Remaniement de la Constitution : Sept provinces canadiennes s’adresseraient aux tribunaux
Me Yves Pratte représentera le Québec
Remaniement de la Constitution : Alors qu’il y a quelques semaines à peine les provinces avaient décidé de faire front commun contre Ottawa, hier, après la rencontre extraordinaire des premiers ministres provinciaux, c’est plutôt la division qui régnait. En effet, cinq provinces, dont le Québec, ont l’intention de contester juridiquement le projet fédéral de réforme constitutionnelle, et deux autres se joindront sans doute à elles. Pour sa part, le premier ministre Trudeau se refuse à débattre sa cause devant la Cour suprême avant de s’être rendu à Londres.
Déjà lorsque sept premiers ministres seulement sur dix se sont présentés pour la conférence de presse, après une rencontre extraordinaire de cinq heures pour discuter du projet fédéral de réforme constitutionnelle proposé par Pierre Trudeau, on savait que l’unanimité était loin d’être réalisée. C’est bien la division qui survenait dans des troupes qui, encore il y a quelques semaines, avaient déterré la hache de guerre et faisaient front commun devant leur ennemi, Ottawa.
Le président de la Conférence des premiers ministres provinciaux depuis août dernier, Sterling Lyon, dans un anglais des Prairies, devait déclarer, en guise d’introduction, que lui et quatre autres de ses collègues ont l’intention de contester juridiquement le projet fédéral.
X
Outre le Manitoba, il s’agit du Québec, de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et, on le sait depuis le tout début de Terre-Neuve. Deux autres provinces pourraient s’associer à cette bataille légale d’ici peu: l’Île du Prince-Édouard et la Nouvelle-Écosse.
Mais les trois autres gouvernements n’emboîteront pas le pas : Ontario naturellement, le Nouveau-Brunswick et, surprise, la Saskatchewan.
Après que M. Lyon eut dit que les sept provinces représentent quelque 50 p. cent des Canadiens, le premier ministre albertain, qui, autant que le Québec, ne veut pas s’isoler de ses partenaires, devait ajouter l’air victorieux et avec une satisfaction difficile à dissimuler: «Il s’agit de provinces qui représentent autant l’Ouest que le Centre et l’Est du pays.»
Il n’a pas été décidé devant quelle Cour les provinces contesteront le projet fédéral, mais dès la semaine prochaine des représentants des cinq ou des sept gouvernements se réuniront pour étudier plus à fond la question et en faire rapport à leur gouvernement respectif. Les premiers ministres, à l’occasion d’une rencontre ultérieure, prendront les décisions sur les voies et les moyens.
C’est Yves Pratte, ancien juge de la Cour suprême du Canada, responsable de la législation sous le gouvernement de Jean Lesage et de Daniel Johnson, et doyen de la faculté de droit de Laval, qui représentera le Québec dans cette bataille, a révélé hier René Lévesque.
Des surprises du remaniement de la Constitution
Si, dans le cas de l’Ontario, la décision était prévisible, la position du Nouveau-Brunswick et celle de la Saskatchewan l’étaient moins. En ce qui concerne Richard Hatfield, qui représente un gouvernement officiellement bilingue, il doit composer avec une opposition où l’on veut donner à la minorité (40 p. cent de francophones) plus de droits à la langue maternelle «que le nombre le permet » comme le prescrit le projet fédéral amendé sous l’insistance de l’Ontario.
Quant à la Saskatchewan, son premier ministre, Allan Blakeney, est venu s’expliquer plus tard. Même s’il partage, avec la majorité de ses autres collègues, leurs frustrations, il ne lance pas la serviette dans l’arène et dit espérer persuader Pierre Trudeau d’améliorer le projet fédéral.
Ce dernier avait d’ailleurs fait part de son ouverture, vendredi dernier, lorsqu’il a déclaré qu’il pourrait permettre un amendement à son projet en ce qui concerne l’enchâssement dans la constitution du droit des provinces à là propriété et au contrôle des ressources naturelles si cela signifiait l’appui des provinces de l’Ouest.
M. Blqkeney, qui doit aussi tenter de s’ajuster à la position qu’a prise son collègue évoluant sur la scène fédérale, Ed Broadbent, sera en s o m m e le chevalier qui tentera de réaliser des compromis pour l’Ouest.
On sait que la stratégie fédérale, rendue publique lors de la conférence constitutionnelle du 8 septembre, visait à briser le front commun de l’Ouest en tentant d’obtenir l’accord de la Saskatchewan.
Celle-ci poursuivra donc des négociations en ce sens, mais il n’a pas été dit, advenant un échec, qu’elle ne se joindra pas «au groupe des sept» qui, également par mesure de stratégie, n’a pas dit quand il contestera le projet Trudeau.
Davis
Quant à William Davis, absent lundi soir et hier matin des réunions préparatoires à cette conférence, il s’est refusé à joindre le groupe pour des raisons qu’il a déjà invoquées. Il a ajouté hier que «les Ontariens pensent qu’il existe d’autres problèmes auxquels il nous faut nous attaquer; l’énergie et l’économie sont de
ceux-là.»
Il a aussi fait observer qu’en vertu du projet fédéral, les droits des provinces ne sont pas affectés. «Une fois le rapatriement réalisé, il existe suffisamment de temps pour trouver d’autres formules d’amendement.»
À ses yeux, la question n’est pas d’ordre juridique mais politique. «Je défendrai vigoureusement le moment venu la juridiction et les droits des provinces. Mais ceci ne doit pas empêcher le rapatriement de la constitution.»
Il a émis l’espoir que la décision de ses collègues ne signifie- ra pas une division du Canada. M. Lévesque, quant à lui, a paru satisfait de cette réunion où il a gagné des appuis solides, spécialement avec l’Alberta, dont le premier ministre se permet maintenant de l’appeler publiquement «René» .
Celui-ci, se référant aux pages 52, 53 et 54 (ce n’est vraiment plus un document réservé aux yeux des ministres) du fameux scénario fédéral, a déclaré: « La simple décence indiquerait que le gouvernement fédéral s’est
mis les pieds dans les plats. Qu’il attende maintenant», a-t-il résumé.
Les premiers ministres Angus MacLean, de l’Île-du-Prince-Édouard et John Buchanan, de Nouvelle-Ecosse ont annoncé hier qu’ils allaient consulter leurs cabinets avant de décider s’ils appuieront un groupe de provinces ou l’autre.
Remaniement de la Constitution : Trudeau refuse de soumettre son projet a la Cour suprême
Le premier ministre fédéral Pierre Trudeau refuse catégoriquement de soumettre son projet de réforme de la constitution à la Cour suprême en dépit des requêtes de l’opposition.
Pressé de s’expliquer à la Chambre des Communes, M. Trudeau a réplique au chef de l’Opposition M. Joe Clark qu’il mêlait les pommes et les oranges.
Lors de la présentation d’un premier projet de réforme constitutionnelle, M. Trudeau avait prié le tribunal de dire si Ottawa pouvait amender seul le rôle du Sénat. La cour avait alors déclaré que le projet de loi C-60 était inconstitutionnel.
Cette fois, explique M. Trudeau, il s’agit d’un projet de rapatriement et non d’amendement, il n’y a pas de précédent, donc rien qui permette à un tribunal de se prononcer.
Devant l’insistance de M. Clark, M. Trudeau a finalement reconnu qu’il n’allait pas présenter son projet à la Cour suprême. Que les personnes ou les provinces intéressées le fassent, a-t-il dit, puisqu’il n’y a rien de prévu à ce sujet dans la constitution actuelle.
(Processus du Remaniement de la Constitution, C’est arrivé au Canada le 15 octobre 1980).
Pour en apprendre plus :
- Acte constitutionnel de Québec
- Trudeau et Johnson s’accusent mutuellement
- Découverte de l’Ouest canadien
- Projet d’association du Québec et Canada, présenté par le PQ
