Triomphalisme et essai d’adaptation de l’Église

Triomphalisme et essai d’adaptation de l’Église québécoise dans les années vingt – cinquante du XXe siècle 

L’Église catholique se transforme, mais très lentement. Les années 1920 et 1930 semblent marquer le sommet de la ferveur religieuse des Canadiens français. Le nombre de prêtres et de religieux par fidèle est à son point le plus élevé. Fêtes, célébrations, dévotions donnent à l’Église une grande visibilité. Le culte des saints martyrs canadiens voit le jour à cette époque. Pour lutter contre le laïcisme, le pape Pie XI institue en 1925 la fête du Christ Roi, qui célèbre « le règne social de Jésus-Christ » et qui s’inscrit parfaitement dans la mentalité de combat de l’époque. En 1938, les funérailles du frère André, célèbre thaumaturge de l’Oratoire Saint-Joseph, sont l’objet d’une émotion et d’une ferveur sans précédent. Des centaines de milliers de personnes viennent prier sur sa dépouille exposée au milieu de centaines d’ex-voto. Même enthousiasme au cours des grands congrès mariaux. Celui qui est organisé pour souligner le centenaire du diocèse d’Ottawa en 1947 dure une semaine et attire pas moins de 500 000 personnes. L’événement est commenté par la presse internationale et radiodiffusé en sept langues dans une douzaine de pays d’Europe. On y présente des spectacles théâtraux d’inspiration mariale à grand déploiement qui comptent jusqu’à 1000 personnages. La grande invitée d’honneur de la fête est une réplique fidèle de la statue miraculeuse de Cap-de-la-Madeleine, qui a mis un mois et demi à se rendre dans la capitale nationale, son itinéraire ayant été ponctué de 340 arrêts assortis eux-mêmes de processions, de prédications et de réceptions sacramentelles.

De nouvelles sociétés laïques apparaissent aussi : Chevaliers de Colomb, société empruntée aux Coreligionnaires irlandais, Club Richelieu, Club optimiste. Chez les femmes, les évêques considèrent les Cercles de fermières, pourtant bien pieux, comme inféodés au gouvernement; ils leur créent des rivaux : Union catholique des fermières (1944), Syndicats d’économie domestique (1946), Cercles d’économie domestique (1952), Union catholique des femmes rurales (1957), Association féminine pour l’éducation et l’action sociale, qui sera le résultat de la fusion des précédentes en 1965. À partir de 1935, le clergé encadre les jeunes dans des mouvements spécialisés : Jeunesse ouvrière catholique, Jeunesse étudiante catholique et Jeunesse agricole catholique. Ces mouvements exercent une influence profonde, même s’ils engagent directement peu de personnes. Celui des scouts et des guides, qui voit le jour dans les années 1930, et qui devient intégré au mouvement d’Action catholique en 1943, à les mêmes objectifs : donner l’initiative aux jeunes et les pousser à avoir une vie spirituelle intense. D’autres fondations, tels le Conseil des œuvres et l’œuvre des terrains de jeu, semblent être suscitées par la crainte de voir le gouvernement provincial prendre des initiatives en ces domaines.

Encore en 1950, l’Église québécoise est la première Église d’Occident pour l’encadrement de ses ouailles avec quelque 500 fidèles par prêtre. Elle compte aussi parmi les premières Églises missionnaires du monde. Des milliers de ses clercs et de ses religieux portent la bonne nouvelle aux confins de la chrétienté. Le clergé est toujours présent dans le secteur de l’éducation. Le Comité catholique du Conseil de l’instruction publique, où siègent tous les évêques de la province, continue d’être très puissant. Par son intermédiaire, les clercs décident des matières des programmes et des manuels de toutes les écoles catholiques du Québec. Donc, même quand le personnel n’est pas entièrement religieux, le climat de l’enseignement et de la vie scolaire en général est tout imprégné par le catholicisme. Matière obligatoire, la religion tient la première place; l’histoire sainte vient après, suivie par l’histoire du Canada, souvent simple exercice d’hagiographie nationale. Dans les collèges classiques, le personnel est constitué majoritairement de religieux. L’Université Laval et l’Université de Montréal sont dirigées par les prêtres. Les cours de philosophie distillent un thomisme strict et la pure doctrine catholique. Le clergé a aussi la haute main sur la formation des enseignants et sur les écoles d’infirmières, ces dernières étant dirigées par des sœurs. Au Canada français, nul ne peut faire d’études, même très limitées, sans avoir affaire à un prêtre, à une religieuse ou à un frère enseignant. Les hôpitaux son aussi catholiques que les écoles.

L’organisation des syndicats d’ouvriers et d’agriculteurs porte fruit, avec la Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC), et l’Union catholique des cultivateurs (UCC), qui, elle, date de 1924. La première regroupe environ 20 000 travailleurs du bâtiment, des chemins de fer, des ateliers de mécanique, des brasseries, des industries de la chaussure, du textile, du vêtement, de la pâte et papier. La deuxième réunit quelque 13 mille cultivateurs. Aucune des deux organisations n’est majoritaire dans le monde ouvrier ou agricole. La CTCC continue de faire face à la concurrence des syndicats internationaux, qui représentent en 1931 les deux tiers de syndiqués québécois.

En outre, en son sein comme en celui de l’UCC, on discerne un double courant : motivations morales et patriotiques des fondateurs, d’une part; problèmes économiques des membres, d’autre part. Le clergé sait que les syndicats sont nécessaires, il connaît leur force. De leur côté, cependant, ouvriers et cultivateurs savent que le clergé peut mettre à leur disposition un leadership dynamique, des réseaux d’influence et une caution morale. Les relations à l’intérieur des deux organisations ne sont pas toujours les plus harmonieuses : des querelles sur la stratégie, le financement, le pouvoir et les responsabilités des prêtres reflètent les divisions internes. À partir de 1939, le clergé sent le besoin d’encadrer les ouvriers dans la Ligue ouvrière catholique, dont le but est de « reconquérir au Christ la classe ouvrière », en invitant celle-ci à une vie spirituelle plus attentive, tout en travaillant à l’amélioration du sort de leurs familles.

À partir de 1943, l’instruction obligatoire, principe pourtant honni par l’épiscopat, devient un moyen d’éducation religieuse. L’Église utilise aussi l’imprimé à cet effet, en particulier le quotidien éminemment conservateur L’Action catholique, qui est très lu dans les régions de l’est du Québec depuis 1907. Elle se sert en outre de la radio avec L’Heure catholique, L’Heure dominicale et surtout, à partit de 1950, année mariale, avec le chapelet qu’on écoute en famille. Parfois, le clergé acquiert même des stations radiophoniques, comme à Hull, où les oblats prennent le contrôle, en 1942, de la station CKCH, qui diffuse à partir d’une salle paroissiale. Même le cinéma, auquel les clercs ont livré dans les premières décennies du siècle une lutte féroce et qu’ils continuent à censurer, sert à éduquer les masses catholiques.

En 1951, l’Église se lance dans la production cinématographique avec la fondation de Rex Film. L’institution ecclésiale tente dont, comme par le passé, de s’adapter aux nouvelles contraintes. Ainsi multiplie-t-elle les paroisses au rythme du développement urbain et modifie-t-elle son discours face à la ville. À la suite de la grève de l’amiante en 1949, les évêques du Québec signent une lettre pastorale à la lumière de la doctrine catholique : ils y affirment que la ville et son cadre industriel peuvent permettre une vie spirituelle tout aussi valable que celle qu’offre la vie des champs.

Mais de telles actions ne suffisent pas. Le grand problème pour l’institution ecclésiale, c’est que, devant l’importance et la rapidité des bouleversements sociaux, elle ne dispos plus de ressources financières suffisantes pour bien remplier les tâches qu’elle s’est données. Elle commence aussi à ressentir les effets de la diminution des recrues, qui trouvent dans le monde laïque des situations respectables et intéressantes. Elle doit donc mettre un frein à sa mission continentale. En outre, l’Église perd de sa crédibilité lorsque l’archevêque de Québec, le cardinal Rodrigue Villeneuve, prêche en faveur de l’effort de guerre pendant le second conflit mondial. Les nationalistes ne lui pardonneront pas son apparition sur un char d’assaut, et son autorité diminuera de beaucoup. Quand Mgr Villeneuve décède en 1947, aucun prélat ne réussit à souder l’épiscopat que Duplessis manipule habilement, comme il se plaît à se rappeler en évoquant ces « évêques qui mangent de sa main ». Le premier ministre leur distribue ses largesses. Ils ont besoin de fonds pour diverses œuvres et projets. À chaque service rendu, ainsi que le fait remarquer Susan Mann Trofimenkoff, Duplessis resserre son emprise. En général, il sort l’argent, mais souvent aussi il fait attendre celui qui le sollicite. Il s’engage rarement à fournir une contribution de façon sûre et précise, car il sait bien que, chaque fois qu’il faut un don, il augmente la gratitude du demandeur et que cela fait mousser la réputation de générosité du gouvernement. Certains évêques, notamment Mgr Desranleau, du diocèse de Sherbrooke, se font même les propagandistes de l’Union nationale.

Source : Brève histoire des Canadiens français de Yves Frenette, avec la collaboration de Martin Pâquet. Éditions Boréal. En collaboration avec Marc Desjardins Histoire de la Gaspésie, Montréal, Boréal Express/Institut québécois de recherche sur la culture, collection Les régions du Québec, 1981.

Voir aussi :

Une belle église. Illustration de Bing.

Laisser un commentaire