Le Québec et la France de la III République

Le Québec et la France de la IIIe République – Histoire sociale des idées au Québec

On assiste dans le dernier quart du XIXe siècle à une institutionnalisation des relations entre le Québec et la France. La « Capricieuse » avait permis le rétablissement des relations officielles en 1855 et conduit à l’établissement d’un consulat français au Canada en 1858. Cette redécouverte du Canada français par la France, dans un contexte de reformulation de sa politique coloniale, avait pris la forme de l’énonciation par Rameau de Saint-Père d’une vocation de la race française en Amérique.

Le Canada participe à l’Exposition universelle de Paris en 1878 ; les provinces, dont le Québec, sont particulièrement présentes à l’exposition scolaire internationale. Des échanges économiques entre le Québec et la France se formalisent avec la fondation en 1880 du Crédit foncier franco-canadien dont le succès sera plutôt limité malgré l’ouverture, en 1886, d’une Chambre de commerce française à Montréal. À part des deux emprunts du Québec en France en 1890 et en 1893, les relations économiques demeurent en deçà des attentes.

Les relations diplomatiques entre le Canada et la France prennent un nouveau tournant en 1882 avec la nomination d’Hector Fabre comme représentant de la province de Québec et comme commissaire et agent commercial du Canada en France. Le Commissariat se donne un journal bimensuel, Paris – Canada, qui paraît de 1884 à 1914. Parallèlement au Commissariat se crée le groupe de « la Boucane », lieu de rendez-vous des résidents canadiens à Paris. Le prix de l’Académie française au poète Louis Fréchette en 1881 est certes la reconnaissance individuelle d’une œuvre littéraire mais la création, quatre ans plus tard, d’un groupe français cette fois, Les Amis du Canada, qui inclut Rameau de Saint-Père et le géographe Onésime Reclus, constitue la suite véritable d’une pensée désireuse d’asseoir la vocation de la race française en Amérique. Pour ce faire, les Amis du Canada, en relation suivie avec le curé Labelle, « l’apôtre de la colonisation » du Nord, entendent lier le Québec au Manitoba par le nord de l’Ontario et mettent sur pied la Société de colonisation du Témiscamingue.

À l’été 1888, Rameau de Saint-Père visite le Canada et parcourt le Nord avec le sous-ministre de la colonisation, le curé Labelle, qui séjourne en France et en Belgique durant huit mois en 1890 pour susciter une émigration et recruter les colons. Mais la mort prématurée du curé Labelle porte un coup fatal à ce réseau d’hommes qui, au dire de Reclus, aiment le Canada « et qui le prouvent par des faits, non par des mots, des phrases, des invocations à Cartier, à Champlain, des apostrophes à Montcalm et des célébrations de la Saint-Jean-Baptiste ».

Rameau de Saint-Père, membre de l’École de Le Play depuis 1853, est la cheville ouvrière d’un intérêt nouveau chez des Canadiens français pour cette méthode à la fois empirique et catholique d’étude de la société.

Rameau fait une conférence sur le Canada français à la Société d’économie sociale en 1873, deux ans avant que celle-ci ne publie les résultats de l’enquête du premier consul français au Canada, le comte Gauldrée-Boileau, sur les habitants de Saint-Irénée dans Charlevoix. Le commissaire canadien en France, Hector Fabre, publiera dans La Réforme sociale, revue de l’école leplaysienne, tout comme le premier ministre Honoré Mercier sera conférencier à la Société d’économie sociale en 1891.

On crée au Québec en 1888 une antenne de l’école leplausienne, la Société d’économie sociale de Montréal, qui vivra jusqu’en 1911, recrutant une quinzaine de membres et organisant quelque 70 réunions sur une période de vingt ans. Léon Gérin, qui s’intéresse à Le Play et à son disciple Demolins depuis 1888, se joint à la Société à compter de 1892. Mais pour un membre qui deviendra le premier sociologue québécois, les autres, sauf peut-être l’abbé Stanislas-Alfred Lortie qui publie en 1905 son Compositeur typographe, s’intéressent davantage à la doctrine sociale formulée dans Rerum novarum en 1891 qu’à de véritables enquêtes menées selon la méthode leplaysienne.

Ces échanges s’effectuent dans le contexte de la IIIe république contre laquelle conservateurs et ultramontains sont prévenus, comme le rappellent les débats sur l’État dans ou hors de l’école. Jules Ferry est probablement, après Louis Veuillot, le Français le plus cité en ces années de « Voilà l’ennemi ! ». Les ultras tirent à feu continu sur la République. Dans Le Canadien du 14 janvier 1879, Tardivel déclare : « Nous aimons la France d’autrefois, la France puissante, grande et glorieuse, la France fille aînée de l’église ; nous aimons aussi la France catholique, de nos jours. Mais la France moderne, telle que la Révolution l’a faite, la France déchoue de son antique splendeur, la France impie, la France républicaine, en un mot, ne nous inspire qu’un sentiment qui est un mélange d’horreur et de pitié. » Son compatriote, A.-B. Routhier, qui se présente comme « un Vendéen d’Amérique » à La-Roche-sur-Yon, et qui affirme que « nous sommes restés Français parce que nous sommes restés catholiques », tente de concilier ses deux mères patries en répudiant la France de 1789 : « Par suite de circonstances que nous pouvons bien appeler providentielles, l’Angleterre allait nous sauver de la France, pendant que notre amour pour la France nous sauvait de l’Angleterre. »

Avec le sens de la formule qu’ont les radicaux de toute allégeance, Tardivel résume les deux Frances des Canadiens français conservateurs et ultras en opposant le Sacré-Cœur de Montmartre et la tour métallique conçue par Gustave Eiffel à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris de 1889 : «  Deux monuments dominent Paris ; tous deux sont modernes, tous deux représentent une idée, un principe » : la basilique de Montmartre symbolise l’expiation et « le juste châtiment » suite à la Commune de 1870-1871 ; la tour Eiffel, qui rappelle la tour de Babel, « pose pour la grandeur », mais « n’atteint que le grotesque ». Tardivel portait à son paroxysme un débat qui s’était tenu pendant six mois, à compter de janvier 1888, dans « La Patrie » de Beaugrand, d’une part, et dan sa « Vérité «  et de la participation du Canada à l’Exposition de 1889 qui célébrait le centenaire de 1789. Absente, le gouvernement du Canada avait voulu à tout prix éviter le piège d’une présence à un événement international identifié à la IIIe République, à 1789 et à 1793.

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La tour Eiffel. Photographie de GrandQuebec.com.
La tour Eiffel vue d’en bas. Photographie de GrandQuebec.com.

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