La paix iroquoise compromise
Des relations plus libres avec les sauvages devaient amener des abus. L’accroissement de la population et le mouvement intensif colonisateur avaient aussi permis à certains aventuriers de se glisser dans la colonie qui,
depuis quatre ans, manquait d’autorité supérieure – le gouverneur n’avait pas encore été remplacé. D’autre part, les sauvages, qui venaient ici en groupes faire le troc de leurs fourrures contre des marchandises françaises, se livraient parfois à de regrettables dévergondages. Cette licencieuse conduite ne devait pas timorer beaucoup la conscience de ces mauvais Français, qui en tiraient honteusement profit.
Deux malheureux événements faillirent alors compromettre sérieusement la paix franco-iroquoise.
En juillet 1669, six sauvages, dont trois hommes, une femme et deux enfants, furent lâchement assassinés à la rivière Mascouche, par trois Français, qui leur volèrent toutes leurs fourrures. La justice de Montréal informa contre les meurtriers; mais il fut impossible de les appréhender jamais. Ils durent se perdre dans les bois ou passer dans les colonies anglaises. Au cours des témoignages rendus, l’on apprit que l’un d’eux s’était vanté d’avoir baptisé un des enfants avant de le tuer.
Les trois assassins, Estienne Banchaud, Lafontaine Cochon et Jean Turcot, furent condamnés par contumace à être mis sur échafaud, avoir les bras, cuisses, jambes et reins rompus vifs jusqu’à mort, puis mis sur la roue 24 heures, le tout en place commune. (Archives judiciaires de Montréal: «Registre des Audiences,» 1669.) La sentence ne fut exécutée qu’en effigie.
Vers le même temps, un chef de la tribu des Tsonnontouans fut assassiné par trois soldats de la garnison. Le motif du crime était encore cette fois le vol de pelleteries. La justice ne fut pas lente à venger la victime de ce criminel attentat et les trois meurtriers furent passés par les armes. ( «Mémoires de la Société historique de Montréal», 6e livraison, 1875, p. 12)
Ce juste châtiment parut apaiser la colère légitime des sauvages, qui commençaient à s’agiter, à la suite de ces crimes contre les leurs et menaçaient de ne plus apporter ici leurs riches produits de chasse.
Le baptême du grand chef des Onnontagués, Garakonthié, acheva de rassurer les Iroquois sur les intentions pacifiques des Français. L’évêque présida lui-même la cérémonie dans l’église cathédrale de Québec. Le gouverneur de Courcelle fut le parrain et mademoiselle de Boutroue, la marraine du converti. Les canons du fort annoncèrent la nouvelle à toute la ville, et le nouveau chrétien fut reçu au Château Saint-Louis, où le gouverneur donna un banquet en son honneur (1670).
Nonobstant tous ces gages de paix, quelques tribus des Cinq-Nations restaient menaçantes. Colbert, dans une lettre au gouverneur, lui disait qu’il pourrait être fort utile de se rendre de temps à autre chez les Iroquois avec ses troupes à seule fin de leur inspirer du respect et une haute idée de notre force. (Lettre de Colbert à de Courcelle, 15 mai 1669 – Archives de la Marine, Série B: Ordres du roi, vol. I, p. 141.15).
Pour se conformer à cette recommandation du ministre et raffermir toutes les tribus dans l’obédience française, M. de Courcelle organisa une expédition à grand déploiement civil et militaire dans les pays d’en Haut.
Accompagné de plusieurs fonctionnaires, escorté d’officiers et de compagnies de soldats, le gouverneur arriva à Ville-Marie au printemps de 1671. Se joignirent à cette petite armée de parade le nouveau gouverneur de Montréal, François-Marie Perrot, Charles Le Moyne de Longueuil, le capitaine de Laubia, MM. de La Vallière et de Normanville et plusieurs jeunes gens enrôlés comme milices volontaires. M. Dollier de Casson faisait encore cette fois partie de l’expédition, en qualité d’aumônier.
On s’embarqua à Lachine, le 2 juin. Pour la première fois, dans ces sortes de voyages lointains, en plus de l’habituel canot d’écorce des sauvages, on prétendit se servir d’un bateau plat, ou prame, que les indigènes disaient être d’un emploi impossible à cause des nombreux rapides, qui obligeaient à faire portage à plusieurs endroits du grand fleuve. On se rendit cependant sans accident jusqu’à l’entrée du lac Ontario.
Les sauvages furent stupéfaits de voir un aussi grand nombre de Français arriver ainsi à l’improviste. Ils ne pouvaient s’imaginer qu’on avait pu se rendre dans leur pays avec un bateau plat d’aussi forte dimension. Le gouverneur leur fit comprendre qu’il ne lui serait pas plus difficile d’entreprendre, dans les mêmes conditions, une expédition militaire avec tout un attirail de campagne, qu’il ne le lui avait été d’accomplir ce voyage de politesse et d’agrément.
Cette audacieuse promenade des Français fit voir aux Iroquois ce que pourrait être une offensive militaire des blancs, s’ils avaient jamais l’imprudence de la provoquer.
Quinze jours après son départ, de Courcelle revenait à Ville-Marie, convaincu que son entreprise avait assagi les sauvages et consolidé la paix. En fait les hostilités entre blancs et peaux-rouges ne reprirent que quinze ans plus tard.
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