
Sac et prise d’une place par les Indiens
Il est impossible de bien dépeindre la triste scène qui se passe dans un village surpris ou forcé. Le vainqueur barbouillé de noir et de rouge d’une manière propre à inspirer la terreur, et insolent de sa victoire, court partout en forcené, chantant son triomphe, et insultant aux vaincus par d’horribles cris. Tout ce qui tombe sous sa main est immolé à sa cruauté barbare. Il met tout à feu et à sang dans la première chaleur du carnage. Sa fureur ne s’arrête que par la lassitude, et alors elle devient industrieuse pour être plus cruelle à l’égard des malheureux, qui ayant échappé aux premiers coups ont le triste sort de tomber vifs entre leurs mains. Les vaincus de leur côté n’ignorant pas ce qu’ils ont à attendre de la cruelle férocité des victorieux, aimant mieux périr, et s’ensevelir dans les cendres de leur patrie, que de survivre quelques moments à sa ruine, pour être exposés ensuite aux tourmentes de la cruauté la plus raffinée, font des prodiges de valeur; et animés également par l’esprit de vengeance, et par le désespoir, se font des armes de tout ce qui leur vient à la main, cherchant la mort dans leur courage et dans celui de leurs ennemis, et ne cèdent enfin que lorsque accablés par le nombre, ou par l’excès de la fatigue, ils se trouvent dans l’impossibilité de continuer à faire résistance.
Comme les vainqueurs ne sauraient conserver le grand nombre de prisonniers qu’ils font dans un village dont ils se sont rendus les maîtres, leur politique, qui vise à empêcher les vaincus de pouvoir se relever et se remettre en état de défense, leur fait discerner ceux qu’ils veulent sacrifier à la fureur militaire, et ceux qu’ils veulent réserver pour les incorporer parmi eux. Ainsi les vieillards qui auraient de la peine à apprendre leur langue, ou que leur âge rendrait inutiles, les chefs et les considérables parmi les guerriers, dont ils pourraient avoir quelque chose à craindre s’ils leur échappaient; les enfants d’un âge trop tendre, et les infirmes qui seraient trop à charge dans leur route, sont les victimes infortunées qu’ils immolent à leur rage et à leur fausse prudence.
Ils en brûlent plusieurs avant que de sortir du village qu’ils ont pris, et comme sur le champ de bataille. Ils en brûlent ensuite tous les soirs quelque autre les premiers jours de leur marche, lorsqu’ils peuvent se retirer sans crainte d’être poursuivis.
Les petits partis n’étant pas en état de faire des coups d’éclats n’osent presque pas s’avancer jusqu’aux portes des villages. Il y en a cependant qui le font, mais ce sont des coups rares et pleins de témérité, tel que fut celui d’un Iroquois, qui approchant secrètement de la palissade d’un village où l’on chantait actuellement la guerre, et ayant aperçu deux Sauvages sur une guérite, y monta adroitement, déchargea un coup de massue sur la tête d’un, et ayant jeté l’autre par terre se donna le temps de l’égorger et d’enlever sa chevelure à tous le deux, après quoi il se sauva.
Ils font leurs coups d’ordinaire dans les lieux de chasse et de pêche, et quelquefois à l’entrée des champs et des bois, où après s’être tenus tapis dans les broussailles pendant quelques jours, le malheur de quelques passants, qui ne pensent à rien moins, leur donne l’avantage de la surprise et de la victoire.
Harcelés ensuite par la crainte d’être poursuivis, ils fuient plutôt qu’ils ne battent en retraite; cassent la tête aux blessés et à ceux qui ne peuvent les suivre, et ne mènent de prisonniers avec eux qu’à proportion de leur petit nombre. S’ils ont envie d’en brûler quelqu’un, qui leur paraisse surnuméraire, et qu’ils ne croient pas avoir le temps de le faire à leur aise, ils l’attachent à un arbre, et mettent le feu à un autre arbre voisin, qui soit dans un juste éloignement, pour le faire souffrir longtemps et ne le brûler qu’à la longue. Ces misérables ainsi abandonnés meurent comme des forcenés, ou du feu lent qui les consomme, ou d’une faim cruelle, si le feu n’a pu s’allumer assez bien pour leur faire sentir son activité.
(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau)

Nature menaçante. Photographie de Grandquebec.com.
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