de la Société du Parler français et celle de la Libre Parole. L’abbé Lortie et ses amis laïcs, entre autres le Dr Jules Dorion et l’avocat Adjutor Rivard, se réunissaient au presbytère de l’abbé Paul-Eugène Roy, curé de la paroisse Jacques-Cartier.

L’abbé Paul-Eugène Roy était, comme son frère l’abbé Camille Roy, un prêtre instruit – tous deux licenciés en Sorbonne. Chez lui, la stature, la physionomie, le geste, tout respirait l’autorité. Sa forte voix, ses images personnelles, parfois éclatantes, impressionnaient les fidèles. Ce grand prédicateur était aussi un homme d’action, rebutant certaines personnes par sa dureté apparente, amis suscitant, chez d’autres, un dévouement absolu.

Féru d’action sociale, il avait fondé une société de tempérance, « La Croix Noire », dont les adhérents s’engageaient à bannir chez eux la moindre goûte d’alcool. De jeunes prêtres suivirent dans cette croisade, brisant des bouteilles, éventrant des barils de « miquelon ». Des ivrognes, convertis, prêtaient sur la tête de leurs enfants un serment solennel, mais difficile à tenir. Des noces et des banquets se célébrèrent, dans le diocèse de Québec, sans vin, bière, ni liqueur. Le curé Roy avait contribué à l’élection législative du Dr Albert Jobin et aux élections municipales antiparentistes.

Gagné aux idées de l’abbé Lortie, Mgr Bégin chargea l’abbé Roy de préparer la fondation d’un quotidien, susceptible de toucher un plus vaste public que la Libre Parole ou la Vérité, et qui défendrait, à Québec, les causes battues en brèche par les émancipateurs. Le groupe de la Société du Parler français et le groupe des fondateurs de la Libre Parole fourniraient le noyau des fondateurs du quotidien catholique.

Ce désir d’action sociale répondait au vœu de Pie X qui, cinq mois à peine après son élévation au trône pontifical, avait repris et résumé, dans un motu proprio, les encycliques de Léon XIII sur les questions sociales. Au Canada français, ce désir touchait des milieux différents. Albert Chevalier, greffier adjoint de la Cour du recorder à Montréal, s’occupait d’assistance par goût et par dévouement. Des échevins songèrent à lui confier l’organisation d’une assistance municipale. Deux hommes de cœur, L.-O. David et J.-X. Perrault, avaient, un peu imprudemment, engagé la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal à construire le « Monument National ». Les fonds manquèrent – sous la présidence de F.-L. Béique. Mme Béique et quelques-unes de ses amies formèrent un noyau de dames patronnesses, d’où sortit le projet d’une organisation permanente. Les dames soumirent leurs idées à Mgr. Bruchési. À l’exemple de ses prédécesseurs, Mgr Bruchési eut plus d’une fois le mérite d’accueillir, de protéger, d’encourager des fondateurs, ou des fondatrices, en dépit du scepticisme ambiant.

Combien d’œuvres fondées par Mgr Bourget, et qui semblaient aventurées, sont fleurissantes, en 1906 ! Les Sœurs de la Providence en sont à leur soixante-dix-septième fondation. Elles ont ouvert, cette année, un hospice à Saint-Lin, une école à Sainte-Adèle, un pensionnat à Sainte-Marguerite du Lac Masson. Pourtant, la suffisance masculine accorde encore peu de crédit aux entreprises de simples femmes. Mme Gérin-Lajoie, fille de sir Alexandre Lacoste, voulait développer l’enseignement supérieur féminin. L’archevêque fut le seul à ne pas sourire. Le 28 octobre 1905, il présida les premiers cours de droit donnés aux élèves les plus avancées des maisons d’enseignement féminin – par le juge en chef Alexandre Lacoste et par le juge Mathieu, à l’école Bourgeoys des Dames de la Congrégation.

Dans presque tous ces mouvements, dans presque toutes ces associations, se pose la question, essentielle au Canada français, du contrôle ecclésiastique ou de l’émancipation. L’action sociale sera-t-elle religieuse, comme à l’A.C.J.C., ou laïque, comme dans les syndicats « internationaux »?

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