La traite de l’eau-de-vie

La traite de l’eau-de-vie

Au XVIIe siècle, un grand nombre de colons français se livrent au commerce le plus en vogue de leur temps, celui des pelleteries, qu’ils échangent aux « Sauvages » pour des armes, de la poudre, des couvertures de laine, des draperies, mais surtout de l’eau-de-vie. On sait par les comptes-rendus des séances du Conseil Souverain de Québec que des centaines de Français traitaient avec les Amérindiens qui fréquentaient les établissements et les missions établies par les colons. Des centaines sont cités comme traiteurs aux registres des audiences de la justice de Québec, de Montréal, de Trois-Rivières et aux premiers registres des recensements.

Rien d’étonnant que plusieurs aient apposé leur nom sur une requête adressée, en 1672, par les habitants de la colonie à l’intendant Jean Talon pour se plaindre de son ordonnance au sujet des droits sur les pelleteries.

Le 26 octobre 1678, une assemblée se tient au Château Saint-Louis à Québec. Cette réunion avait été ordonnée par Louis XIV lui-même. Par une commission signée à Saint-Germain-en-Laye, le 12 mai de cette même année, le roi avait donné instruction au gouverneur Frontenac et à l’intendant Durchesneau, conjointement avec le Conseil Souverain, d’assembler les vingt principaux et plus anciens habitants du pays pour avoir leur avis sur la traite de l’eau-de-vie qui accompagnait le commerce des pelleteries.

Des lois sévères avaient été promulguées contre les trafiquants, grâce à Mgr de Laval, qui menaçait de refuser l’absolution aux transgresseurs. Frontenac, plutôt favorable à la traite, avait-il choisi lui-même ces habitants « principaux et plus anciens »? Nous n’en avons pas la preuve écrite, mais il est certain que plusieurs d’entre eux étaient intéressés dans le commerce de l’eau-de-vie.

Toujours est-il que sur les vingt, quinze soutinrent que la traite de l’eau-de-vie avec les Sauvages était absolument nécessaire au bien de la colonie. Leurs vues étaient entièrement dominées par le souci des avantages matériels. Ils s’y glissaient même une légère pointe de malice à l’endroit des missionnaires jésuites, qui, eux, n’avaient cessé de mettre en avant les intérêts supérieurs des âmes.

Voici un exemple de raisonnement, exprimé par le seigneur de la seigneurie Saint-François Jean Crevier :

« Si la traite de l’eau-de-vie n’est pas permise, cela ferait un tort considérable au pays, en ce que le grand nombre des Sauvages qui s’y sont habitués et qui sont élevés dans la boisson parmi les Anglais, y retourneraient et priveraient les habitants d’un grand profit qu’ils leur apportent, n’ayant aucune connaissance qu’ils fassent aucun désordre dans leur ivrognerie, et s’il en arrive, ce n’est point pour cette raison puisque les Outaouais qui ne font aucun usage de boisson et qui sont instruits par les Jésuites commettent journellement toutes sortes de crimes, ce qui fait voir que c’est leur humeur barbare qui les porte à ces méchancetés » (Pierre Margry, Découvertes et Établissements des Français. Mémoires et Documents inédits, I, 410; cité dans Histoire de Saint-François-de-Lac, par Thomas-M. Charland, 2007).

Curieusement, l’abbé de Latour, dans ses Mémoires sur la Vie de M. de Laval, signale comme un coup de la vengeance divine la mort funeste ou violente de la plupart des vingt citoyens qui prirent part à cette délibération importante. L’abbé de Latour dit-il vrai? Les registres de l’état civil généralement bien tenus donnent les actes de sépulture de huit seulement des vingt. Les actes de sépulture des douze autres ne s’y trouvent pas. On a le droit de présumer qu’ils moururent à la guerre, dans les bois ou à l’étranger.

Quant au seigneur Jean Crevier, il fut enlevé par les Iroquois et il mourut en captivité des suites de ses fatigues et de ses blessures.

Charles Lemoyne et la traite de l’eau de vie

En 1680, il survint au Canada une dispute effroyable entre MM. de Frontenac, gouverneur, et Duchesneau, son intendant, au sujet de la traite de l’eau-de-vie avec les Sauvages et à la quelle prit part Mgr de Laval qui voulait prohiber ce commerce. Il avait raison si on en juge par les paroles suivantes de LeMoyne qui connaissait bien son monde :

« L’expérience que j’ai eue parmi eux, disait-il, m’a convaincu que la plupart d’entre eux ne boivent que pour s’enivrer, pour avoir ensuite plus de liberté à commettre tous les crimes et désordres que les lois divines et humaines défendent.

J’ai été moi-même avec mes domestiques obligé d’arracher des mains de quelques Sauvages, hommes et femmes ivres, les haches et les couteaux qu’ils tenaient pour s’entretuer, dans le dessein ensuite d’embraser et de réduire en cendres leurs cabanes, sans considérer qu’il y avait plusieurs autres Sauvages, femmes et enfants ».

(Histoire de Longaeuil. A. Jodoin et J.-L. Vincent.)

Charles Lcmoyne, né en 1626, mort en 1683, fut un des premiers colons de Montréal. Pour ses brillants services, le roi l’avait anobli en 1668.

traite des fourrures
Le commerce des fourrures vers 1645. Source: George Agnew Reid/Bibliothèque et Archives nationale du Canada/C-011014. Licence : Illustration gratuite pour une utilisation dans un contexte éducatif et non-commercial.

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