Québec et l’immigration

Entre Canadiens de bonne volonté – On commence à comprendre – Québec en mesure d’influencer la politique d’immigration

Par Eugène L’Heureux

Regard sur l’immigration au Canada qui nous vient du mois de janvier 1952

L’immigration fut toujours et partout un problème complexe. On ne transporte pas les familles d’un pays dans un autre par milliers, sans causer temporairement des désordres aussi nombreux et variés que gênants, parfois même très fâcheux. Le Canada n’a pas échappé à la loi générale, puis qui son histoire du dernier demi-siècle, au chapitre de l’immigration fourmille d’erreurs, de paroles malheureuses, de déceptions, etc.

Aussi la politique d’immigration fut-elle chez nous, pendant longtemps, un thème de discussion inépuisable, qu’exploitèrent à fond les esprits enclins à la critique tantôt juste et constructive tantôt injuste et trop réaliste.

Cependant, une politique d’immigration s’impose en tout pays peu peuplé. Elle devient même inévitable, à une époque où des millions de familles sont chassées de leur foyer le va-et-vient des armées.

Ceux d’entre nous qui persistent à s’opposer au moins sourdement à toute immigration changeraient vite d’opinion s’ils tombaient, un jour, dans le cas des Européens déplacés ou autrement ruinés par la guerre. Comme il s’y connaissait en charité chrétienne et en bon sens. Celui qui a dit : « Faites aux autres ce qui vous voudriez qu’on vous fît à vous-mêmes. »

On peut dire que même chez nous, les idées ont évolué depuis la guerre en ce qui concerne l’immigration. Devant le spectacle des plus lamentables misères humaines, les interventions très explicites du Pape ont mis en branle tous ceux – nationalistes et autres – qui ont assez de charité chrétienne et de sens humain pour apercevoir aisément des frères même en dehors de la race.

Sans réussir à faire bouger les nationalistes outranciers – ceux qui n’ont de charité que pour leurs frères par le sans – les appels du Pape en faveur des immigrants les ont cependant forcés à tenir en sourdine leurs propos contre toute immigration.

S’ils veulent continuer avec une certaine plausibilité d’interpréter contre les chefs politiques canadiens et alliés telle et telle paroles d’un chef spirituel chargé de prêcher constamment la paix au monde, mais non de déterminer les modalités d’une défense nationale et collective nécessaire malgré tous nos désirs d paix, les nationalistes de cette catégorie se montrent avisés, en tenant au moins un certain compte des pressants appels du Pape en faveur des immigrants.

Voilà comment, chez nous, la cause de l’immigration trouve un certain nombre d’excellents serviteurs dévoués, mais ne jouit pas d’un climat suffisamment favorable pour faire tirer à la Province de Québec tout le parti qu’elle devrait de la situation présente.

Il ne faut pas oublier que, durant la dernière guerre, en tel et tel milieux influents de notre province, le nationalisme est devenu d’une virulence qui n’avait d’égale que son étroitesse. Il a fallu tout le robuste bon gens de notre peuple magnifique pour refroidir un certain nombre de têtes chaudes.

Dieu merci, le nombre grandit rapidement de ceux qui comprennent la solidarité du peuple canadien-français avec le reste de l’humanité, principalement avec les peuples que la Providence a placés dans son environnement géographique, politique, culture, etc. Mais une voiture prend toujours un certain temps à sortir de l’ornière.

Une fois de plus, apparemment, une conception excessive du nationalisme, entretenue par ceux-là qui se croient les seuls patriotes orthodoxes du Canada français, nous vaudra des résultats radicalement contraires à ceux que nous cherchons tous ensemble dans l’intérêt du Canada français comme du Canada tout court et de l’humanité entière.

Parce que nous aurons été trop lents à voir le parti que la Province de Québec peut présentement tirer de l’immigration en prenant des initiatives qui lui permettraient de participer au choix des immigrants et d’établir sur son territoire des Européens aptes à diversifier, à développer et à perfectionner sa production économique comme à enrichir sa culture intellectuelle et à renforcer ses positions démographiques et politiques dans la confédération canadienne, l’immigration continuera de jouer contre nous.

Et nous verrons des immigrants européens parlant notre pratiquant notre religion, désireux de fraterniser avec nous, prendre le chemin des province où l’on s’occupe plus spontanément d’eux qu’ici. Cette anomalie est déjà commencée.

Si, dans vingt-cinq, nous trouvons ces Européens d’origine française, belge, italienne, etc. intégrés dans la majorité anglophone de notre pays, et peut disposés à collaborer avec les Canadiens français du Québec, à qui devrons-nous nous prendre, sinon à nous-mêmes ? Comment pourrons-nous expliquer cette nouvelle faillite, sinon par notre manque de clairvoyance… patriotique au sens canadien-français et québécois autant que canadien de ce mot ?

Le Québec devrait, le premier, prendre les moyens de corriger la situation qu’il déplore. Si l’on s’organisait selon un plan analogue à celui que nous avons déjà proposé, le Québec serait en mesure d’influencer la politique d’immigration fédérale, en ce qui le concerne, en conformité de ses vues. Mais le Québec parle et n’agit pas.

Voir aussi :

Je refuse qu'on trompe le peuple même pour son bien (Vercors). Une caravane d'immigrants traverse le lac des Rêves au Jardin botanique de Montréal. Photo par Megan Jorgensen.
Je refuse qu’on trompe le peuple même pour son bien (Vercors). Une caravane d’immigrants traverse le lac des Rêves au Jardin botanique de Montréal. Photo par Megan Jorgensen.

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