Une victoire des Indiens

Une victoire des Indiens dont on doit être fiers

(Texte paru le 18 novembre 1974 dans le quotidien La Presse)

Le gouvernement du Québec et les autochtones de la Baie James en sont venus à une entente de principe qui constitue une reconnaissance de fait des droits et prérogatives que les Cris et les Inuits tentaient de faire établir par les tribunaux afin de protéger leur mode de vie menacé par la construction d’un gigantesque complexe hydroélectrique.

En cela le premier ministre Bourassa avait raison de dire, vendredi dernier, que cette entente est un précédent historique au Canada.

Un précédent non seulement par l’ampleur des concessions faites par le gouvernement, mais aussi du fait qu’une dizaine de milliers d’aborigènes démunis, et dont personne n’avait entendu parler avant ces deux dernières années, ont réussi à faire entendre leur voix, à retenir l’attention de l’opinion publique, à plaider leur cause pour finalement obtenir un arrangement sans précédent en Amérique, supérieur même à celui obtenu par les Indiens d’Alaska du gouvernement américain, lequel était souvent cité comme modèle. Mais il faut dire qu’il aura aussi fallu que l’impavide juge Malouf fasse droit, l’an dernier, à la requête en injonction des autochtones de la Baie James et ordonne la cessation des travaux en attendant que les tribunaux tranchent en droit cette question.

Le Grand Chef des Cris a raison de se réjouir de cette victoire et de répondre à ceux qui reprocheront aux négociateurs d’avoir fait trop de concessions, de s’être laisses acheter, qu’une collectivité d’une dizaine de milliers d’hommes a pu faire fléchir le gouvernement d’un peuple de six millions d’habitants, persuader les meilleurs ingénieurs du monde de déplacer un barrage majeur et de modifier leurs plans de manière à ne pas trop nuire à leur manière de vivre. C’est à la gloire des autochtones de la Baie James d’avoir réussi ce tour de force, mais c’est à l’honneur du gouvernement du Québec d’avoir préféré la souplesse à la rigidité, de s’être référé aux règles de la justice et du bon sens plutôt qu’à la loi du plus fort. Il faut également souligner la sympathie agissante du gouvernement canadien à l’endroit des autochtones tout au long de cette affaire et pour les concessions financières et juridictionnelles qu’il a faites pour favoriser cette entente.

Le ministre du Trésor Jean Chrétien, qui a apporté un soutien précieux aux revendications des Indiens de la Baie James lorsqu’il dirigeait le ministère des Affaires indiennes, voit dans cette entente un progrès considérable, une première en Amérique: c’est-à-dire « un juste équilibre entre la préservation du mode traditionnel de vie des Indiens et le développement ».

En effet, cette victoire des Cris et des Inuits de la Baie James représente non seulement une victoire des droits d’une minorité ethnique spoliée par le conquérant, mais aussi une victoire partielle mais réelle contre le développement industriel aveugle et dévastateur de l’environnement naturel. Voilà deux raisons majeures de se réjouir de cette entente.

Certes, il s’agit d’une entente de principe qui devra être finalisée d’ici le premier novembre 1975 quand les deux parties se seront mises d’accord sur toutes ses modalités.

Il est difficile aujourd’hui de porter un jugement valable sur toutes les implications de cette entente.

Au strict plan financier, il en coûtera au Québec au moins le dédommagement financier qui sera accordé aux 10.000 Indiens Cris et Inuits de la Baie James, soit $150 millions non taxables, payés pour moitié comptant sur dix ans et pour moitié sous forme de royautés sur la production hydro-électrique.

Mais il y aura, en plus, le coût du déplacement du barrage majeur LG-1, du manque à gagner que représentera la moindre capacité de production de ce barrage relocalisé, le paiement aux Indiens de 25 p. cent (durant 20 ans) des redevances éventuelles que le gouvernement pourra recevoir pour tout développement minier ou autre (mais non hydro-électrique) effectué d’ici 50 ans. Il y a aussi les concessions de juridiction exclusive et partielle sur d’immenses territoires, avec exclusivités totales ou partielles pour la chasse, la pêche et le piégeage d’un certain nombre d’espèces animales, l’assurance d’un revenu minimum annuel supérieur aux prestations du Bien-être social, pour les autochtones qui ont choisi de vivre du produit de la chasse et de la pèche, etc.

On voit que les concessions du gouvernement québécois ne sont pas négligeables. Il est possible qu’elles paraîtront extravagantes à certains Blancs. Cependant, il faut se dire qu’elles paraîtront dérisoires à beaucoup d’aborigènes qui ont la nostalgie de l’immense continent qu’ils se sont fait enlever par nos pères.

Mais je veux croire que ne seront pas les premiers à déplorer ce geste de justice ceux d’entre nous qui ne se consolent pas de 1760.

Voir aussi :

« L'activité paranoïaque critique est une force organisatrice et productrice de hasard objectif. (Salvador Dali, La conquête de l'irrationnel).
« L’activité paranoïaque critique est une force organisatrice et productrice de hasard objectif. (Salvador Dali, La conquête de l’irrationnel). Un Amérindien de l’Amérique du Sud. Photo de Megan Jorgensen.

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