Le Québec sorti du bois
Pour les premiers colons, la forêt québécoise était une menace. Aujourd’hui, c’est une richesse que l’on veut aménager.
Par Réal Portier
À une époque où les gens sont de plus en plus préoccupés par leur qualité de vie. Il n’est pas étonnant que l’on parle désormais de protection, de conservation et d’utilisation polyvalente de la forêt.
Les choses n’ont pourtant pas toujours été ainsi et cette nouvelle mentalité, qui s’impose peu à peu, est le résultat d’une longue métamorphose dont les origines remontent pour ainsi dire au début de la colonie.
Les premiers colons
Parler de l’évolution de la foresterie au Québec, c’est un peu comme raconter l’histoire de la province elle-même, territoire foncièrement forestier.
Perçue comme un obstacle de taille par les premiers colons qui foulèrent le sol de la Nouvelle-France, la forêt ne tarda cependant pas à être reconnue comme une ressource importante par les rois de France et d’Angleterre.
Dès 1665, le premier intendant de la ville de Québec, Jean Talon, recevait des instructions lui recommandant de « veiller à la conservation des bois utiles » qui pourraient éventuellement servir à la construction de navires pour la marine et même, selon l’intendant lui-même, prendre la relève lorsque « les forêts de l’ancienne France seraient altérées ».
En 1672, on commence donc officiellement, quoique timidement, les exportations de bois vers la métropole C’est au début du XIXe siècle que l’exploitation et le commerce du bois prennent véritablement de l’ampleur. À partir de 1820, le gouvernement du Canada instaure les droits de coupe sur les terres publiques puis, en 1827, Il entreprend de vendre des permis de coupe.
Pendant plus de cent ans, ce principe demeure inchangé. L’exportation du bois vers les États-Unis commence quant à elle vers 1825 et prend rapidement de l’expansion, à tel point que le marché américain se révèle bientôt plus important que celui de la Grande-Bretagne.
Lors de la Confédération en 1867, les provinces canadiennes se voient confier la responsabilité de gérer la ressource forestière. Au Québec, la tâche est d’abord laissée à un commissaire, puis au ministère des Terres et Forêts pour finalement revenir au ministère de l’Énergie et des Ressources en 1979.
Après la Confédération, l’industrie du sciage continue de battre son plein et de se développer (on compte plus de 100 usines au Québec en 1875).
À partir des années 1920 toutefois, c’est celle des pâtes et papiers qui commence à monter et qui, peu à peu, prendra la tête de l’industrie forestière.
Aujourd’hui, le Québec compte 60 usines de pâtes et papiers, qui créent plus de 41 000 emplois directs, et plus de 1 000 scieries (commerciales et de service) qui donnent du travail à environ 15 600 personnes. L’industrie forestière québécoise dans son ensemble fournit directement 14% des emplois, 16% des salaires, 22% des exportations et elle représente 4,1% du produit intérieur brut (PIB) de la province.
Une richesse qui s’effrite
L’industrie forestière est ainsi devenue, au fil des ans, un des piliers de l’économie du Québec. Parallèlement à cette transformation pourtant, la forêt a vu sa qualité diminuer. En effet, considérée comme une source inépuisable de matière ligneuse, autant par les gouvernements et l’industrie que par la population en général, la forêt québécoise a longtemps été exploitée sans souci de renouvellement et pour son seul attrait économique.
C’est seulement au début des années soixante que des tendances nouvelles apparaissent et qu’on commence à apprécier les autres possibilités de la forêt.
La production de matière ligneuse à des fins commerciales se voit alors confrontée à d’autres objectifs comme la conservation, la protection de la faune, la récréation, etc. Avec cette nouvelle perspective, le rôle de l’État, qui jusqu’alors se limitait â la surveillance des exploitations et à la protection des forêts contre les incendies, va se transformer radicalement.
Le Québec se dote pour la première fois d’une véritable politique forestière en 1972. La demande pour les produits forestiers s’avérait à cette époque particulièrement prometteuse, mais l’industrie ne semblait pas être en mesure de tirer profit de cette demande et la forêt québécoise était encore sous-exploitée.
Avec sa nouvelle politique, le gouvernement instaura donc de nouvelles pratiques de gestion et de mise en valeur de la ressource forestière.
La politique gouvernementale de 1972 a connu le succès espéré, du moins au niveau du développement de l’industrie forestière québécoise. En effet, au seul chapitre du sciage de résineux, la production a doublé en 10 ans Le peu de considération porté à l’aménagement et au renouvellement des forêts a cependant fait tout aussi rapidement pencher la balance de l’autre côté, si bien que le surplus de matière ligneuse observé dans les années 1970 s’est transformé dans certaines régions en un déficit appréhendé pour les prochaines années.
Cette situation a obligé le ministère de l’Énergie et des Ressources à revoir ses positions en matière de gestion des forêts. Une longue réflexion sur le rôle et le devenir de la forêt, amorcée sous l’ancien gouvernement et poursuivi sous le présent gouvernement, a finalement abouti à une réforme profonde et de grande envergure qui vise avant tout l’aménagement des forêts pour l’avenir.
Un nouveau régime forestier
L’adoption de la nouvelle Loi sur les forêts (Loi 150), le 19 décembre 1986, est venue confirmer la volonté du gouvernement québécois de mieux contrôler l’utilisation de la forêt, d’assurer son renouvellement et sa mise en valeur et, surtout, de créer de nouveaux comportements chez ses utilisateurs.
Le nouveau régime forestier reconnaît la polyvalence des forêts qui, en plus de fournir la matière ligneuse, purifient l’air et l’eau, abritent la faune, les lacs et les rivières aussi chers aux amateurs de plein air qu’aux chasseurs et pêcheurs.
Désormais, au Québec, toutes les interventions en forêt sont contrôlées par l’État et doivent respecter ces principes.
Dans la nouvelle loi, il n’est d’ailleurs plus question d’exploitation mais d’aménagement. Les entreprises forestières doivent effectuer, à leurs frais, les travaux sylvicoles nécessaires pour maintenir le rendement soutenu et les multiples fonctions de la forêt. Pour chaque arbre coupé, un autre devra pousser.
En collaboration avec les ministères de l’Environnement et du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, le ministère de l’Énergie et des Ressources a préparé un Guide des modalités d’intervention qui doit être respecté par tous les utilisateurs de la forêt. Le Guide est un complément d’une carte d’affectation des terres publiques qui définit la vocation prioritaire de chaque territoire forestier du Québec.
Ainsi, sur certaines parcelles, la production forestière demeure prioritaire alors qu’elle est simplement permise sur d’autres et même complètement exclue ailleurs (parcs et réserves écologiques).
Enfin, le Ministère s’est doté d’un autre outil de taille pour faire respecter ses nouvelles règles du jeu : le contrat d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF). Chaque propriétaire d’usine devra dorénavant en signer un avant d’effectuer des interventions d’aménagement dans les forêts publiques. Par la signature d’un CAAF, le ministre délégué aux
Forêts autorise le bénéficiaire à récolter un volume de bols donné provenant d’un territoire forestier déterminé alors que ce dernier s’engage à aménager ce territoire en respectant le principe du rendement soutenu et à payer des redevances sur le volume de bois qui lui est alloué. D’ici 1990, 350 usines auront signé un CAAF d’une durée maximale de cinq ans.
Le nouveau régime forestier qui prévaut actuellement au Québec constitue donc une réforme profonde et même révolutionnaire par rapport à tout ce qui s’est fait dans le passé. Peu à peu, au fur et à mesure qu’il entrera en vigueur, il devrait entraîner des nouveaux comportements chez les utilisateurs de la forêt et le Québec devrait atteindre, en bout de ligne, un nouvel équilibre forestier qui assurera la pérennité d’une de ses plus importantes richesses naturelles.
Les Diplômés, N° 363, automne 1988.
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