Procès de deux fantômes

Le procès de deux fantômes

Le marquis Dallogny, « commandant des troupes de la marine en ce pays », vient de rencontrer le gouverneur général, Philippe de Rigaud de Vaudreuil,  « au sujet du décès d’un sergent desdits troupes qui fut blessé la nuit du vingt-trois au vingt-quatre de ce mois d’octobre ». Le décès serait arrivé lors d’un duel.

On finit par apprendre l’identité de l’autre duelliste qui serait l’auteur du meurtre du sergent. On l’a vu en première partie du livre, le duel n’est pas toléré et il constitue un crime majeur lourdement punissable. Le Conseil exige alors « qu’attendu le crime dont il s’agit, il soit ordonné que le nommé Charles Emmanuel Fourré dit l’Avocat soit arrêté et constitué prisonnier dans les prisons de cette ville (Québec) ».

Mais le militaire recherché reste introuvable et le Conseil croit qu’il est « caché en cette ville sans savoir dans quelle maison il peut être ». En conséquence, le 13 décembre 1706, on ordonne de « faire rechercher Fourré dans toutes les maisons de cette ville, même dans tous les couvents et communautés religieuses pour arrêter ledit Fourré et ensuite le conduire en prison ». À la porte du palais de l’intendant, on affiche l’avis de la recherche et, sur la place du marché, un militaire en fait aussi une lecture publique, à la criée.

Quelques mois plus tard, soit le 14 mars 1707, en préparation d’un éventuel procès, toujours retardé par le soldat Fourré en cavale, le Conseil désigne l’huissier Jean Étienne Dubreuil « curateur au cadavre dudit défunt David », la victime du duel. Malgré l’absence définitive des deux accusés, l’un mort et l’autre introuvable, le Conseil fait un procès et déclare la contumace (refus de comparaître) bien instruite à l’encontre dudit Charles Emmanuel Fourré. Le Conseil le déclare dûment atteint et convaincu, aussi bien que ledit défunt Charles Legris dit David, de s’être battus en duel; pour réparation de quoi, le Conseil a condamné ledit Fourré à être pendu et étranglé jusqu’à ce que mort s’ensuive, à une potence qui sera à cet effet dressée en la place publique de cette ville, ses biens déclarés acquis et confisqués.

Pendre un fantôme? En quelque sorte oui et voici une extrait du jugement qui décrit bien une autre coutume de l’époque : «  Le présent arrêt sera exécuté par effigie, en un tableau qui sera attaché à la potence par l’exécuteur de la haute justice, pour ce qui regarde ledit Fourré. » Dans le dictionnaire de Furetière, on précise que dans le cas d’un condamné qu’on n’a pu capturer, on lui fera une exécution par effigie : sur un tableau, on peint un personnage illustrant le criminel et on écrit, au bas du tableau, la sentence du jugement.

Que prévoit-on dans le cas de Charles Legris? « À l’égard dudit Legris, sa mémoire demeurera condamnée, éteinte et supprimée à perpétuité, et, à cet effet, son effigie sera aussi mise dans le même tableau, sur une claie ou derrière d’une traîne, la tête en bas et la face contre terre ». On ne dit pas si ce tableau fut ensuite jeté au dépotoir, à la voirie.

Suivant la procédure en pareil cas, à dix heures du matin, le 14 avril 1707, la condamnation est lue à haute voix à « Dubreuil comme curateur du cadavre dudit David et, sur les trois heures, a été, l’effigie desdits David et Fourré, mise dans les mains de l’exécuteur de la haute justice pour l’entière exécution dudit arrêt qui a été faite à l’instant dans la place publique de la basse ville de Québec. »

Par Guy Giguère, La Scandaleuse Nouvelle-France, histoires scabreuses et peu édifiantes de nos ancêtres, 1958.

Voir aussi :

deux fantomes
Forêt fantomale. Illustration : GrandQuebec.com.

Laisser un commentaire