Historique des Universités anglo-canadiennes
Par Hermas Bastien
Le développement de l’enseignement correspond à l’état social. D’abord, les sociétés organisent leur instruction primaire. Ce n’est que plus tard qu’apparaît l’enseignement secondaire que vient ensuite couronner l’enseignement universitaire.
Celui-ci ne peut devenir un enseignement supérieur et culturel que du moment que la société a atteint un certain degré de bien-être, qui rend capable d’en solder les frais, et un certain degré intellectuel, qui en fait saisir les relations avec le bien commun. Les formes élevées de l’enseignement requièrent une population assez dense numériquement, et gardant, du point de vue national, une conscience assez nette et précise de ses possibilités.
L’évolution de l’enseignement universitaire anglo-canadien a suivi cette règle historique. Aussi, voit-on les provinces maritimes, en avance au point de vue peuplement sur les autres provinces canadiennes, organiser leur instruction et leur éducation supérieure. C’est dans l’Est qu’apparaissent les premières universités. La venue de nombreux loyalistes américains exigent cette promotion. Parmi ces immigrants se trouvent nombre de citoyens instruits et riches. Les faveurs politiques viennent récompenser leur option pour la colonie britannique.
Comme leurs lointains ancêtres, arrivés de Hollande en Nouvelle-Angleterre, ils ambitionnent de se créer des cadres éducationnels. Ils conservent intacts leur instinct religieux et leur instinct national. Religiosité et patriotisme s’allient à une solidarité qui tient d’ailleurs à une mystique de la vie nationale. Les sectes protestantes veulent assurer le recrutement de leur clergé ; elles ouvrent des Facultés de théologie. Les laïques, de leur côté, comprennent la nécessité de l’éducation libérale.
Ces loyalistes trouvent déjà dans les provinces maritimes des colons établis sur les terres qu’habitaient jadis les Acadiens. Ces fermiers se sont enrichis. Ce sol, que des colons anglais occupent et que les loyalistes viennent partager, ils entendent l’humaniser à l’anglaise. Si dans l’âme d’un colon français, il y a toujours un apôtre prêt à courir à de nouvelles découvertes, en s’enfonçant au cœur des continents, dans l’âme d’un colon anglais calcule un homme d’affaires, qui s’établit à l’embouchure des fleuves, ces merveilleuses routes commerciales, ou sur le bord de la mer, ce trait d’union des continents. Le premier est un faiseur de terre, le second, un exploiteur de terre. La politique et la solidarité économique aidant, le second métier enrichit plus vite que le premier. Il semble bien que, pour la conquête de l’or, toutes les formes d’instruction n’ont point la même valeur.
Ces colons anglais sont férus de sciences et d’arts pratiques, de mathématiques et d’économie politique, quatre moyens de tirer profit de l’environnement, d’en jouir, de faire des échanges profitables et d’orienter la législation.
Avec un tel tempérament et dans un tel environnement, les Anglo-Canadiens ont rapidement organisé leur enseignement universitaire.
Dès après le traité de Paris, la chaîne des universités protestantes se déploie de l’Est à l’Ouest. Les universités King’s Collège (1789), Dalhousie (1818) et Acadia (1838) en Nouvelle-Ecosse, les universités du Nouveau-Brunswick (1828) et Mount Allison (1858) au Nouveau-Brunswick, sont les premiers chaînons fixés en terre canadienne dans la première moitié du dix-neuvième siècle.
Dans le même laps de temps, se fondent, dans la province de Québec, les universités McGill (1821) et Bishop’s (1843). Celle-ci répond aux besoins des loyalistes établis dans les Cantons de l’Est. Quand l’Université Laval fut fondée en 1852, huit universités anglo-protestantes existaient déjà.
À mesure que le peuplement procède vers l’ouest, les universités surgissent. La province d’Ontario en est le plus richement dotée ; quatre universités, l’université de Toronto (1832), l’université Queen’s, à Kingston (1841), l’université Western, de London, (1878) et l’université McMaster, à Hamilton (1887). Et la chaîne des universités se déroule sans cesse ; l’université du Manitoba (1877), l’université d’Edmonton (1906), l’université de Saskatoon (1907), l’université de Vancouver (1890).
Quand fut inauguré l’enseignement à la succursale de l’université Laval, à Montréal, en 1879-80, les Anglo-Canadiens possédaient déjà onze universités.
L`Université de Montréal, avec son autonomie, en 1919, est la plus jeune université canadienne. Si l’on note que dans les universités anglo-canadiennes les Facultés des arts et de commerce sont menées parallèlement, l’on verra que l’enseignement supérieur des sciences commerciales a devancé, d’un demi-siècle, l’enseignement similaire chez nous.
Les Anglo-Canadiens, bien avant la Confédération, ont compris leur devoir de se développer selon leur génie ethnique. La civilisation anglaise a établi au Canada son emprise économique, sa mentalité culturelle et son enseignement supérieur.
Notre pays étant bilingue et biculturel, les deux groupes ont organisé leur vie intellectuelle, selon leur génie propre. Aux quinze universités anglo-protestantes, les vingt-neuf pour cent de la population française, éparpillée dans tout le dominion, opposent trois universités, dont deux seulement ont tout le cycle de l’enseignement professionnel.
Hermas Bastien, 1936

Lire aussi :
- Étudier au Québec
- Universités de Montréal
- Université de Montréal
- Université Concordia
- Université McGill
- UQAM