
Ports maritimes et villes fluviales françaises en Amérique
En dehors de Louisbourg, toutes les villes françaises d’Amérique du Nord étaient situées sur des fleuves, car elles devaient être facilement accessibles depuis le littoral et permettre de progresser vers l’intérieur des terres. Québec, Louisbourg et La Nouvelle-Orléans étaient de surcroît des ports maritimes grâce auxquels les colonies maintenaient des relations avec la métropole.
Dans la vallée du Saint-Laurent, les Français choisirent pour fonder leurs villes d’excellents sites, qui avaient du reste déjà été exploités par les Amérindiens : les villages de Stadaconé et d’Hochelaga, visités par Jacques Cartier, se trouvaient sur le futur emplacement de Québec et sur l’île de Montréal. Ces établissements furent abandonnés par les autochtones au cours di XVIe siècle, ce qui permit aux Français de s’y installer. La situation de Québec, remarquée dès 1603 par Champlain, destinait la future ville à devenir la capitale de la colonie. En 1608, Pierre Du Gua de Monts décida, en effet, de bâtir un comptoir de traite sur le Saint-Laurent à son intersection avec la rivière Saint-Charles, à l’endroit où le fleuve se transforme en estuaire : les vaisseaux de haute mer ne pouvant naviguer facilement en aval s’arrêtaient forcément à Québec, ce qui en faisait la porte d’accès su Saint-Laurent; en cas de grands vents, ils pouvaient trouver refuge dans la rade de la rivière Saint-Charles. En outre, le site avait des qualités défensives remarquables en raison de son escarpement.
Montréal bénéficiait sur son île d’une situation géographique tout aussi extraordinaire : non seulement elle se trouvait au cœur de la plaine agricole la plus riche de la colonie, mais elle contrôlait les voies d’accès vers l’intérieur du continent. À une soixantaine de kilomètres en aval, la rivière Richelieu conduisait à Manhattan via le lac Champlain et la rivière Hudson; immédiatement en amont de la ville, la rivière des Outaouais constituait un raccourci vers les Grands Lacs, l’Ohio et le Mississippi. Plus qu’une simple escale avantageusement située, Montréal était de surcroît un point de transbordement, la dernière limite de la navigation sans portage.
Les rapides de Lachine, ou Sault-Saint-Louis, en amont de l’île, devaient être contournés par voir terrestre sur une longueur de 13 kilomètres afin de retrouver un fleuve navigable. Dès 1689, les Français tentèrent en vain de construire un canal pour éviter le saut : il fallut attendre 1825 pour qu’un tel projet fût mené à bien. Les marchandises apportées de Québec devaient donc être débarquées dans la ville avant d’être charroyées au-delà des rapides. Ensuite, elles ne pouvaient être amenées dans les Pays d’en Haut que sur des canots d’écorce. En 1642, Maisonneuve choisit de fonder son premier établissement au sud de l’île, sur la pointe à Callière, à la confluence de la rivière Saint-Pierre et du Saint-Laurent, mais les inondations printanières poussèrent le fondateur et les premiers colons à s’installer dès l’année suivante sur le coteau Saint-Louis situé entre la rivière Saint-Martin et le fleuve.
En revanche, le choix d’un site urbain appelé à devenir le centre de la colonie fut plus difficile en Louisiane et sur l’île du Cap-Breton. C’est sur la côte orientale de cette île qu’en 1714 les premiers colons, des pêcheurs venus de Plaisance (Terre-Neuve) avaient sélectionné un emplacement appelé le Havre à l’Anglais, en raison de la présence d’un bon mouillage et de la proximité de bancs de poissons. Peu après, l’établissement fut rebaptisé Louisbourg par Louis XIV. En dépit des qualité de ce site pour la pêche et le commerce, le monarque hésita dans un premier temps à en faire la capitale de la colonie, se demandant s’il ne fallait pas mieux opter pour Port Toulouse ou Port Dauphin, soit les anciens postes de Sainte-Anne et de Saint-Pierre. Ces établissements, fondés en 1629 et abandonnés en 1669, avaient été réoccupés et rebaptisés en 1714. En 1715, dans une période de restriction budgétaire, le pouvoir royal décida de faire de Port Dauphin son centre administratif et militaire, car sa fortification nécessitait beaucoup moins de dépenses que celle de Louisbourg. Mais il s’avéra rapidement que Port Dauphin – le mal nommé – était dépourvu d’un port convenable. C’est pourquoi, quatre ans plus tard, la Couronne choisit finalement comme capitale Louisbourg, où elle envisageait depuis 1717 d’édifier une ville planifiée et fortifiée.
La naissance de La Nouvelle-Orléans fut encore plus longue et laborieuse. Durant les deux premières décennies du XVIIIe siècle, la colonisation se développa essentiellement sur le littoral. Les Français eurent beaucoup de mal à y trouver un site idoine. C’est pourquoi les premiers établissements sur la côte furent marqués par une très grande instabilité, le centre de la colonie changeant à quatre reprises. Face à ces difficultés, les autorités locales et les colons en virent à penser que l’effort colonisateur devait se porter en priorité sur la vallée du Mississipi où se trouvaient les terres les plus fertiles, alors que le golfe du Mexique présentait des abords désolés et incultes.
Avant 1717, Crozat commença d’ailleurs à y fonder de petits postes militaires et commerciaux. Cependant, malgré les premières tentatives du financier, la décision de faire reposer le développement colonial sur le contrôle et la mise en valeur de la vallée du Mississipi fut prise véritablement par la Compagnie d’Occident lorsqu’elle récupéra le monopole commercial de la Louisiane. La Compagnie souhaitait en faire une colonie de peuplement, dont elle espérait tirer de grands profits. C’est pourquoi elle décida immédiatement de fonder une ville sur le fleuve, qui devait servir d’entrepôt à la colonie. L’année suivante, les autorités locales apprenaient que la cité serait baptisée La Nouvelle-Orléans en l’honneur du Régent.
Cette même année, Bienville proposa d’établir la ville, à près de 140 kilomètres de la côte, sur la partie convexe d’un méandre du Mississippi (d’où le surnom actuel de crescent city, la ville en forme de croissant), sur sa rive orientale, à proximité du bayou Saint-Jean. La sélection d’un site aussi éloigné de la mer était liée à l’existence de deux voies d’accès au littoral : le fleuve et son delta; le bayou Saint-Jean et lac Pontchartrain, qui permettaient de rejoindre directement Biloxi et La Mobile. Le site était occupé depuis 1708 par une dizaine de colons qui s’y étaient installés sous le commandement de l’officier volontaire Louis Juchereau de Saint-Denis et qui y cultivaient quelques terres. Du fait des risques d’inondations et de l’insalubrité du milieu liée à la proximité de zones marécageuses, le choix de Bienville fut longtemps contesté. Ces mêmes raisons, jointes à la guerre contre l’Espagne en 1719 qui focalisa l’attention des autorités sur le littoral et au fait que l’on n’était pas certain de pouvoir faire passer des bateaux de haute mer par le delta, expliquent que la Compagnie persista si longtemps dans sa décision d’installer la capitale de la colonie sur les rivages du golfe du Mexique. Finalement, s’appuyant sur les projets de travaux de l’ingénieur Pauger, qui devaient protéger la ville des inondations, soulignant qu’un second navire avait réussi en janvier à franchir la barre de l’embouchure du fleuve et arguant des difficultés immenses que présentait l’aménagement du Nouveau Biloxi sur la côte, Bienville réussit à convaincre la Compagnie des Indes de faire de La Nouvelle Orléans la capitale de la Louisiane en 1722. Après s’être d’abord prononcé en faveur du Nouveau Biloxi, le lieutenant du roi avait compris que le Mississippi était appelé à devenir l’épine dorsale de la colonie.
(Tiré de l’Histoire de l’Amérique française, par Gilles Havard et Cécile Vidal. Éditions Flammarion, 2003.)

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