Le sens des fêtes au pays de Québec (Texte paru dans le journal La Presse, le 2 janvier, 1940)
« Notre avenir ne sera ce que nous en attendons que si nous sommes fidèles au passé, » dit l’honorable Adélard Godbout
Québec, 2 janvier 1940. – À 1 heure 30, hier après-midi, à la radio, l’honorable M. Godbout, premier ministre de la province, a donné le message suivant:
“Les fêtes, comme on les appelle chez nous, réunissent en gerbe trois grandes solennités; la Noël, le Nouvel An et les Rois.
Chacune a son caractère propre, mais toutes sont pour nous l’occasion de nous réunir sous le toit familial et à l’église; de resserrer les liens qui nous unissent à nos parents et à nos amis; d’échanger nos pensées, dans la douce intimité du moment; de rappeler le souvenir des absents; d’éprouver jusqu’au fond de l’âme le bonheur d’être frères par le sang, l’esprit et la foi et d’être enfin tous dévoués à la même cause nationale.
La Noël, d’abord, une solennité religieuse; mais sur celle-ci se greffe une célébration familiale qui est le prolongement de l’autre.
À la crèche de nos temples, en effet, correspond celle que nous dressons dans nos demeures et qui s’offre à nos yeux comme la miniature décorée et le symbole suprême des berceaux peuplant nos foyers. Au retour de la messe de minuit, lorsque l’air est vibrant encore des carillons de nos clochers, et que, la conscience en paix, trouver le feu dans l’âtre, le poêle ronronnant, la table servie du traditionnel réveillon et la gaieté d’être ensemble, à l’abri des contrariétés et des peines des jours ordinaires qu’on veut oublier.
Cette année, il n’y a eu ni pluie, ni bouillard à Noël. Jamais la pureté de l’atmosphère et de la neige n’ont, il nous semble, mieux concouru à rehausser l’éclat de la fête.
Les souhaits chez nous
Et maintenant, voici que le premier jour de l’année nous ramène davantage, s’il se peut, au foyer pour des agapes à la fois solennelles et joyeuses.
Tous ceux qui n’ont pu assister u réveillon de Noël n’osent même plus chercher d’excuses pour s’abstenir de prendre part au dîner du Nouvel An. Aux souhaits de « Joyeux Noël », échangés à la sortie de l’église, dans la nuit du 25 décembre, succèdent ceux de « Bonne Année et le paradis à la fin de vos jours. » Que l’on ne dis pas: « Ce sont là des formules creuses! » Non, car elles jaillissent du meilleur de nous-mêmes, d’une habitude active et raisonnée qui prend chaque fois une apparence inédite de spontanéité. Il n’y a a d’ailleurs qu’à voir l’animation des figures, la cordialité des gestes et à écouter le son des voix pour se rendre compte aussitôt qu’une pareille manifestation n’est pas du tout conventionnelle. Au cours du dîner, de même qu’à la distribution – des étrennes, nos touchantes coutume revivent si bien que – nous devons avouer que nos ancêtres ont mis en elles one inaltérable fraicheur! Malgré les vicissitudes de l’histoire et les épreuves subies, rien n’est vraiment changée au pays de Québec.
Le Jour des Rois non plus ne passera pas inaperçu. Il sera l’objet de notre culte respectueux et l’occasion d’autres réjouissances. Il clora ainsi brillamment, comme il convient, le cycle magique.
Restons fidèles au passé pourquoi il faut toujours revenir à l’âme pour y découvrir le centre et l’aliment de tout notre être.
Travail fructueux
En ces dernières années, un fructueux travail s’est, opéré, au nom du patriotisme le mieux entendu. Il s’agissait de refranciser l’aspect de nos villes, villages et hameaux, par le style approprié des édifices publics et des maisons, par le choix des affiches et des enseignes à la porte de nos hôtelleries et de nos magasins, et, surtout, par la correction de plus la plus parfaite de notre langage.
La Société du parler français, la Société de St-Jean-Baptiste, les syndicats d’initiative, les institutions d’enseignement, tant primaire que moyen et supérieur, se sont concertés pour diffuser, accélérer, fortifier et pleinement assurer un mouvement si louable.
Les congrès de la langue française ont été autre chose que de simples moments. Ils ont soulevé un enthousiasme qui a débordé nos frontières.
Ils ont fait appel à la solidarité de tous les groupes français d’Amérique.
Et alors nous avons pris conscience du tait que les 4,000 premiers colons des provinces de la mère patrie, venus fonder ici la Nouvelle-France, sont en train de former un tout spirituellement homogène de 6,600,000 de Canadiens-français d’Acadiens, de Franco-américains et de Louisiannais.
Français et loyaux sujets britanniques
Cette fidélité à notre foi, ce patriotisme des mœurs, du langage et du cœur n’ont rien enlevé à notre loyauté constitutionnelle. Bien au contraire, plus nous nous sommes montrés français, et plus nous avons été obstinément de chez nous, de toute la puissance de nos atavismes et de notre attachement au soi et à nos traditions, plus nous avons compris les leçons de l’histoire et nous sommes affirmés, avec la calme détermination des honnêtes gens confiants dans nos droits et soumis à leurs devoirs; plus nous nous sommes montrés dignes de notre mission de découvreurs et de fondateurs; bref de civilisateurs, plus et mieux nous nous sommes acquis le respect de nos voisins. Car, à la vérité, ce qui divise irrémédiablement les hommes ce n’est pas la race, la naissance, la formation intellectuelle, mais le manque de compréhension réciproque et de clarté sociale.
Plaise à Dieu que nous ne connaissions jamais ces faiblesses.
Vivre et laisser vivre
Nous voulons vivre et laisser vivre. Nous sommes unis à nos concitoyens d’expression anglaise par une amitié mûrie au cours des années et par la communauté de nos intérêts canadiens. À la vérité puisque nous sommes, dans le temps et dans l’espace, les premiers Canadiens, comment notre point de vue et notre sentiment seraient-ils erronés, lorsqu’il s’agit de l’ordre général au Canada?
D’ailleurs, nous sommes très sensibles aux témoignages de gentillesse de nos amis. Nos compatriotes de langue anglaise qui s’appliquent à parler le français et le considèrent comme leur langue seconde nous touchent vivement. Et leurs Gracieuses Majestés, le roi George et la reine Élizabeth, sanctionnent et consacrent de leur éminente autorité le principe du bilinguisme au Canada.
Les paroles françaises tombées de leurs lèvres ne sont-elles pas une semence de paix?
La permanence du double fait français et anglais, non seulement dans notre province mais encore par tout le Canada, le libre épanouissement de nos civilisations parallèles et complémentaires, ce sont là les sources vives de l’unité dans la diversité, est le trait caractéristique du véritable canadianisme et que proclament le roi et la reine du Canada.
Un tel concert nous prépare tous à la réalisation du plan le plus élevé d’une vie nationale comprise dans toute son intégrité.
Voilà comment le temps des fêtes nous ramène à faire ensemble des réflexions qui portent sur les grands problèmes dont la solution équitable peut seule fixer le destin commun de nos deux peuples.
Nos soldats outre-mer
Ce destin du Canada, comme celui de toutes les nations de la communauté britannique et celui de la France, est en jeu. Le terrible conflit européen auquel, d’un élan spontané et volontaire, nous prenons notre large et généreuse part, lie notre sort au sort de la civilisation chrétienne, de l’humanité et de l’idéal démocratique en danger.
Aussi, en échangeant nos vœux, nous songeons à nos enfants et à nos frères du premier contingent à qui Dieu a ménagé une heureuse traversée et qui vont précisément combattre les barbares. Avec de tels défenseurs au service, d’une telle cause, le monde civilisé ne saurait périr.
À nos braves, je souhaite, avec la victoire définitive, un prompt retour parmi les leurs qui les attendent au Canada, afin que la prochaine fête du Nouvel An ne compte que du bonheur dans tous les foyers du pays.
Entente cordiale depuis longtemps en honneur chez nous
L’union étroite entre la mère patrie du Canada, la France et la Grande-Bretagne, prêtes à cimenter de leur sang leurs pactes d’assistance morale, économique et militaire ne nous surprend pas, nous, Canadiens français. Car, bien avant l’entente cordiale d’Édouard VII et du président Loubet, et bien avant la guerre de 1914-1918 où les empires français et britanniques combattirent si vaillamment côte à côte, c’est ici, sur les bords même du Saint-Laurent, que les ennemis de 1760 apprirent à vivre comme des frères. Et nous n’avons Jamais échangé le bon exemple. La guerre actuelle ne mettra donc pas à l’épreuve notre loyauté.
Elle devra la fonder sur de solides pierres d’assise. Notre immense province est riche en hommes de courage et en ressources de toutes espèces. Elle ne demande que la liberté de concourir volontairement au succès de l’œuvre conjointe. Et elle a confiance que, après avoir fait appel à nos jeunes gens empressés de prendre les armes pour la défense de la justice et la gloire du Canada. L’on n’oubliera point de mettre à contribution notre agriculture et nos industries capables de fournir aux alliés tout ce qui leur permettra de vaincre l’adversaire.
Notre province et le Canada tout entier étaient sur le point de sortir enfin du malaise économique qui opprimait le monde, lorsque la guerre a éclaté. Il est certain que bien des épreuves nous attendent, mais nous les affronterons comme nous l’enseigne notre souverain, lorsqu’il propose à notre médiation les hautes paroles de Miss Haskins :
« J’ai dit à la garde qui veille aux portes de l’année: Donnez-moi une lumière afin que je puisse cheminer sûrement vers l’inconnu. Et on me répondit: « Va dans la nuit et mets ta main dans celle de Dieu. Ce sera pour toi mieux que la lumière et plus sûr que la route connue.
Sécurité et prospérité pour tous
Voilà mes chers compatriotes, dans quel esprit je forme pour vous mes souhaits émus de la nouvelle année.
Que 1940 apporte à tous, avec la sécurité reconquise, la prospérité nécessaire au magnifique avenir réservé à la province de Québec et au Canada.
Enfin, que ceux à qui la fortune sourit se penchent sur toutes les misères pour les soulager et y remédier. Faisons donc en sorte qu’il n’y ait pas un homme de bonne volonté dont l’âme ne soit réchauffée par l’affection et l’aide de ses frères, et qui, en ce temps où le Seigneur lui-même nous a promis la paix, n’en éprouve toute la consolante douceur !
Voir aussi :
