Tumulte à l’Assemblée législative

Une demande de Me René Hamel soulève un tumulte à la Chambre

L’Assemblée législative a été plongée dans le tumulte hier soir (le 22 février 1960), pendant la discussion des crédits des travaux publics, quand Me René Hamel, député libéral de St-Maurice, a pris à partie le ministre des Finances, l’hon. J. – S. Bourque, qui défendait les estimés budgétaires de son collègue actuellement malade, pour ne pas fournir, dans le budget, la liste des ponts que le gouvernement entend construire dans le cours de l’année, Si c’était en blanc et en noir dans le budget, a dit le député de St-Maurice, « on ne pourrait pas faire du chantage dans les comtés.

L’hon. Antonio Barrette a immédiatement demandé au député de St-Maurice de retirer ces paroles. M. Hamel a répondu qu’il n’avait pas accusé le gouvernement de faire du chantage, et le président du comité plénier, Me Germain Caron, a donné raison au premier ministre en déclarant que les paroles de M. Hamel avaient implicitement cette signification.

Ce fut le signal d’un brouhaha indescriptible au cours duquel on s’interpelait d’un côté à l’autre de la Chambre. Le président du comité plénier persistant à demander que M. Hamel retire ses paroles et le député de St-Maurice refusant de se rendre à l’ordre donné, rapport fuit fait à l’orateur qui ordonna de prendre le vote. La décision de M. Caron fut maintenue par 48 voix à 11 et M. Tellier demanda par trois fois à M. Hamel de retirer ses paroles. Après quelques minutes d’hésitation, le député de St-Maurice obtempéra à l’ordre reçu.

Le président de la Chambre venait à peine de dire : « La Chambre de nouveau en comité plénier » que l’hon. Antonio Talbot se levai pour proposer l’expulsion du député de St-Maurice. De violentes protestations s’élevèrent du côté de la gauche et quelques députés libéraux menaçaient de sortir avec leur collègue de St-Maurice, quand le ministre de la Voirie se ravisa et retira sa motion d’expulsion, à la demande du premier ministre.

L’honorable A. Barrette

L’hon. Antonio Barrette a profité de l’occasion pour demander au président de la Chambre, M. Tellier, de prendre des mesures sévères pour réprimer le désordre. « À moins que vous ne preniez des mesures contre ceux qui violent les règlements de la Chambre, a dit le premier ministre, vous allez perdre bientôt le contrôle de la Chambre. On ne considérera plus la Chambre comme le salon de la race mais comme un bouge, a ajouté le chef du gouvernement. Le président Tellier a abordé dans le même sens que le premier ministre, le calme est revenu et la Chambre a continué l’étude des crédits du ministre des Travaux publics.

Le chahut a commencé à la suite d’une question de M. Émile Lafrance, député libéral de Richmond. M. Lafrance demande si la construction du pont « Richmond – Melbourne » est sur la liste des travaux de 1960-1961.

M. Bourque : Il est sur la liste des $22,000,000, c’est-à-dire le ponts dont les plans sont faits. Mais nous demandons des crédits de $16,000,000. Nous ferons les travaux de construction les plus urgents.

M. Hamel : Dans la liste des travaux les plus urgents, le ministre n’a pas nommé les ponts de Richmond et de Shawinigan… Ce serait bien mieux si les ponts qu’on veut construire, étaient dans les estimés budgétaires. Alors on ne pourrait pas se servir de ça pour faire du chantage dans les comtés.

M. Barrette : Que le député retire ses paroles!

M. Hamel : Je n’ai pas accusé le gouvernement de faire du chantage. J’ai dit : On ne pourrait pas se servir de ça pour faire du chantage.

M. Lafrance : Dans nos comtés, les organisateurs font du chantage.

M. Barrette : Le député de St-Maurice a accusé le gouvernement de faire du chantage.

M. Hamel : J’ai simplement dit qu’avec ce système là on peut faire du chantage.

M. Caron : D’après la confirmation de la phrase, le député de St-Maurice vouait parler du gouvernement. Que le député retire ses paroles!

M. Hamel : Non. Je n’ai pas dit que le gouvernement faisait du chantage.

M. Bellemare : Beau spectacle!

M. Hamel : Le député de Champlain veut-il que je lui parle su spread Belmont.

M. Caron fait rapport au président Tellier et lit son texte : le député de St-Maurice a accusé implicitement le gouvernement de faire du chantage et a refusé de retirer ses paroles.

M. Hamel : Ce n’est pas ça.

M. Tellier : Il faut respecter le règlement.

Le président appelle les députés pour le vote. Par 48 vois contre 11, la majorité ministérielle appuie la décision de M. Caron.

M. Tellier : Le député de St-Maurice persiste-il dans son refus de retirer ses paroles.

M. Hamel : L’incident est arrivé en comité. Ça doit se faire en comité.

L’hon M. Tellier

M. Tellier : La décision du comité plénier a été ratifiée par la Chambre. Je demande au député s’il persiste à refuser de retirer ses paroles. L’article 327 n’offre aucune alternative à l’orateur… « l’orateur soumet le point à la Chambre qui prononce sans débat… » … avant d’imposer une peine disciplinaire, pour la troisième fois, je demande au député s’il retire ses paroles.

M. Hamel : Je retire l’accusation que je n’ai pas portée…

M. Tellier : Le règlement dit que si le député ne s’explique pas de façon explicite, l’orateur doit le rappeler nominativement à l’ordre. Le député doit retirer ses paroles sans restrictions.

Voix du côté des libéraux : Quelles paroles!

M. Tellier : La Chambre est-elle satisfaite de la rétraction du député de St-Maurice?

Vois du côté ministériel : Non.

M. Tellier somme une fois de plus M. Hamel de retirer ses paroles.

M. Hamel : Je retire mes paroles à l’effet que j’aurais accusé le gouvernement de faire du chantage.

M. Tellier : La Chambre de nouveau en comité plénier.

M. Talbot se lève et prend la parole : M. l’orateur!

M. Hamel : On n’a pas le droit de discuter sur une décision de l’orateur.

M. Talbot : L’article 76 prévoit une autre procédure. Cet article article stipule : 1 – Si un député est rappelé nominativement à l’ordre, la parole lui est par là même interdite pour le reste de la séance; 2 – la Chambre peut en outre, si une motion à cet effet est immédiatement présentée, ordonner à l’orateur d’admonester ou de réprimander ce député, ou bien prononcer contre celui-ci la censure avec ou sans exclusion temporaire.

Le ministre ajoute : Je vais proposer une telle motion et en la présentant j’ai le sentiment de me faire l’interprète de la Chambre.

M. Tellier lit l’article 76 et ajoute : Le député visé par une telle motion doit se retirer pour le temps des délibérations. Il n’y a pas de discussion possible de la part du député.

M. Gerard Lévesque

M. Gérard Lévesque, député libéral de Bonaventure, relate les faits qui ont précédé immédiatement la motion du ministre de la Voirie. Le président a demandé au député de St-Maurice de retirer ses paroles. C’est ce qu’il a fait. Puis le président de l’Assemblée législative a demandé par la suite que la Chambre se forme de nouveau en comité plénier. Il est à la fois inconcevable et impardonnable pour le ministre de la Voirie de proposer à ce moment-ci une pareille motion. C’est le même ministre qui accuse l’opposition de ne pas avoir de respect pour la Chambre. Il vient lui-même de violer le respect qu’on doit au président de l’Assemblée législative.

M. Talbot : Nous sommes respectueux des décisions du président de la Chambre. Ce n’est pas nous qui en appelons de vos décisions, M. le président. Tout de même nous croyons que le député de St-Maurice a reçu une leçon, et je retire ma motion.

M. Barrette : À un moment donné alors que prenait part au débat, il y a quelques jours, j’ai été interrompu dix fois en 11 minutes par le député de St-Maurice. Ce même député lance des insultes à l’orateur. S’adressant directement au président de la Chambre, le premier ministre ajoute : à moins que vous preniez des mesures sévères contre ceux qui ne respectent pas les règlements de la Chambre, vous allez bientôt perdre le contrôle de la Chambre. On ne considèrera plus ici la Chambre comme le salon de la race telle on a déjà qualifié cette enceinte, mais la Chambre sera désignée comme un bouge. Pourquoi? Parce que le député de St-Maurice hurle à la suite de vos décisions.

M. Hyde : Le premier ministre doit commencer par donner l’exemple.

Le président Tellier : L’intervention du député de Westmount n’est pas à-propos. Les remarques du premier ministre sont justifiées. M. Tellier rappelle ce que déclarait ces jours derniers dans la Chambre es Communes un député alors qu’il y avait eu un peu de tumulte à cet endroit. On a déclaré alors qu’on avait l’impression d’être à l’Assemblée législative de Québec.

Le président demande à la députation au nom de la bonne réputation de la Chambre, pour le respect à l’autorité de l’orateur, il faut maintenir le décorum. Il y a certes des abus de l’incompréhension. Il ne suffit pas que le député qui a employé une expression antiparlementaire dise : je retire mes paroles. Il reste à a suite de faits pareils des impressions malheureuses.

Le président de la Chambre conclut en disant que tous les députés de l’Assemblée législative ont intérêt à garder la bonne réputation de la Chambre. Il va aussi de leur intérêt à maintenir l’ordre, à observer la discipline et à garder le décorum de la Chambre. Je demande à la Chambre de se former de nouveau en comité des subsides.

(C’est arrivé au Québec en février 1960).

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Fontaine de Tourny en face de l’édifice central de l’Assemblée nationale. Photo de Megan Jorgensen.

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