Histoire du Québec

Résolutions Russell

Résolutions Russell

Les Résolutions Russell (mars 1837) et le contexte de leur divulgation

Lord John Russell est conscient de la gravité de la situation lorsqu’il se lève à la Chambre des communes de Londres le 6 mars 1837 pour formuler la position du Parlement impérial sur les 92 Résolutions de 1834 et pour donner suite aux recommandations de la Commission Gosford déposées quatre jours plus tôt. Le ministre de l’Intérieur estime que les recommandations du Comité de 1828 sur les affaires du Canada ont été satisfaites en il n’est pas question pour lui de modifier la Constitution de 1791, car un tel geste serait inconséquent avec le statut colonial du Bas-Canada.

Les dix Résolutions Russell constituent un refus catégorique aux demandes de la Chambre d’assemblée et de la très grande majorité de la population du Bas-Canada. Non au Conseil législatif électif qui, selon Russell, ne ferait qu’entériner les lois votées par la Chambre d’assemblée et qui, surtout, exclurait les Britanniques de la colonie, aveu que le Conseil législatif nominatif constitue bien une structure de pouvoir voulue et perpétuée par la métropole. Au mieux, les juges sont – à nouveau – exclus du Conseil où l’on nommera alternativement des Britanniques et des Canadiens, mais cette recommandation n’est pas une règle de procédure, plutôt « à matter of discretion ».

Non au gouvernement responsable, incompatible avec le statut colonial du Bas-Canada. Pour une métropole monarchique, le roi ne peut être représenté dans la colonie que une personne susceptible d’être remplacée par la Chambre d’assemblée. C’est le gouverneur qui est responsable devant le roi qui le nomme et un gouvernement responsable n’est concevable que dans un gouvernement impérial. Si l’on propose de nommer à l’Exécutif des membres du Conseil législatif et de la Chambre d’assemblée, on s’assure par ailleurs que le gouverneur puisse en toute liberté agir à l’encontre de l’Exécutif.

Non aux prétentions coloniales en matière de propriété des terres de la Couronne sur lesquelles celle-ci a un droit inaliénable.

Non au contrôle des subsides et le gouverneur devra, avec ou sans l’autorisation de la Chambre d’assemblée, prélever la somme de 142 160 pounds pour payer les arrérages dans l’administration du gouvernement colonial depuis 1832.

Deux députés du Parti radical, Leader et Roebuck, l’agent de la Chambre d’assemblée, s’opposent au projet de loi. Pour le député Leader, il s’agit d’une mesure arbitraire, d’une loi coercitive, d’une provocation : « And what would amount to but to send troops to the country, and provoke the people by threats and the fear of slavery ? » Leader s’élève contre l’interprétation d’un « contest of races » : « no it was a contest betwnen the people and a nominated council, it was a contest between the oligarchy and the democracy » et la question du fond, selon lui, est de savoir si l’on se range du côté de la majorité ou de la minorité. Identifiant les deux combats de l’Irlande et du Bas-Canada, Roebuch fait appel au sens de la justice impériale telle qu’il la conçoit : « I call, then upon all those who fought the good fight for our suffering fellow-citizens across the Irish Channel, to extend the range of their benevolence, and prove, that if our dominion reaches beyond the broad Atlantic, so also does our justice, and that our desire for good government is co-extensive with our empire ».

L’appel aux députés irlandais trouve une oreille attentive chez O’connel qui dénonce les positions de Lord Russell. Et pour bien faire voir la profondeur de l’analogie et la distorsion politique identique à celle du Bas-Canada créée en Irlande, O’Connell ajoute : « The Irish nation was opposed by the Orange party, and that party called the nation a party. » Le grand tribun irlandais propose alors à la Chambre :  « Give the Canadians further constitutional privileges. »

Rien n’y fait : la Chambre adopte les Résolutions Russel à 318 voix contre 56. Ce qui se veut un dénouement n’est pas un véritablement. La crise construite depuis 1810 sur des litiges qui enveniment la vie politique de la colonie depuis le gouverneur Craig persiste. La question centrale du Conseil législatif électif n’est pas vidée, par la Chambre d’assemblée ou celle du gouvernement responsable. Le nœud gordien s’est resserré pour maintenir une seule et même chose : le pouvoir impérial. En refusant de perdre le contrôle du Conseil législatif qui est sa voix colonial et en reconnaissant d’entrée de jeu que le gouvernement responsable est incompatible avec le statut colonial du bas-Canada, Londres affirme dorénavant plus clairement son refus d’accorder une plus grande autonomie à la colonie et sa volonté d’empêcher un pouvoir démocratique se muer en républicanisme. Empire et monarchie se tiennent. Du point de vue des Canadiens français, c’est la fin de quelque chose, la fin d’un espoir placé dans la métropole, espoir qui ne pouvait plus être satisfait dans la colonie depuis deux décennies. Si Londres avait donné des signes d’écoute lors des projets d’Union de 1811, de 1822 et de 1824, si la Chambre des communes avait semblé vouloir entendre une autre fois lors du Comité sur les affaires du Canada de 1828 et de la Commission Gosford de 1835 à 1837, des positions étaient finalement prises sous la montée de la pression. L’empire faisait son nid.

(Tiré du livre Histoire sociale des idées au Québec, 1760-1896. Yvan Lamonde. Éditions Fides, 2000).

Cet homme était venu de Florence avec la reine, et s'était tellement enrichi dans son trafic, que sa maison paraissait plutôt celle d'un grand seigneur que d'un marchand. (Comtesse de La Fayette La princesse de Clèves). Photo : Megan Jorgensen.
Cet homme était venu de Florence avec la reine, et s’était tellement enrichi dans son trafic, que sa maison paraissait plutôt celle d’un grand seigneur que d’un marchand. (Comtesse de La Fayette La princesse de Clèves). Photo : Megan Jorgensen.

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