Les boulangers canadiens-français forment un cartel pour contrôler le prix du pain
Le Tribunal du commerce enquête sur le cartel des prix du pain
Les hausses de prix générales d’un produit sont toujours mal accueilles par les consommateurs quand les circonstances paraissent suspectes, surtout lorsqu’il s’agit d’un bien de consommation ainsi indispensable que le pain.
À preuve les événements survenus au matin du 5 novembre 1919, alors que le Tribunal de Commerce, sous la direction du lieutenant-colonel L.-R. Laflèche, ouvrait une enquête sur la récente hausse d’un centin subie par la miche de pain, passée de 11 au 12 cents au détail.
Tout concordait pour indiquer qu’on assistait à la formation d’un cartel, d’un trust comme on disait plutôt dans les journaux de l’époque. D’où l’intervention du tribunal.
La formation du trust
L’existence du présumé trust n’a pas été mise en doute par un des principaux témoins de la journée, bien au contraire. M. Joseph Cardinal, président et gérant général de la compagnie Coursol Cardinal Limitée, formée à la suite de son acquisition de la boulangerie Coursol, a en effet confirmé la tenue d’une importante assemblée quatre jours plus tôt. En effet, quand M. Leflèche lui a demandé s’il existait une association (euphémisme pour cartel dans les circonstances) de boulangers, le témoin a répondu :
« Oui, chez les boulangers canadiens-français. Je n’en fais pas encore partie, mais j’ai signé une demande d’admission comme membre. L’assemblée générale de samedi n’a pas été convoquée sous les auspices de cette association, mais simplement par M. Finlayson. »
Tous les ingrédients d’un cartel
Dans sa réponse M. Cardinal faisait donc à M. Finlayson. Or ce dernier n’était pas boulanger, mais plutôt agent distributeur de farine pour les moulins Ogilvy. On admettra qu’un tel aveu pouvait surprendre.
En deuxième lieu, M. Cardinal a reconnu que tous les boulangers présents avaient accepté de signer un billet sur demande qu’ils s’engageaient à payer s’ils ne respectaient pas les prix convenus, allant même jusqu’à préciser le montant attaché à chaque billet. Le montant du billet, a-t-il dit, varie avec le nombre de voitures que chaque boulanger possède. Ainsi, ceux qui n’ont qu’une voiture, ont signé un billet de $50, ceux qui en ont deux, $100, et dix $500. Soit une somme de garantie pour chaque voiture de livraison. Ces billets ont été remis à M. Finlayson.
Le boulanger Isidore Caron devait pour sa part admettre qu’avant la dernière entente, il existait une certaine rivalité entre les boulangers : certains vendaient 11 cents, en gros, tandis que d’autres faisaient du détail à moins de 10 cents, pour un pain d’un et demi livre.
Un autre témoin M.V. Brosseau a tenté de justifier la hausse des prix. Pour justifier cette hausse, il mentionne l’augmentation du coût de production, des salaires des aides-boulangers, des distributeurs et les prix plus élevés du grain et du foin pour la nourriture des chevaux de livraison. Il dit aussi que l’on obtient aujourd’hui de 2 à 2,5 pains de moins par baril de farine, qu’il y a un an.
Conclusion et épilogue
Avec le recul du temps, force est d’admettre que les boulangers, avec la complicité d’au moins une meunerie (on disait plutôt « moulin » à l’époque), avaient effectivement formé un cartel, allant même jusqu’à trouver le moyen de contourner les mesures restrictives alors en vigueur, pour s’approvisionner en graisse et en sucre.
Évidemment, comme on devait le constater au cours des jours suivants, le « trust » du pain a provoqué la colère de la population qui voyait, après le lait, le prix d’une autre denrée essentielle contrôlé par les producteurs.
Il nous est impossible de retracer le sort réservé au cartel du pain de 1919.
