Pourquoi les Américains ont-ils réclamé leur indépendance ?
La révolution américaine et les Canadiens
Les États-Unis ont acquis leur indépendance vis-à-vis de l’Angleterre à la suite d’une guerre qui s’étend de 1775 à 1782. Les treize États primitifs, c’est-à-dire les 13 colonies britanniques, situés sur la côte est, sont ceux qui se sont battus pour l’obtenir, car il ne faut pas oublier que ce pays s’est agrandi par la suite pour couvrir l’espace qu’il occupe actuellement. Rappelons au passage que la vallée de l’Ohio, au sud des Grands Lacs, a été cédée aux États-Unis par le traité de Versailles signé en 1763, que la Louisiane a été achetée de la France en 1803, que L’État de la Floride a été vendu aux États-Unis par l’Espagne en 1819, que le Texas a été annexé en 1845 et que l’Ouest américain a été cédé par le Mexique en 1848 et 1854, après de nombreux accrochages.
Mais pourquoi les 13 colonies de 1774, propriétés de l’Angleterre, se sont-elles soulevées contre la mère-patrie ? On se plaît à repérer que Montcalm, durant la guerre de Sept ans (1756-1763), avait lancé cette prédiction : « Si la France perd le Canada, l’Amérique, dix ans plus tard, se révoltera contre l’Angleterre. » Quelles sont les causes de cette révolte ? La guerre de Sept ans avait rendu l’Angleterre plus prestigieuse et augmenté sa puissance. Le péril français était disparu. Mais cette guerre avait appauvri la métropole et sa dette avait plus que doublé. La « fière Albion » trouvait juste que ses colonies l’aident à payer cette dette. C’est pourquoi le Parlement de Londres adopta, en 1765, la célèbre loi du Timbre. Entre autres choses, cette loi prescrivait l’utilisation de papier timbré pour la rédaction de tout document officiel – testaments, hypothèques, actes juridiques, polices d’assurance, etc. À ce papier spécial était rattachée une taxe qui devait servir principalement à la défense des colonies. Pendant que le Parlement préparait cette loi, il en mijotait une autre, relative, celle-là, à la navigation et au commerce. Que stipulait-elle? Toutes les importations devaient provenir de la métropole seule et toutes les exportations étaient réservées en exclusivité à la métropole; de plus, tout transport sur mer de ces marchandises devait se faire sur des navires battant pavillon anglais. Déjà, à Londres, Benjamin Franklin mettait en garde les ministres du dangers de ces politiques.
En 1766, le gouvernement impérial, détectant un vif mécontentement, retirait sa loi du Timbre, mais, l’année suivante, revenait à la charge avec d’autres lois tout aussi coercitives, les lois Townshend, qui imposaient des droits de douane sur les produits comme le verre, le plomb, les peintures, le papier et le thé importés par les colonies. Les habitants américains sont alors mécontents. Ils menacent, se soulèvent. En 1770, le premier ministre britannique, Lord North, recule. Il abroge les lois Townshend, mais maintenant la taxe sur le thé. Il veut ainsi affirmer sa position : la métropole a le droit d’imposer directement des taxes à ses colonies. Plusieurs loyalistes d’ailleurs, habitent les colonies de la Nouvelle-Angleterre, sont d’accord avec lui. Ces loyalistes, ou tories, joueront un rôle très important dans le peuplement du Canada après l’indépendance des États-Unis; ils réussiront même à faire changer la Constitution canadienne. Pour eux, le roi, assisté de son Parlement, représente l’autorité suprême. Dans les colonies, cependant, la majorité des colons, ayant Samuel Adams à leur tête, sont d’avis que ce sont les représentants du pays qui doivent décider des lois. « No taxation without representation. »
À partir de 1768, l’Angleterre envoie des soldats pour faire respecter les lois votées par Londres. Les rues de Boston se transforment en champs de bataille et plusieurs colons sont tués. Les émeutes sont de plus en plus fréquentes. En 1773, pour protester contre la taxe sur le thé, des citoyens déguisés en Amérindiens se glissent dans les bateaux chargés de thé stationnés dans le port de Boston et jettent la cargaison à la mer. Ce geste haut en couleur, connu sous le nom de Boston Tea Party, deviendra le symbole de la révolution.
L’armée répond par la répression. Le port de Boston est fermé, la charte de la colonie du Massachusetts est même suspendue. Le glas a sonné. La législature du Massachusetts convoque une réunion des treize colonies. La rencontre a lieu à Philadelphie, le 5 septembre 1774. Rapidement, les délégués rédigent une déclaration de droits, qu’ils font parvenir au Parlement britannique et aussi au peuple du Canada que l’on veut associer à cette démarche vers l’indépendance.
Il faut rappeler que, cinq jours auparavant, cette même assemblée avait adressé des reproches acerbes au Parlement britannique qui venait d’adopter, pour le Canada, l’Acte de Québec. C’est que l’Angleterre, voyant ses colonies du sud au bord de la révolte, cherche à amadouer ses sujets canadiens; de leur côté, les Américains acceptent mal que la mère patrie agrandisse le territoire des conquis et favorise la religion de ces papistes. Les Américains leur promettent la liberté et reviennent avec insistance sur la Proclamation royale de 1763. On les invite même à envoyer des délégués au deuxième congrès qui doit se tenir à Philadelphie en mai 1775. Il faut que les Canadiens les suivent dans leur révolution ou, à tout le moins, qu’ils restent neutres. Mais les troubles n’attendent pas qu’ait eu lieu cette réunion pour éclater et, le 19 avril 1775, le combat fait rage dans la région de Lexington. Deux chefs improvisés, Allen et Warner, s’emparent de deux forts, Ticonderoga et Crown Point. Au congrès de mai, George Washington est nommé commandant en chef des troupes américaines. C’est parti…
L’attitude des Canadiens face à l’indépendance américaine
Le Canada est resté attaché à l’Angleterre en cette occasion grâce aux seigneurs et au clergé. L’affirmation est exacte. Bien sûr, lorsque les Canadiens reçoivent l’invitation des Américains à se joindre à eux dans la révolution, plusieurs sont tentés. Ils se souviennent de 1760 et du régime qui a suivi, de 1763 à 1774. Le désir d’une revanche occupe une bonne partie de leur cœur. Surtout que la France, elle, se lance à fond de train aux côté des révolutionnaires. D’ailleurs, plusieurs Canadiens s’enrolent dans les troupes américaines. Mais la masse reste neutre, le clergé et les seigneurs y veillent, car leurs intérêts sont en jeu. Ils dominent la majorité de la population.
Laissons Yves Bourdon et Jean Lamarre nous guider dans cette histoire. Bien sûr, le clergé et les seigneurs connaissent les véritables enjeux. Ils ont de la difficulté avec le Congrès. D’une part, les Américains dénoncent à grands cris l’Acte de Québec, favorable aux Canadiens catholiques, et, d’autre part, ils les invitent à partager leur couche. Le clergé sait surtout que ces puritains ne tolèrent même pas une église épiscopalienne et n’ont, de plus, jamais voulu permettre à un évêque anglican de poser le pied en sol américain. Comment peuvent-ils alors inviter des catholiques à danser le menuet ?
Sur le plan politique, ces colons virginiens avaient combattu le « péril français » en 1760 et dénigré les Canadiens. Le clergé et les seigneurs répandent l’idée que si les Canadiens acceptent d’entrer dans leur confédérations, ils seront rapidement assimilés dans une population 30 fois plus nombreuse et dépouillés de toutes leurs traditions et de leur droit civil français que rétablit l’Acte de Québec de 1774. Et cela sans parler de la langue.
Il faut choisir entre l’anglicisation possible à long terme ou l’américanisation dans un proche avenir. Les Américains critiquent l’Acte de Québec et disent aux Canadiens que cette loi est un leurre, que Londres a fait des concessions à seule fin de les empêcher de se soulever eux aussi contre la mère patrie. Ils n’ont pas tout à fait tort. Mais que serait-il advenu de l’Acte de Québec après une téméraire union?
L’argument le plus convaincant pour ces Canadiens colonisés de l’époque vient de Mgr Briand, ami du colonisateur. En effet, dans un mandement important, il ordonne à ses ouailles de rester fidèles au roi d’Angleterre, ce gentil monarque qui, avec l’Acte de Québec, a consenti à ce que les Canadiens puissent pratiquer en toute liberté leur religion. « Fermez donc les oreilles et n’écoutez pas les séditieux, qui cherchent à étouffer dans vos cœurs les sentiments de soumission à vos légitimes supérieurs. »
(Source : Marcel Tessier raconte, chroniques d’histoire, Éditions de l’homme, 2000. Tome 1).
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